Trouver ce qui n’est qu’en soi

C’est une formule de Richard Millet, dans L’Orient désert.

Trouver ce qui n’est qu’en soi. Idée d’apprentissage, d’affinage, quête d’une définition de soi, extraction de ce qui fait notre essence, notre spécificité…

 

Trouver ce qui n’est qu’en soi est une tâche d’autant moins facile à l’heure d’internet, des blogs et de l’explosion confessionnelle. Si vous pensez encore que vous êtes unique, que vous avez une particularité, que les autres ne peuvent pas comprendre, un très bref coup d’œil sur le net vous révèlera que vous n’êtes pas si original, que nous sommes un paquet à avoir des idées somme toute assez similaires.

  • Vous vous prévalez d’un parcours un peu spécial qui vous confère une vision des choses pas courante ? Vous vous êtes constitué une culture à la force de votre jugement, hors des sentiers battus ? Cherchez bien : il y a 4 ou 5 blogs qui pensent peu ou prou comme vous, qui disent pareil et mieux que vous.
  • Vous avez une formidable idée de photo à prendre ? Tapez dans Google Images : elle existe certainement déjà, ou presque. Toutes les photos possibles ont déjà été prises par quelqu’un. Allez les déposez sur FlickR, à côté des millions d’autres.
  • Vous pensez que ce qui vous sépare principalement des gens autour, c’est qu’eux acceptent la médiocrité de leur quotidien sans broncher, comme des robots ou des morts-vivants, tandis que vous, vous tolérez cela pour l’instant mais vous méritez mieux ? Lisez un peu : rien n’est plus commun que ce sentiment. Sous son regard bovin, votre voisin, une fois rentré du boulot le soir, exprime ces mêmes choses quand il en a l’occasion. Il se demande ce qu’il fait là et il attend son heure.

En rendant ainsi apparente la ressemblance de nos vies et de nos aspirations, Internet est un formidable broyeur d’ego, comme devait l’être le service militaire en son temps : les jeunes baudruches arrogantes viennent s’y briser au contact du monde, se rendre compte qu’elles n’ont simplement pas encore assez vécu.

Ce ne peut être que positif. Déprimant au départ puis positif. Cela veut dire que nous nous sommes mépris sur ce qui n’est qu’en nous. Cela veut dire que nous avions jusqu’à présent mal placé notre individualité. Qu’il nous faut chercher encore. Simplement reprendre la route, et creuser encore, pousser plus loin.

13 réflexions au sujet de “Trouver ce qui n’est qu’en soi”

  1. Merci pour la conclusion positive, dans laquelle j’abonde (sinon c’est assez flinguant). Si une idée résiste au test google, c’est qu’elle doit vraiment être bonne… Mais il vaut mieux la soumettre à ce test avant de s’imaginer inventeur génial et de s’entendre dire « ah ouais j’ai vu ça sur stumble/youtube/facebook* l’autre jour » (*rayez la mention inutile)

    1. @Patrick : lol
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      @Xix : Il y a bien plus de résultat pour « on » dans Google. Mais je ne sais que faire de cette information à part la partager.
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      Ce post dit mieux que moi ce que je pense vaguement (no comment). Et me rappelle un poème que j’ai écrit il y a quatre ans. Qui lui même reprenait l’idée ailleurs, d’un album de Claude Ponti (le Nakakoué).
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      Et je me souviens l’avoir écrit d’une part avec ce sentiment de ne rien dire de nouveau, mais également avec cet autre sentiment : m’être approprié ce même truc pas nouveau.
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      Et çà c’est nouveau.
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      Let’s digging on…

  2. @ Xix : Je ne suis pas égocentrique au point de penser que tu écris des articles pour moi, mais je suis forcément confronté à ce phénomène avec flickr et je vois bien de quoi ça cause 😉
    @ Patrick : énorme !

  3. Bonjour,nous n’avons en effet rien d’exeptionnel,seulement je n’en arrive pas aux memes conclusions.

    A mon humble avis il serait plus utile d’inviter son voisin au regard bovin a prendre l’aperitif ,recréer du lien avec la vraie vie et les vrais gens,le palpable et non s’enfermer un peu plus dans son blog et dans sa tete,devant son ecran d’ordinateur et\ou de television.

    Toujours de mon point de vue,Internet, le monde des blogs plus precisement,éxacerbe l’ego plus qu’il ne le broie, tout cela convient bien au narcissisme ambiant,a l’individualisation de notre société.

    Je suis aussi d’avis qu’un bon moyen de briser cet ego surdimensionné peut etre de faire un passage a l’armée,et encore,cela depend son affectation…

    1. Nous pourrions dire : « une fois que vous vous êtes rendu compte sur internet que vous n’étiez pas exceptionnel, allez vous remonter le moral en prenant l’apéro avec votre voisin au regard bovin, pour vous rendre compte que vous n’êtes pas non plus si con » !

      1. Je crois que vous devriez relire posément la remarque de Jean, plutôt que d’ironiser.
        En outre, je n’ai jamais ressenti ce que vous décrivez quant au sentiment de petitesse, d « ordinarité » (ça existe ce mot ?), d’humilité, de déception égotique en lisant mon prochain, sans quoi je me serais maintes fois jetée par la fenêtre après avoir lu Flaubert, Borges, Boulgakov etc…
        Je n’ai pas la même démarche et surtout pas le même regard sur moi. Je considère les autres comme des tremplins, des réservoirs où puiser d’autres idées, développer d’autres talents. Les autres peuvent éventuellement m’inspirer, jamais me réduire.

  4. (suite de mon commentaire initial)…J’ajoute que votre remarque dénie à l’autre toute capacité d’évolution. Nous ne sommes pas aujourd’hui ce que nous serons demain. Je n’aime pas le tennis, je ne retiens pas le nom des joueurs, mais j’ai vu, dernièrement, un champion se faire battre par un outsider.
    De mes rapports avec les autres, internautiques ou pas, je prends ce qui est bon pour moi. Depuis 6 ans, j’apprends le piano grâce à un internaute qui m’en a donné l’envie. Je suis plutôt douée et je l’ignorai ! Son intervention dans ma vie, m’a aussi permise d’intégrer un choeur régional. La musique fait partie intégrante de ma vie aujourd’hui. Où se situe la claque égotique dans tout ça ? Il avait des talents que je ne possédais pas, ce n’est plus le cas !

    1. Vous avez bien raison d’évoquer toutes ces richesses. Je ne voulais pour ma part pas dire qu’on se ratatine au contact des autres, mais qu’on se sent plus ordinaire : moins exceptionnel, mais aussi moins seul, mieux compris. Merci de votre commentaire.

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