L’effet « brunch »

Ardoise-brunch

Comment vendre 20 € de simples œufs brouillés ? En les rebaptisant « brunch ». Ajoutez un thé, un café ou un jus d’orange, et alors le monde se précipite ; et il repartira ravi d’avoir déboursé ce prix pour l’agréable moment dominical passé en famille ou entre amis.

L’astuce n’est pas nouvelle : c’est l’éternelle histoire du jean troué ou délavé, vendu plus cher qu’à l’état neuf. Ou encore c’est l’histoire du dernier « lieu » à la mode, installé dans des décombres et meublé à la récup’, dont le service est inexistant et où le client doit faire tout lui-même, où les petits extras qui sont ailleurs offerts sont ici payants… mais où, en contrepartie, tout est beaucoup plus cher que dans le café standard d’en face qui fait correctement le job…

Repackagés selon la tendance, le cheap, le foireux, l’indigne, gagnent une nouvelle désirabilité, et peuvent à ce titre être refourgués non pas au prix du standard mais à celui du luxe. Le surcoût, en réalité, est celui de l’immatériel que l’on achète avec le produit : la soi-disant « expérience » attachée à l’acte de consommation.

hipster[clic]

Longtemps, cette combine n’a fonctionné que sur un marché restreint : celui des adolescents en quête de supplément d’âme – les gens plus raisonnables s’en tenant à leur critère habituel de rapport qualité/prix. A ces ados seulement l’on pouvait vendre un T-shirt merdique à partir du moment où il portait l’inscription « music is life ». A eux seulement l’on parvenait à faire boire un café médiocre pourvu qu’on leur dise qu’il était moulu par un Mexicain. Mais la nouveauté, c’est que l’astuce se pratique désormais à une échelle beaucoup plus vaste, qu’elle touche tous les secteurs et qu’il est difficile d’y échapper.

Tout est concerné ou presque. Tout prend du prix et tout prend, au passage, cette petite touche vernie de cirque à supplément d’âme. Tout se met à vendre, en même temps que le produit (et pour un coût supplémentaire), la petite attitude, le petit esprit de fabrication, le petit supplément de convivialité qui, lorsque le monde tournait rond, faisait naturellement partie du tout. De la même façon que la boulangerie du coin, désormais, ne peut absolument plus se contenter de bien faire son travail mais doit ostensiblement jouer à « la bonne boulangerie », à la boulangerie d’autrefois, avec son surplus de farine, ses bonnets de meunier, son « tu-l’as-vue-ma-tradition ? »… exactement de la même façon chaque commerce tend à devenir non plus un simple commerce, mais une petite machine à spectacle qui intègre le coût de ce spectacle au produit réellement vendu.

Ce qu’il se passe immanquablement, lorsque les badauds se sont lassés et que le petit cirque s’en va, c’est que les prix se maintiennent : le pain au chocolat sans-le-cirque reste aussi cher qu’avec ; le jean non troué prend le prix de celui que l’on vendait lacéré… et l’on attend ainsi la prochaine mode, le prochain cirque, l’« effet brunch » qui permettra de vendre la vessie au prix de la lanterne.

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