La tragédie du réactionnaire, c’est de miser sur un peuple de France supposé : le peuple réel, qui serait en quelque sorte la France immergée, celle des « vrais gens » (qui comme on le sait sont humbles, modestes, simples, pétris de bon sens).
Par opposition, la France apparente est fausse, simulée, uniquement composée d’opinions qui sont des mirages rendus crédibles par les médias et les sondages qu’une élite parisienne, coupée du réel et tordue d’intellectualisme, orchestre insidieusement.
La tragédie du réactionnaire, c’est que les faits légitiment rarement sa foi dans « le peuple » : à la première occasion, « le peuple » ne file pas comme il faut, vote de travers ou accepte l’inacceptable. Le peuple réel se montre sourd, aux idées modernes aussi bien qu’aux idées du réactionnaire, en fin de compte il ne vaut pas mieux que l’autre.
La tragédie du réactionnaire, c’est de balancer entre cette foi populaire et le rejet de tout ce qui, dans l’opinion publique, est tangible et peut se constater. Ce ne peut pas être vrai, le peuple réel ne pense pas comme cela, ce n’est pas la vox populi. Lorsque le peuple ne se montre pas régi par le bon sens qu’il faut, alors c’est une question d’éducation, ou bien c’est la faute de l’élite qui lui a corrompu l’esprit avec ses saloperies. Tout devient le fruit d’une duperie, organisée ou non, une malheureuse conjonction de faits qui masque une fois de plus la réalité.
Le réactionnaire peut regagner un peu d’espoir, sporadiquement, lorsqu’un sondage semble aller dans son sens. Cette fois-ci, ça y est, le peuple réel s’est exprimé ! Voilà que ses idées personnelles reprennent un peu d’assise et de légitimité. Mais assez naturellement, sa foi dans « le peuple » est amenée à s’éroder. Pour la fortifier, pour ne pas sombrer dans l’incompréhension, il doit s’en remettre aux époques du passé, qui ne sont plus là pour le contredire, ou aux grands hommes morts, pas contrariants non plus. Il peut également recycler à son avantage tous ces dénis que la réalité lui oppose (« puisque j’ai tort, c’est bien que j’ai raison »), qui sont autant de signes pour accréditer l’idée que oui, quelque part il y a ce parterre de gens restés silencieux, ce peuple réel qui attend, ces gens qui n’en pensent pas moins… Tout pour continuer à croire qu’il y a ce bon sens commun naturellement partagé, qui n’est pas seulement son bon sens à lui.
Si le réactionnaire est sombre et ténébreux, c’est parce qu’assez tôt, avant même d’être démenti et déçu, il devine que le peuple réel sur lequel il fonde ses espoirs pourrait bien être une chimère qui n’existe que dans sa tête. Au fond de lui il sait qu’il est seul, que ces contemporains qui l’entourent, bavards ou silencieux, élite ou pas élite, sont en fin de compte perdus pour la France, pour sa France. Ils ne la méritent pas et elle les mérite encore moins.
Comme souvent, bonne analyse. J’ai failli verser une larme sur la solitude du réactionnaire nourrissant mille espoirs…en vain.
Je pense tout de même qu’il est possible de compatir : ne vous est-il jamais arrivé d’être « réac » à quelque chose (moi tout le temps !) et de ressentir cette solitude dont je parle ? Si on ne limite pas la définition de « réactionnaire » au fasciste de base, on peut se surprendre à être « réactionnaire » au cours des choses qui nous dépasse, au monde qui va trop vite (clonage, chirurgie esthétique généralisée), à la débilité ambiante qui nous exaspère (télé-réalité ou télé tout court), à l’engouement populaire pour quelque chose qu’on ne comprend pas et que l’on trouve minable…
Et bien Xix vous ne pensez pas si bien dire. Mon commentaire vous a paru sans doute ironique et je vous prie en ce cas de bien vouloir m’en excuser. Cette larme que j’ai failli verser était celle d’un bougre qui s’est totalement reconnu dans votre descriptif. A un tel point que l’émotion il est vrai m’a étreint.
J’adhère complètement à ton analyse. Comme dans l’amour et la religion, la foi du « vrai bon peuple » n’est qu’affaire de dissonance cognitive : il faut s’efforcer à tout prix de faire coïncider les faits avec notre vision idéalisée, quitte à remodeler la réalité…
@Vlad : désolé, j’avais en effet compris de travers !
@Patrick : reçu 5/5!
S’il est vrai qu’on ne puisse pas simplifier le réactionnaire à la seule « rancune », on pourrait surtout faire apparaitre en filigrane un autre sentiment: La désillusion.
Une désillusion générale, un désenchantement profond, qui touche non seulement aux idées contemporaines, mais également des questions complexes, comme la vision même d’un pays, de son identité (idéalisée, revendiquée, définie ou non), et plus loin, le monde dans lequel ils vivent.
Autant ce désenchantement touche quelquefois de très près une certaine vérité, autant comme le dit Patrick, il est pénétré parfois d’une réelle volonté de faire coïncider certains faits avec une vision de la réalité, une réalité qu’on serait prêt à tronquer afin qu’elle colle invariablement avec sa propre logique, dans cette éternelle quête d’avoir raison, plaçant ainsi certains individus dans une désarmante posture du « seul contre tous ».
Dans tous les cas, qu’il conduise au dénigrement de ses contemporains, à la haine de l’autre, ou à se poser de sincères questions pour douter et avancer, le désenchantement du réactionnaire pour la société dans laquelle il vit, restera toujours pour moi un sentiment digne de respect et d’intérêt, très loin de valoir ces réactions indignées, entre condamnation et dégoût.
Au fond, nous sommes tous un peu réactionnaire.
Clarence, chercheur curieux
HS: Autrement, j’avais déjà bookmarké votre blog, découvert après vos commentaires sur le site « C’est la gêne », où j’avais apprécié la tonalité et la qualité de vos interventions quand à l’idée insupportable pour les dits-auteurs du blog de cohabiter avec un voisinage qualifié de « nauséabond », en référence à une certaine frange « réactionnaire » trustant les visiteurs.
Il y a une indéniable qualité dans la rédaction de vos billets et réflexions qui me donne envie de vous ajouter à ma « blogroll ». Puis-je ?
Et comment !
Moi je suis tombé sur le votre très récemment, goûtant une liberté de ton qu’on est heureux d’enfin trouver sous sa forme authentique tant on en a entendu parler par les C’est-la-Gene et les Réacochères.