Il est assez fascinant de voir comme l’imagination, pour fonctionner, n’a pas besoin que l’illusion soit parfaite. Elle n’a besoin que d’un simulacre, une pichenette, et la voilà lancée. Donnez-lui un signe, un simple signe et c’est comme si l’illusion était totale.
J’ai souvenir d’une expérience où l’on testait un dindon pour voir à quel point il pouvait être dupé par un leurre-femelle. On se rendait compte que le leurre n’avait pas besoin de ressembler scrupuleusement à une dinde : ni de près ni de loin. Il suffisait qu’il en ait l’odeur, tant et si bien qu’à la fin de l’expérience, le leurre était totalement dépouillé, ce n’était plus qu’une tête en plastique plantée au bout d’une pique, et le dindon en restait éperdument amoureux…
Cela peut faire rire mais nous fonctionnons de la même façon. Rappelons-nous ces fois où d’un regard furtif, nous croyons reconnaître au milieu de la foule la personne que nous cherchions précisément à éviter. Finalement ce n’est pas lui, et à y regarder de près la ressemblance est loin d’être évidente (peut-être l’écharpe, le blouson, ou vaguement la coupe de cheveux…) mais cela nous a suffi, notre imagination a fait le reste.
A ce propos, il est amusant de voir comme certains « effets spéciaux » ont pu nous berner. Prenez ces jeux vidéo ou ces films qui à leur sortie nous ont littéralement époustouflés par leur réalisme, mais qui revus plusieurs années après, laissent apparaître toutes leurs failles. On se demande aujourd’hui comment on a pu s’emballer devant Street Fighter, qui est à peine plus qu’un jeu électronique en couleurs, et par quel miracle on a pris peur devant ce gros requin en mousse des Dents de la mer… Et pourtant, celui qui voyait ce requin sur grand écran en 1975 n’était pas moins bluffé que celui qui voit Avatar 3D en 2010.
Notre cerveau n’a pas besoin d’une illusion parfaite : seulement que l’illusion franchisse un degré supplémentaire par rapport à ce qu’il connaissait. Un cap de plus et c’est comme si l’illusion était totale.
Très intéressant.
En fait, on aurait juste besoin d’une montée en puissance supplémentaire à chaque fois ? C’est pas con. Ça rejoint ce que disait Dantec, dans Les racines du mal, sur la satisfaction de la violence des tueurs en séries.
Quand j’étais un hardcore gamer, y a des années, les jeux vidéos étaient de plus en plus beaux par génération de carte graphique. Mais passé deux ans dans la même génération, les jeux faisaient moins effet, enchantaient moins. Et hop, une nouvelle génération arrive et c’est l’éclate, alors que les jeux, par genre, reproduisent inlassablement le même schéma.
Je ne suis pas si mordu de jeux vidéos mais j’y jouais chez mes amis, et c’est vrai que chaque nouveau jeu auquel on joue semble avoir atteint le degré ultime de réalisme dans sa catégorie… avant que sorte le suivant. Quant aux films, oui, les effets spéciaux nous bluffent non pas par leur perfection « en soi » mais parce que c’est du jamais vu jusque là. A sa sortie, les gens ne voyaient pas E.T. comme une baudruche en caoutchouc. Et même les films encore plus vieux : les premiers monstres de science-fiction qui aujourd’hui font sourire, étaient certainement terrifiants à leur époque, parce que l’imagination des gens d’alors reconstituait d’elle-même le monstre, gommait mentalement les coutures…