Téléfilms Historiques Français

Parmi les agacements de la vie, il y a ces téléfilms historiques que nous sert de temps à autres France Télévisions, qui commencent par se présenter comme le fruit d’un travail sérieux (nous sommes le service public), insistent dans leur bande-annonce sur la fidélité de la reconstitution, prétendent « enfin lever le voile sur une période trouble », pour au final ne valoir guère mieux qu’une bluette, un Terre indigo transposé dans un contexte historique… Et tous les poncifs qu’on croyait déjà connaître sont visités un par un.

Dans cette catégorie, la palme revient au téléfilm sur l’Algérie, passé il y a quelques années, où les pieds noirs étaient infâmes, invectivant leur boniche algérienne et ne pouvant prononcer le mot « aRRRabe » sans grimacer, tandis que le héros, bel et jeune officier, s’étant engagé dans l’aventure de l’Algérie française par idéal avec le rêve d’un monde nouveau à bâtir où ouvriers des deux peuples se donneraient la main, tombait de haut en découvrant l’affreuse réalité de la Kolonization

Le plus stupide en fin de compte, dans ces films de mauvaise facture, le plus antihistorique, c’est la figure du héros, qui a toujours l’heur et le bon goût de réfléchir en homme de notre temps. Blum, Zola, Camus, Jean Moulin… Quelle que soit la période, ce héros a toujours l’Histoire avec lui. Il a été à bonne école, contrairement à toute son époque ! Il agit comme s’il avait la science de ce qui s’est finalement passé.

  • Si c’est un officier de 14-18, il voit dans la guerre une boucherie, et dans les Allemands d’en face de pauvres bougres qui n’ont rien demandé. Il est militaire, mais le nationalisme lui semble une belle connerie.
  • Si c’est un jeune homme sous l’Occupation, il n’y réfléchit pas à deux fois. Pas une seconde il ne doute de l’issue de la guerre : ce ne sont que quelques années à tenir avant que les Américains débarquent, ça vaut carrément le coup de prendre le maquis !
  • Si le héros est une femme du XIXème siècle, elle est bien entendu libérée avant l’heure : outrée qu’on n’en soit pas encore aux 35 heures, suffoquée par la morale étriquée de ses amies bourgeoises, au fond dans sa tête c’est une femme des années 80

Et ainsi défile la ribambelle de héros, anachroniques, complètement extérieurs à leur époque, qui ont la Vérité avec eux et qui l’ont seuls, seuls s’il ne se trouvait une petite Mélanie Doutey à leurs côtés, infirmière, institutrice, pour les encourager et leur confirmer qu’ils s’apprêtent à devenir de grands personnages de l’Histoire.

« Bonjour. Nous avons raison. »

Ce qui est profondément faux dans cette approche, c’est de ne pas comprendre que telle ou telle opinion qui a cours aujourd’hui puisse être anthropologiquement impossible à avoir à une autre époque. Ce qui est fallacieux est cette façon d’aplanir la complexité du passé, de la gommer sous l’évidence des positions morales d’aujourd’hui. Ces téléfilms pensent peut-être honorer les personnages dont ils traitent en leur donnant raison contre tous, mais ils les amoindrissent au contraire : en laissant entendre que c’était là ce qu’il fallait faire, que c’était la seule posture à adopter pour un homme digne tant soit peu, ils ôtent aux actions de ces hommes leur force, à leurs choix leur difficulté, à leurs jugements leur singularité, aux événements dans lesquels ils étaient plongés leur caractère chaotique… En fin de compte ils ôtent à l’Histoire tout son vertige et tout son sel.

Curieusement, l’attitude moraliste sur l’Histoire devrait s’estomper avec le temps et la distance, évoluer vers une plus grande sérénité, mais à travers ce genre de téléfilms elle fait chemin inverse : sur des évènements parfois vieux d’un siècle, elle pointe du doigt, distribue les bons et mauvais points, oppose de façon plus implacable les parties d’alors… Elle condamne à nouveau, déforme et exagère, appelant ainsi les contradicteurs potentiels à exagérer à leur tour dans l’autre sens… C’est ainsi qu’on n’y voit pas nécessairement plus clair et que la dispute peut continuer.

7 réflexions au sujet de “Téléfilms Historiques Français”

  1. je partage entièrement votre analyse.
    Le héros permet, par contraste, d’exacerber les lâchetés, voir les crimes, des « autres ». En dénonçant les ignominies du passé, on occulte celles d’aujourd’hui. On s’achète ainsi une bonne conduite. Comme si, en jugeant l’Histoire, on devenait des modèles de courage et de vertu, de respect de la vie… Comme si la société contemporaine n’avait plus d’injustices à combattre, de guerres et de massacres à arrêter… et qu’elle pouvait condamner, au nom de sa grande moralité, les hommes du passés. Ceux qui ne sont plus là pour se défendre des critiques.
    Une question que je me pose souvent : dans quel camp aurais-je été à l’époque ? On s’imagine forcément dans celui des héros, pas dans celui des lâches ! Pourtant il suffit de regarder la crise économique qui touche tant de familles. C’est chacun pour soi. Tant que l’on tire son épingle du jeu, tout va bien. Alors, sous la domination nazi, par exemple, qu’aurait-on fait ? Où sont les héros ?

  2. Absolument d´accord avec ce que vous dites. C´est un sujet qui m´énerve souvent, celui de la moralisation de l´histoire sur les médias. Une remarque à ajouter à ce que vous écrivez: je trouve le phénomène plus grave encore dès qu´il saute du petit écran et s´installe sur le grand. Forts du halo « artistique »» inspiré par le mot « cinéma »,
    les films historiques se présentent comme les regards canoniques, fidèles et légitimes sur le passé. Dans mon pays, l´Espagne, on a poussé ce regard trompeur sur l´histoire jusqu´à des niveaux écœurants. D´autant plus que notre histoire récente (guerre civile, dictature, transition vers la démocratie…) a été assez houleuse et pleine de clivages internes (en France, même si ces derniers ont existé, il y a eu normalement un enémi extérieur qui fait l´unanimité à peu près, mais en Espagne, les seuls ennemis des Espagnols ont été les Espagnols de l´autre tranchée ). Peu importe. Nos grands maîtres à penser, scénario ou caméra à la main, déguisés en profs d´histoire, ne s´embarrassent pas de nuance, du moindre doute, du moindre clair-obscur. Bref, l´ingestion de leurs produits est à éviter même si on ne souffre pas des problèmes digestifs.

    1. Merci d’apporter votre témoignage. Pour le coup, contrairement à vous cela me dérange moins dans le cinéma, parce qu’alors on sait que c’est un « auteur » qui tient la caméra et qui avance son parti pris et sa conviction. A la télévision publique en revanche, il y a un faux-semblant de neutralité, d’autant plus quand la bande-annonce affirme qu’on va enfin tout savoir, tout comprendre, qu’on va lever le tabou et régler la question une fois pour toutes… Un téléfilm historique sur France 2 a valeur de cours d’histoire, et ils doivent d’ailleurs certainement être montrés aux élèves, j’imagine.
      Ce qu’il y a de gênant et de dangereux, c’est vraiment cette simplification. L’Histoire, la vraie, est beaucoup plus riche que cela, que des méchants et des gentils. Entre le collabo et le résistant, il y a des nuances complexes, des gens qui n’ont été ni l’un ni l’autre ou qui ont été les deux ! Ces positions ambivalentes ne sont jamais représentées alors qu’il y a toutes les chances qu’elles aient représenté la majorité des cas.
      Merci de votre passage en tout cas.

  3. « (en France, même si ces derniers ont existé, il y a eu normalement un enémi extérieur qui fait l´unanimité à peu près, mais en Espagne, les seuls ennemis des Espagnols ont été les Espagnols de l´autre tranchée ) »
    —————————————————————–

    Non, non, Jose Antonio, détrompez-vous ! Nous avons eu la monarchie et puis nous avons eu l’Empire et pour finir l’UMP… les ennemis étaient bien à l’intérieur ! On a même eu dû mal à les déloger ! 😉

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