Le film « Un Français », sorti l’année dernière, retraçait la vie d’un skinhead repenti. Une chronique des Inrocks expliquait que, le film se déroulant sur la période de 30 dernières années, « les plus grands moments de l’histoire de l’extrême droite en France sont traités, des affrontements entre punks et skinheads dans les années 80 à la récente Manif pour Tous en passant par le 1er mai 1995, jour où Brahim Bouarram fut noyé dans la Seine par des skinheads ».
La grande histoire de l’extrême droite française, pour les Inrocks, c’est donc 1980-2013. Maurras, l’OAS, Dreyfus, les Cagoulards ou la poignée de main Pétain-Hitler peuvent aller se rhabiller. Les Inrocks ne sont pas seuls d’ailleurs : beaucoup de gens sont aujourd’hui saisis par une peur authentique de la menace fasciste.
J’avoue, penaud (et je le regretterai peut-être le jour où je croupirai au fond des geôles d’une nouvelle Gestapo), que je suis beaucoup moins touché par cette peur que mes contemporains. La dernière fois que j’en ai frémi, je devais avoir 17 ou 18 ans. Depuis plus rien.
Je ne peux me défaire de cette idée qu’au fond, le fascisme a vécu entre 1922 et 1945. Il faut dire que l’actualité des dernières années est toujours allée dans le sens d’un dégonflement de baudruche à chaque fois que la menace fasciste a pointé son nez. De Merah à Méric, du tireur fou Abdelhakim Dekhar à l’agression homophobe de Wilfred pendant les manifestations du mariage gay, le scénario est toujours le même : on espère de tout son cœur que le coupable en cavale est un skinhead homologué, un xénophobe pure souche, un catholique intégriste… La République monte sur ses grands chevaux. Le signalement est donné : « crâne rasé, doudoune verte ». Alerte rouge ! Finalement le sanguinaire s’avère avoir une capuche, celui qu’on prenait pour l’innocent dévoré par l’hydre nazie s’avère être lui-même l’agresseur, le tireur d’extrême droite s’avère d’extrême gauche… et curieusement tout le monde trouve cela beaucoup moins intéressant. Le soufflé retombe. On se remet de son émoi et on attend avec espoir la prochaine histoire vraiment nazie telle que son imagination la rêve.
Si les médias peuvent déformer la réalité et générer par exemple un « sentiment d’insécurité » dans des villages où il n’y en a pas, ne peut-on pas de la même façon mesurer un écart, une disproportion, entre la place que prennent les mises en garde, les discours, discussions et lois contre le fascisme ou le racisme, et le nombre de faits véritablement racistes ou fascistes qu’il est possible de constater au quotidien ? A titre personnel, je peux compter sur les doigts d’une main les scènes authentiquement racistes auxquelles j’ai assisté dans ma vie. Elles étaient en général le fait d’un ivrogne de rue ou d’un vieil oncle à la fin d’un repas. Voilà bien longtemps également que je n’ai pas croisé un néo-nazi en bonne et due forme. En recherchant une illustration pour cet article, j’apprends d’ailleurs dans un article de Slate qu’il n’y aurait que 400 spécimens répertoriés dangereux en France.
Sur ce sujet je suis assez jospiniste, finalement ; je prends le fascisme et l’antifascisme contemporains en grande partie pour du théâtre. Pourtant, chacun peut mesurer que l’extrême droite progresse. Les gens sont-ils de plus en plus nombreux à épouser le national-socialisme ? La haine de la démocratie ? Je n’en ai pas l’impression. Si « l’extrême-droite progresse », c’est peut-être en partie parce que sa définition s’est élargie au fil des ans, et que de fait de plus en plus de gens et d’opinions s’y trouvent comptabilisés.
Hier, vous étiez facho si vous pensiez qu’un noir valait moins qu’un blanc, si vous portiez une cagoule du Klu Klux Klan, si vos convictions étaient antiparlementaires ou si vous considériez la violence comme une solution. Aujourd’hui, les règles d’admission sont moins contraignantes et les occasions innombrables : vous pouvez être fasciste si vous êtes pour la fin de la monnaie unique, antisémite si vous commettez un bras d’honneur à la façon d’un certain humoriste, raciste si vous jugez que l’immigration créé des complications sociales ou politiques, ou si vous persistez à croire que chacun vient au monde avec un sexe déterminé…
Conséquemment, forcément, l’extrême droite progresse.
Votre texte libère ! il touche au vrai, vous avez le don de défaire délicatement mais sûrement la fine pelure posée sur certaines choses, et qui font qu’on les voit comme cela tandis qu’elles sont autrement.
Il y a tant à dire sur ce sujet. En fait de société, ce serait même Le sujet à traiter, et nul doute qu’il masque, par système de strates d’autres ressorts qu’il serait curieux de découvrir.
Merci. Et merci de relever la délicatesse de l’exercice, sur ce sujet précisément où l’on aura tôt fait d’assimiler tout questionnement ou mise en doute comme une justification dissimulée de l’extrême droite. Il me semble pourtant salutaire de le faire, car les faits ont beau être là, accessibles à tous, ils ne tardent pas à être recouverts par la fiction médiatique.
oui il y a des plates bandes à notre réflexion qu’on ne peut franchir sans représenter un danger pour le troupeau. On ne réfléchit donc pas vraiment, puisque c’est socialement sanctionné.
Nous sommes un peu condamnés à être notre propre répartie, le dialogue est réservé à ceux dont les idées convergent. Je trouve cela terrible.
Vous avez raison de parler de théâtre. Tout est hautement psychologique. Les enjeux sont dans les non-dits (vous évoquiez la quenelle et le FN par exemple), et ce carnaval sardonique n’en apparaît que plus dangereux à ceux qui en ressentent l’hostilité.
Pour le racisme par exemple, votre point de vue est le reflet de votre expérience personnelle et n’est pas plus généralisable qu’une autre « réalité » que l’on déciderait d’invoquer. Vous critiquiez la fiction dans un post antérieur. J’ai tendance à penser que nous vivons dedans. Celle qui s’affiche comme telle a l’humilité (ou le plaisir) de revendiquer son masque.