Si l’on tient un tant soit peu à la liberté individuelle, on est contre la peine de mort. Car rien n’est plus intellectuellement oppressant que l’idée d’un « corps social » – un troupeau de veaux – qui s’accorde à vous couper l’oxygène, à sectionner le fil qui vous rattache à la vie, sans ciller, sans douter, sereinement, dans un assourdissant consensus, avec en prime le sentiment du devoir accompli !
Mais ce faisant, en refusant ce « droit » – le droit de vie et de mort, cette primauté de la société sur l’individu, il faut être conscient qu’on supprime peut-être quelque chose qui fait le ciment de la société, qui lui donne sa substance et sa réalité.
- Tant que la société s’arroge le droit de mettre fin à la vie des individus qui la composent, c’est simple : vivre signifie indûment « vivre selon l’ordre social ». Vie personnelle et vie sociale sont une seule et même chose. Le Bien de cette société est notre Bien, son mal est notre Mal, et inversement. « La société » est alors quelque chose de réel parce qu’elle se confond avec la vie, nous n’en envisageons pas d’autre en dehors.
- Mais si cette société ne menace plus notre vie, si son autorité s’arrête là où commence notre droit à exister, alors c’est différent. Son emprise n’est plus réelle mais périphérique : il y a notre vie d’un côté, et la vie sociale de l’autre, « la société » est un vernis qui vient s’ajouter. Et pourquoi se plier absolument à ce qui n’est qu’un vernis et qui ne peut outrepasser mon droit à vivre ? Pourquoi respecter les règles de ce qui n’est qu’un jeu, un jeu qui importune le cours naturel de la vie ?
Dès lors que la vie n’est pas en jeu, la vie EST un jeu. Dès lors que le jeu social ne peut plus avoir pour sanction la mort, il n’a plus de conséquence, il devient un simple jeu avec ce que cela implique d’accessoire et de facultatif. Jeu d’embrouille, jeu de mains, jeu de dupes… Jeu à tricher, détourner, contourner… Jeu dont on peut bien se passer.
Et c’est un fait nouveau, à l’échelle de l’histoire humaine, que la société ne dispose pas de ce droit de vie et de mort. C’est tout récent qu’un chef d’Etat n’ait de pouvoir qu’administratif ou fiscal sur ses sujets, qu’il se contente de régir le cadre de la vie et non plus la vie elle-même. On peut imaginer qu’il s’agit là d’un événement qui conduira progressivement à la désagrégation de la société telle qu’on la connaît. Que peu à peu, les gens prennent acte de cette nouvelle donne et se détachent petit à petit de leurs obligations sociales, vivent une période de confusion à l’issue de laquelle se réinventeront de nouvelles formes de vie ou de sociétés.
J’avais jamais pensé à la chose sous cet angle, c’est très bien vu. Cependant, si la société ne peut plus prendre la vie, cela n’annule pas les conséquences qu’il y a à la défier. Elle peut prendre la liberté, pour plus ou moins longtemps. Et a ce titre, aller à son encontre constitue toujours un mal absolu, et mesurable…
Oui, bien sûr, même sans possibilité de tuer, la société conserve une certaine primauté : par toutes les mesures de rétorsion pénales qui s’appliquent à l’individu sans qu’il ait son mot à dire (prison, travaux, amende…). Mais cet arsenal, tant qu’il n’y a pas mort d’homme, tant que la vie continue après, reste un ensemble de « règles du jeu » : allez directement en prison, ne passez pas par la case Départ, ne touchez pas 20 000 francs ! Il n’y a que la prison à perpétuité qui pourrait ne pas être considérée comme une mesure de « jeu », mais on sait qu’elle n’est presque jamais appliquée).
On aura la réponse en surveillant l’évolution du Texas et des quelques lieux du monde ou la peine de mort existe encore. Peut être que là bas « leur » société ne se désagrégera pas. C’est pas sûr que ce soit les meilleures à conserver ceci dit…
effectivement l’idée est posée de façon originale.
Ca a un petit côté zemourien je trouve.
La fin de la peine de mort n’est pas sans conséquence dans le subconscient collectif. Elle encourage structurellement l’individualisme.
Le problème n’est pas je pense, l’absence soudaine de ce « repère », mais l’incapacité de cette société à palier cette absence (heureuse disparition à mon sens).
Concernant le Texas comparaison n’est ici pas raison car le peuple américain dans ces régions est déjà profondément individualiste… si on peut utiliser se terme sans sa connotation péjorative.
Vous me faites peur…
Si je vous fais peur, prenez vos jambes à votre cou, car je n’ai pas l’impression que la lecture de mon blog vous réussisse. En l’espace de 3 commentaires, je vous ai fait :
– « vomir »
– « de la peine »
– « peur »…
C’est sans doute que cet endroit n’est pas fait pour vous.
Je relis cet article dont l’importance m’avait échappé à l’époque.
Il me semble qu’à travers les âges, c’est le bannissement qui a représenté l’ultime sentence, et c’est dans cette pratique que les groupes ont longtemps défini leur cohésion et leur autorité. C’était une forme de droit de vie ou de mort sociale, ce que n’est pas tout à fait la prison, qui n’est qu’une mise à l’écart, fût-elle perpétuelle – vos repas, votre couchage, et l’eau chaude de votre douche restent payés par le contribuable. Aujourd’hui quand on parle de prison c’est surtout pour évoquer « l’enjeu majeur » qu’est la réinsertion.
Pour poursuivre dans ce registre ludique que vous avez mobilisé fort à propos, on a tous le droit à une seconde chance, à une deuxième vie que l’on est libre d’utiliser ou pas – comme des enfants dans une cours de récréation.
A un autre niveau, je crois qu’il est sain de se préoccuper de la peine de mort, surtout depuis qu’on en tient l’abolition pour définitivement acquise (au point de ne plus avoir de point de vue solide à ce sujet https://lamaisondesmotsblog.wordpress.com/2016/04/06/la-peine-de-mort-reflexions/) Les cris d’orfraie qui ne manquent pas de s’élever dès qu’on cherche à aborder ce genre de sujets supposément « classifiés » sont pour moi très significatifs du malaise moderne.
Bien à vous
Merci. Votre réflexion est intéressante. Bonne chance pour ce nouveau blog !
J’étais passé moi aussi à côté…
Pour ce qui est des libertés individuelles, je considère justement que la peine de mort constitue pour elles une protection contre la liberté de tuer que certains s’octroient sans raison valable et bénéfique pour la communauté.
Mais ne mélangeons pas tout, les petits délinquants ou les meurtriers « accidentels » (accidents de sport, de la route,…) peuvent eux bénéficier d’une seconde chance, le meurtrier (fou ou bien conscient de ses actes) est un danger pour les libertés individuelles des autres membres du groupe qui prennent un risque de le croiser.
L’élimination de tels parasites ne peut-être que bénéfiques (exemplaire ou pas là n’est pas l’importance ! Une vie pour une vie, tout simplement : la justice, l’équité) en permettant aux concitoyens d’être plus tranquilles en se baladant et en utilisant l’argent de la prison pour financer des écoles ou des terrains de sport.
Il n’y a pas de « droits des individus » qui tiennent dans une société, il y a avant tout des devoirs et s’ils ne sont pas respectés, l’individu d’exclure d’office !
Pour finir (mais il y aurait tellement à dire…), votre premier paragraphe me fait exactement penser au jeu démocratique… « rien n’est plus intellectuellement oppressant que l’idée d’un « corps social » – un troupeau de veaux (souvent de gauche)– qui s’accorde » à décider pour le groupe, à changer les lois et les fondements de notre civilisation « sans ciller, sans douter, sereinement, dans un assourdissant consensus, avec en prime le sentiment du devoir accompli ! »…
Bien à vous.
En terme d’affirmation du vivre-ensemble rien n’est plus exemplaire et flamboyant qu’une exécution publique avec la guillotine, plutôt qu’une injection en catimini au fin fond d’une salle obscure, comme s’ils avaient honte de qu’ils faisaient (sans parler de la méthode peu fiable et douloureuse).
Ben voyons…
Oui, voyons ! Et vous verrez avec un œil nouveau !
Que dire de la guerre (sacrée expérience intérieure comme dirait Ernst) qui officialise et même sacralise le « droit de tuer », la peine de mort appliquée par chaque individu légalement pour défendre des libertés individuelles ou des intérêts communs ??!!!…
La guerre comme la peine de mort sont des moyens de protéger la vie aux détriments de certaines vies.