Je lis L’homme médiéval, une compilation de conférences d’historiens du Moyen âge, portant chacune sur un profil d’homme de cette époque : le moine, le guerrier, le citadin, le paysan, l’intellectuel, le marchand, le marginal…
(quelques extraits du livre ici)
Le Moyen âge nous est devenu totalement étranger. Nous avons beau en descendre, c’est une planète exogène et fantaisiste, d’une étrangeté bien supérieure à celle auto-supposée des « univers imaginaires » créés par la science-fiction et le cinéma. C’est une civilisation et une anthropologie à part, qui ne semble pas proposer de passerelle vers nous ni ne laisse aucun moyen de s’y projeter. Le Moyen Age dans sa vue d’ensemble, trop autre, trop riche et fourmillant, est devenu inconcevable pour le cerveau moderne. Et ce livre, en le déconstruisant en une mosaïque de vues subjectives, offre d’en explorer un morceau après l’autre. Il en ranime chaque partie tour à tour, isolément, chacune éclipsant immédiatement la précédente.
C’est comme de traverser une pièce noire avec une lampe torche : les éléments de la pièce se présentent à notre esprit et n’y demeurent que tant qu’ils se tiennent dans le faisceau de la torche ; ils retombent dans le néant aussitôt que le rond lumineux choisit de se poser sur un autre endroit de la pièce.
Et c’est ainsi que nous aimons lire, finalement. Si l’on voulait bien faire, face à cet ouvrage riche et passionnant, il nous faudrait prendre des notes, retenir, faire des rapprochements… Comme ce grand-père dont les livres aujourd’hui sont couverts d’annotations, de mots soulignés, de commentaires en marge, et ce quel que soit le type d’ouvrage. Je comprends l’envie de vouloir faire meilleur profit de ses trouvailles, d’approfondir et de creuser… mais j’aime autant la façon légère et insouciante de tout laisser filer : le plaisir particulier de la lecture qui s’évanouit aussitôt lue. Sensation agréable de « gâchis », que tout ce qu’on est en train d’apprendre nous file entre les doigts. Que tout ce qu’on est en train de lire se désagrège presque en même temps qu’on le découvre. Et que l’ignorance soulevée par la course des yeux sur le texte se redépose aussitôt après notre passage, comme la poussière.
D’un livre aimé, de milliers de lignes et de détails, on ne retient souvent qu’une singulière mais vague sensation. Une impression générale. Et de ce Moyen Age que l’on traverse de façon vivante et profonde à travers ce livre, on ne retiendra que quelques coups d’œil jetés par la fenêtre ; ceux d’un voyageur qui ne descend pas de sa calèche.
Merci pour le billet, ça m’a donné envie de lire le livre et de squatter des calèches.
je me plains moi aussi de ce que j’oublie de mes lectures, je les ai multipliées, me disant qu’il valait mieux garder un souvenir bien digéré que de pesantes citations, mais quand on pense au nombre d’heures qui leur son consacrées et ce qui reste au final, c’est un peu décourageant. Je comprends que l’on puisse préférer la vraie vie, qui semble laisser plus d’images au final.
Ah mais je ne me plains pas ! 🙂 Au contraire, je pense qu’on retire des choses d’une lecture superficielle que l’on perdrait si on cherchait à « étudier » le livre plutôt que le lire. C’est exactement comme un voyage : traversez le pays et savourez l’instant, mais vos centaines de photographies ou vos notes de carnet n’immortaliseront pas vos ses sensations. Elles souligneront au contraire cruellement que l’esprit des choses ne s’est pas laissé capturé et qu’il est resté là-bas.
C’est exactement comme un voyage : traversez le pays et savourez l’instant, mais vos centaines de photographies ou vos notes de carnet n’immortaliseront pas vos ses sensations. Elles souligneront au contraire cruellement que l’esprit des choses ne s’est pas laissé capturé et qu’il est resté là-bas.
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Sauf si on s’appelle Nina et que l’on vit à Istanbul.
Essayez ce blog et vous changerez d’avis sur l’esprit des choses qui ne s’est pas laissé capturer.
http://www.couleurs-d-istanbul.com/