On entend souvent dire que le monde moderne ne propose plus d’aventure, que tout a été découvert, qu’il ne subsiste plus grand-chose capable de procurer un frisson… Alors voilà : le week-end prochain, faites une expérience extrême : rendez-vous dans la boutique la plus proche et plongez dans l’univers Nespresso.
Heureux détenteur d’une machine Nespresso qu’on m’a offerte il y a deux ans, j’en étais pleinement satisfait jusqu’au jour où, la réserve de capsules épuisée, j’ai dû me rendre en magasin pour la renouveler. Avant d’y mettre les pieds, je pensais qu’une boutique Nespresso était un endroit où on achetait du café. En réalité, la « boutique » n’est pas faite pour ça. Impossible d’empoigner un paquet et de payer en caisse. Tout ce qui peut s’acheter a été mis hors de portée. En termes d’agencement, Nespresso n’est pas une boutique mais un hall de banque d’affaires. Vigiles à l’entrée. Matériaux nobles et éclairage étudié. Produits exposés sous verre. On ne vous laisse pas toucher au café sans passer par un conseiller. C’est que jusqu’à présent, nous buvions notre café sans réaliser qu’il s’agit d’un produit raffiné qui exige l’éducation du goût. Alors Nespresso a concocté un parcours client.
D’abord on choisit sa file d’attente. Les conseillers, au fond derrière un comptoir luxueux, gardent les berlingots de café. On fait la queue. A la musique d’ambiance se mêle un doux brouhaha de cocktail. Comme vous soufflez, une hôtesse vous porte à déguster un café de la nouvelle collection édition limitée sur un plateau. Il convient de plonger langoureusement son nez dans le gobelet et de le retirer avec une mine pensive, jusqu’à ce que son tour arrive. C’est à vous. L’expert conseiller vous accueille en tailleur et gants blancs. On ne parle pas « café » tout de suite. Il s’agit avant tout de vous connaître afin de vous apporter un conseil personnalisé. Votre nom. Votre prénom. Votre numéro de membre (oui, parce que vous êtes « membre »). Le nom de votre modèle de machine et sa couleur. Vous ne savez pas ? Vos coordonnées. Souhaitez-vous profiter de privilèges ? A présent, il est temps de comprendre quel genre de buveur de café vous êtes. Les arômes sur lesquels vous êtes porté. Si vous aimez les touches plus ou moins corsées de la collection spéciale. Voulez-vous qu’on vous les fasse déguster, voulez-vous…HéHOOOO ! JE VEUX SIMPLEMENT QUE VOUS ME PASSIEZ LA BOITE DE CAFE DERRIERE VOUS ESPECE DE MALADE !
Non mais ça va oui ? Cinq minutes que vous êtes pris en charge et vous n’avez toujours pas vu la couleur d’un paquet de café ! J’imagine qu’il se trouve des amateurs pour apprécier ce simulacre d’esprit VIP, admirer la « salle du coffre », prendre le temps de savourer les « touches » et les « arômes » et se demander en son âme et conscience si l’on est plutôt Dulsao de Brazil ou Volluto di Roma… Mais que fait-on des autres ? Ceux qui sont juste venus acheter du café ? Qui ne veulent pas profiter de « privilèges ». Qui ne connaissent d’arômes que : avec ou sans sucre ?
Je veux croire que nous sommes une majorité dans ce cas : à sortir de là en courant pour retrouver l’air frais. A ne plus y refoutre les pieds. Une majorité à suffoquer dans ces endroits propres et sinistres, où toute trace d’humanité a disparu à force d’avoir mis « l’écoute et le dialogue au cœur de la démarche ». Une majorité à être effarés par ce conseiller qui assène ses questions comme un robot, et par cette machinerie infernale qui nous entraîne d’un innocent achat de café à un « club » avec des « privilèges » et un « numéro »… Mécanique infernale qui peu après ma visite, m’envoyait par e-mail une enquête. Première question : êtes-vous l’un des décisionnaires en matière d’achat de capsules de café ? « Décisionnaire en matière d’achat de capsules de café » : pensez-vous qu’un humain parlerait comme ça ?
Je veux croire que nous sommes une majorité, mais le succès de Nespresso laisse plutôt penser que le concept peut faire des émules, se généraliser à d’autres produits et façons de commercialiser. Cette tendance de raffiner le produit à l’excès, d’inventer, sur le modèle du vin et de l’œnologie, un cérémonial, un « bon goût », une expertise, des choses à savoir et des gens qui savent – des connaisseurs… Attacher une qualité et une culture à des choses qu’on consommait jusqu’alors sans y prêter attention, comme le café, le chocolat, la bière… Car désormais il y a une « culture de la bière », des « bières du monde », un goût pour la bière – pour les bières devra-t-on bientôt dire… Un goût qui nécessite d’être éduqué, sans quoi on passerait à côté de quelque chose, n’est-ce pas.
Alors que ces messieurs du marketing se le disent : nous sommes nombreux, nous sommes dangereux ; les fourrés, les maquis, sont plein de ces gens, clandestins, déserteurs, qui fuient toutes vos initiatives, qui sont prêts à boire du café trop fort, trop mou, trop sucré, du café de merde, du café simple, du moment que vous leur fichez la paix. Prêts à payer cher pour être tranquilles et qu’on ne leur adresse aucune démarche de qualité de service ou de satisfaction client. Merci pour eux.
Mmmm. L’effet Nespresso, on le retrouve un peu partout, chez Apple par exemple…
Le produit « de luxe » vendu à un utilisateur moyen. Vendre du rêve peut-être ?
Je suis moi aussi utilisateur d’une Nespresso, un peu malgré moi, mais satisfait tout de même (douce contradiction…)
En effet elle m’a été offerte, car la machine est tout simplement le meilleur rapport qualité prix. Pour avoir un vrai espresso, il faut mettre plus cher, beaucoup plus cher. De plus ma femme aimant les boissons lactées, ce sont des options difficiles à trouver hors Nespresso. Enfin le WAF, en fait le design, est souvent bien meilleur pour une Nespresso. Et il faut reconnaitre que leur café est bon, critère de choix important !
Alors après les capsules sont plus chères, on est dépendant d’une seule marque (plus tout à fait aujourd’hui mais pas loin). Mais j’avais fait le calcul et me faudra de nombreuses années avant d’y être perdant.
Mais par contre je n’ai JAMAIS mis les pieds dans un « Nespresso Store ». Je commande sur internet. Rapide et sans blabla. Bien sûr il y a toujours ce côté « club de riche » qui a plutôt tendance à m’exaspéré (car je sais que c’est du chiqué malheureusement)…
Le coté dégustation, je le reconnait, est largement surfait. Bien sûr on peut sentir quelques nuances, mais la plupart des gens me demande « un café fort », ou « un café pas trop fort » quand je leur fait gouté.
Pour moi le marketing d’aujourd’hui, c’est BEAUCOUP de gachi (combien de millions que l’ont pourrait réinvestir dans l’innovation, ou à faire baisser les coût…)
Pour conclure, si un constructeur proposait une machine design, faisant du bon café, compatible OSE (dosettes non propriétaires) et dans des tarifs équivalents, je n’aurais pas pris de Nespresso, mais à l’époque je n’en ai pas trouvé…
PS : bavard aujourd’hui…
Tout le truc est là : ne jamais mettre les pieds là-bas, et tout se passe bien ! Je suis également tout à fait satisfait du produit lui-même, tant que je commande sur internet et que je ne reçois pas de courrier « privilégié ».
Dommage qu’on ne puisse « poster » votre billet sur Facebook. Je l’aurais partagé volontiers.
J’ai été témoin de ce cirque le mois passé à Miami. Je suis entré pour demander un café et continuer mon chemin. On m’a refusé et on m’a indiqué la file en me regardant comme si j,étais un extra terrestre… suis aussi vite sorti.
Bonne journée à vous
😉
G
C’est le plus drôle en effet : ils ont construit un vrai « cirque » de concept commercial absolument farfelu, et malgré tout ce sont eux qui ne comprennent pas et vous regardent comme un extra-terrestre quand vous demandez benoîtement « du café », ou quand vous ne répondez pas du tac-au-tac à la question « quels sont vos arômes préférés », ou encore si vous ne savez pas dire sivotre machine est une « Citiz gris anthracite »…
Pourquoi ne peut-on pas poster mon billet sur facebook ?
J’ai vécu exactement la même expérience il y a quelques années (depuis, j’achète des capsules L’Or au Casino du quartier).
J’entre ; on m’indique une queue. Surprise, je constate que tous les « vendeurs » sont limite en costume Armani. Je commence à rire sous cape. Un mec entre dans la boutique, le cheveu en bataille, en bermuda, visiblement garé en double file. Il se dirige vers un comptoir mais hop-hop-hop, pas si vite monsieur, un robot l’intercepte et lui indique sa place dans la queue. Il en reste coi. C’est mon tour, la vendeuse commence par me demander si je fais « partie du club », et là c’en est trop, JE N’EN PUIS PLUS, je suis tiraillée entre le fou-rire et la consternation, limite je me sens comme une merde, « je sais pas si je suis membre du club, on m’a offert la machine ». (Mauvaise réponse).
J’ai fini par partir avec deux pauvres petites boîtes de capsules choisies au hasard car je ne connaissais évidement pas les noms des « crus », ce qui a visiblement affligé la vendeuse.
Je suis partie sans demander mon reste, en ayant le sentiment d’avoir vécu un grand moment de surréalisme.
Eh bien ça me rassure de ne pas être le seul à avoir trouvé ça surréaliste, parce que sur place, les gens autour avaient l’air habitués, ils jouaient le jeu et prenaient au sérieux ces histoires de « clubs », « d’arômes », de « crus » (merci Claire, j’avais oublié de caser cet autre mot-clé !)
Je crois que je prendrai comme un affront qu’on m’offre un nespresso ! Tout m’insupporte : obligation d’acheter des capsules à la marque donnée, tarifs prohibitifs (pour rappel, un paquet de 250g de bon café c’est moins de 4€, et la machine n’est même pas moins chère qu’une expresso « de base »), marketing débilitant, George Clooney. Et ça, s’était avant de lire ton article 🙂
Ces magasins ont l’air sociologiquement fascinants et pas mal effrayants aussi. On peut rentrer même si on a pas de nespresso ? juste pour rigoler ?
J’ajoute à la liste de tes exaspérations l’humour agaçant et pincé des pubs avec « Dieu »…
Et oui : on peut rentrer « visiter » une boutique, je pense que ça vaut le coup, surtout si tu aimes l’effroi des « scènes de la vie future » ! C’est fait comme un espèce de « showroom » donc tu peux te balader sans acheter forcément. Tu n’auras pas le frisson lié à l’interrogatoire, mais tu verras déjà le luxe qu’ils mettent dans le lieu, la mise en scène de « l’expérience Nespresso », le manège des afficionados venus « découvrir des crus »… Tu pourras peut-être entendre le laïus d’un conseiller… Pas impossible par contre que tu te fasses happer par un conseiller qui t’indique la file à prendre, ou qu’on te repère comme simulateur, tant tout semble rôdé et mécanique !
Sérieusement, c’est d’un tel ridicule que c’est une expérience à faire. Pas besoin d’aller dans LA boutique des Champs-Elysées ou je ne sais où : je pense qu’elles sont toutes extraordinaires, pour en avoir testées deux : une à Paris (j’ai fait tout le cirque jusqu’à l’achat), une autre à Bordeaux (j’avais oublié à quel point c’était insupportable, j’ai commencé à faire la queue puis j’ai laissé tombé, horrifié).
ah mince il n’y en a pas dans ma province, trop bouseux pour comprendre la beauté de la chose….
J’adore!
J’ai d’ailleurs partagé votre billet sur mon mur Facebook.
http://www.ethicalcoffeecompany.com
Casino, + tard Monop, Franprix etc plus simple moins cher et idem
quand consommer est une expérience spirituelle, quand penserait Guy Debord ?
Oui, je crois qu’on retrouve la théorie que vous ébauchez sur votre blog, selon laquelle nous sommes amenés à produire et à consommer du « spirituel », laissant l’industrie et la manufacture aux pays émergents. Ca rejoint aussi ce que j’ai essayé de dire ici : https://unoeil.wordpress.com/2010/12/13/extension-du-domaine-de-la-marque/
Je n’ai encore jamais lu Guy Debord, bien que son nom me passe devant le nez depuis un moment : il faudra un jour que je m’y mette !
En gros, d’accord mais plus nuancé sur le type d’industries. je vois un équilibre « déséquilibré » entre les zones. Spirituel ou intellectuel peuvent se rapprocher.
Clairement, on est tous d’accord, ça doit et va changer. les X glorieuses auront été un micro-accident de l’Histoire matérielle et spirituelle.
Un ami avait écrit ceci il y a un bout de temps. ça rejoint ce que vous décrivez!
http://blog-inutile.blog4ever.com/blog/lire-article-258409-1888947-article_decafeine_sans_sucre.html
j’aurais du évoquer aussi Roland Barthes, vous avez écrit une nouvelle « mythologie »
My name is not … Bond… James Bond… mais prosaïquement Jean-Paul Gaillard. Et j’avoue être le créateur du « business model » (modèle d’affaires ne conviendrait pas…). panem et circenses…
Désolé, mais c’était les ordres. En fait pire, ce n’était pas les ordres…
Deux dada, l’histoire et la psychologie, ce qui permet de prévoir le comportement des gens. C’est sur cette base que j’ai donc créé le modèle Nespresso qui vous irrite tant. Néanmoins, tant que des gens voudront comme l’expliquait notre feu ami Coluche, une lessive qui lave plus blanc que blanc, mon fiston de business model a de l’avenir.
Etant aussi le fondateur de la société Ethical Coffee Company qui a développé et industrialisé la capsule que vous pouvez acheter chez Casino, je suis en conflit d’intérêt…
Votre blog est effectivement plein de finesses. La dure réalité en est autre.
Finalement, je préfère être Bond… James Bond…
A nouveau, et je n’ai pas le droit de vous féliciter, votre blog est – hommage à Coluche – superpoilant.
Je n’ai jamais eu de Nespresso mais tout le barnum fait autour de cette machine à café me repousse dés le début.
Je me fous de savoir si je bois du « Nectar des Andes » de l »Arabica des Steppes » ou de l’ « Intense des Iles ». Moi je veux du classique, du doux, du corsé. Point. Du pousse-colon qui réveille la tête et titille l’intestin. Pas de la dégustation chichiteuse. Et je veux payer en caisse. Avec mon PQ et ma brosse à dents. Le plus grand voyage à faire pour du café, c’est le changement de rayon.
Tout ça pour dire, merci pour ce texte. Parce que oui, ça fait du bien de voir à quel point on vend du rêve cheap aux gens au point d’en faire un truc surréaliste. Je plains celui qui doit poser les questions toute la journée aux gens venus achetés du café. J’imagine le jour où il feront la même chose pour du Sopalin (avec Scarlett Johansson qui nous montrera à quel point c’est doux, elle ne peut plus s’en passer).
Merci Ranx. Rejoignez la Résistance !
Tiens, cet article a été repris dans Marianne2.fr, c’est normal ?
Oui, j’ai vu ! Ils ont visiblement une rubrique « Vent des blogs » qui reprend des articles qu’ils ont aimé. En l’occurrence, ce n’est pas « Un Oeil » qu’ils suivent mais « CulturalGangBang » : un blog collectif avec qui je partage des articles depuis tout récemment.
http://www.marianne2.fr/Nespresso-entre-marketing-delirant-et-culte-de-l-objet_a202694.html
Avez-vous vu que votre article est repris par Marianne ?
Réponse juste au dessus de votre commentaire ! 🙂
En tout cas, c’est un concept qui marche et qui se develloppe….moi, ça me laisse de marbre, je viens juste acheter mes capsules et gouter de nouveaux gouts.
Dans ces boutiques, vous avez la possibilité de trouver toutes les saveurs de leurs gammes, en ce qui concerne les conseillers, après leurs questions « procédures », ce sont des être humains comme vous et moi, vous avez le droit de discuter avec eux….ou vous moquez….c’est toujours plus facile ! Un concept different…..qui je pense, essai de flatter l’égo, et ça, ça marche bien en ce moment…… faire croire que l’on fait parti d’une élite……
Je viens de lire cet article, excellent au demeurant, je comprends qu’il ait intéressé Marianne !
Euh…sinon, ce genre de mésaventure ne m’est jamais arrivé. Mais sans doute est-ce dû au fait que j’achète mon café à Carrefour, en toute simplicité…;-)
Sur le sujet, amusant à lire…au passage…
http://www.jpgaillard.com/anecdotes/visite-chez-nespresso-aux-champs-elysees