Sur internet, on peut trouver quantité de ces vidéos de gratteux anonymes qui reprennent de grands morceaux de rock assis sur un coin de lit ou à leur bureau… Prodiges parce que jeunes, très jeunes même parfois, incroyablement techniques, prodiges parce qu’ils s’attaquent aux morceaux les plus ardus et sont capables de les restituer à la note près… Sauf qu’il leur manque le « modjo ».
C’est le syndrome du musicien de studio, qui a des heures de pratique derrière lui, qui peut jouer tout ce que vous voulez dans tous les styles, mais dont le jeu manque un poil de personnalité. Vous appuyez sur un bouton et il joue heavy. Sur un autre il joue cubain. Encore un autre et un admirable « Jeux interdits » lui sort du bout des doigts. Toutes les notes sont là, à leur place, l’instrument sonne exactement comme il faudrait… mais le rendu est comme froid, désincarné, « l’âme » de la chanson est restée accrochée au porte-manteaux. On ne saurait dire ce qui cloche mais le fait est là : la magie n’opère pas.
Il y a quelque chose qui tient peut-être de l’illusion possessive : la chose qui fait qu’au moment où l’on croit toucher le truc du doigt, il s’effrite. Ces gratteux anonymes sont un peu l’équivalent en musique des restaurateurs en peinture. Et ils sont bien sympathiques au fond. Il faudrait simplement leur inventer un registre à eux, entre musique et prouesse technique. Le « bedroom rock », que ça s’appellerait. Le bedroom rock : c’est bien, mais juste dans ta chambre.
Et qu’on vienne pas me parler de « dissonance cognitive ». Hein Patrick.
Un pincement de culpabilité me pousse à apporter cette précision : le jeune homme pris en exemple dans la vidéo n’est pas forcément le plus typique de ce que je dépeins. Ce n’est d’ailleurs pas tout à fait un anonyme puisque son talent lui vaut une certaine notoriété sur internet et même à la télé. Je constate qu’il sort tout juste son propre album, tout seul : http://www.youtube.com/user/mattrach. Quelques années de pratique assidue de « bedroom rock » lui auront donc permis de s’exprimer aujourd’hui plus personnellement que par ses reprises. Souhaitons lui bonne chance.
Bonjour,
Il y a quelque chose d’incohérent dans votre billet, dans le sens où votre concept d’illusion possessive (auquel je souscris plus ou mois) se traduit surtout par une désillusion personnelle. On est dans le domaine de l’intime.
Quel est le rapport avec cette performance, aussi dépourvue d’âme soit-elle ? Avez-vous en votre possession des lunettes magiques qui rendent perceptible la désillusion d’autrui ?
En tout état de cause, ça ne semble pas être le problème principal de ce jeune hobbit. Vous noterez plutôt qu’il s’attaque à un répertoire qui a surtout été encensé pour sa qualité technique et son côté novateur.
(Et là sachez qu’il existe des classements, et que ce n’est pas du 2ème ou du 3ème meilleur guitariste de tout les temps dont il s’agit ici, foutre dieu ! http://www.rollingstone.com/music/lists/100-greatest-guitarists-of-all-time-19691231)
Hélas aujourd’hui le côté novateur tombe un peu à l’eau. Ne reste guère que la technique, et celle de ce célèbre guitariste a été pillée plus souvent qu’à son tour.
Si la presse spécialisée de masse voit la musique comme du tennis, qu’on ne s’étonne pas de cette déferlante de guitaristes sans âme. Pas facile d’aborder l’univers souvent complexe d’un artiste dans ces conditions. Nonobstant ces circonstances atténuantes, faire le choix de reprendre Hendrix en 2011 revient à afficher clairement son goût pour la flamboyance technique, au détriment d’une certaine poésie. Il n’y a pas de hasard… Je vous fiche mon billet que les fans de Neil Young font un bedroom rock autrement plus enchanteur. Facile.
Exact : ça n’a finalement rien à voir avec l’illusion possessive… (la suite de ce que j’ai à répondre est ci-dessous)
j’ai plutôt une immense sympathie pour les chanteurs et gratteux du web, ceux à quatre sous, qui interprètent les grands du répertoire dans leur chambre de bonne. C’est vrai que cette sympathie l’emporte sur une analyse un peu plus froide.
Est-ce bien une question de sympathie? Que des adeptes du bedroom rock (j’adore ce concept) passent des heures entre leur pieu et le miroir, gratte en mains, qui oserait y redire ? Mais voilà : internet !
Avec Internet, des millions de gratouilleux et de chantonneuses s’affichent, et ils auraient tort de s’en priver, mais ils s’exposent aussi au commentaire, à la critique et pire : à l’analyse !
D’où l’émergence d’un concept, car le sociologue ne sommeille que d’un oeil…
Ha, j’oubliais : un classement des 100 « meilleurs guitaristes de tous les temps », outre son côté présomptueux, devient carrément comique quand on remarque l’absence de géants qui eurent le tort de ne faire ni rock, ni variétés…
Oh, il y a bien John McLaughlin (sauvé parce qu’il n’a pas fait QUE du jazz). Il est à la 49E place, loin derrière le néolithique Kurt Kobain…
Au vu des commentaires, il me faut préciser la définition du bedroom rock : le bedroom rock n’est pas synonyme d’amateurisme en chambre ; il n’inclut pas toute personne s’essayant à chantonner/gratouiller devant une webcam. La spécificité du bedroom rock est qu’il s’attèle à la performance de la prestation, à sa « flamboyance » comme dit Ben, il y a une notion « d’exercice » : le bedroom rocker va choisir un morceau non pas parce qu’il pense avoir quelque chose à lui apporter en termes d’interprétation, mais parce qu’il est réputé complexe à jouer et que c’est une performance de le reproduire (d’où le « je publie sur YouTube pour vous montrer ce que je sais faire »). Exit donc les Neil Young : ici c’est Van Halen, Hendrix, et tout ce qui multiplie les notes et fait mal aux doigts. Et c’est là que le bas blesse : car quand Jimi joue, on n’a justement pas l’impression qu’il se fait mal aux doigts. On n’a même pas l’impression qu’il touche les cordes à vrai dire : on dirait plutôt que la guitare couine toute seule sous son inspiration. Mais d’ailleurs, le bat ne blesse peut-être pas : peut-être que c’est sans complexe que ces bedroom rockers visent une performance technique plus qu’artistique.
Le débat sur les « 100 meilleurs guitaristes de tous les temps » cristallise d’ailleurs très bien cette nuance entre musique et « bedroom rock » : car autant on imagine ce que c’est que le classement des « 100 meilleurs groupes » de tous les temps, mais les « 100 meilleurs guitaristes », qu’est-ce que c’est ? Les plus techniques ? Les plus inspirés ? Les plus novateurs ? Comment isoler la performance guitariste du reste musical ? Typiquement : malgré tout le bien que je pense de Neil Young, est-il un « grand guitariste » ? Et c’est encore plus flagrant avec Kurt Cobain en effet : que Nirvana figure parmi les « 100 meilleurs groupes », ça peut encore s’argumenter mais Kurt Cobain ne peut certainement pas être le « 12ème meilleur guitariste de tous les temps », ni même compter parmi les 100 premiers.
« …mais Kurt Cobain ne peut certainement pas être le « 12ème meilleur guitariste de tous les temps », ni même compter parmi les 100 premiers. »
Eventuellement parmi les 100 plus morts ?
Hi hi. Arth : vous ne voudriez pas nous faire ce classement : les 100 guitaristes les plus morts de tous les temps ?