Vu l’autre jour un DVD d’entretiens avec Michel Foucault, figure intellectuelle française dont je ne connaissais rien. La seule chose qui m’ait modérément intéressé est une discussion filmée entre Foucault et quatre ou cinq autres personnes (dont un jeune André Glücksmann), qui refaisaient le monde autour d’une nappe en toile cirée.
Nous voilà ainsi en 1977, dans une cuisine d’époque, à l’heure du pousse-café, au milieu de la fumée de Gitanes, avec ces gens d’époque qui parlent politique… Le moment est assez vivant et pourtant on est laissé à la porte des discussions, les protagonistes s’exprimant dans un langage atterrant, dogmatique, abscons, empesé d’une grammaire marxiste et hégélienne avec laquelle ils semblent à l’aise mais qui est devenue incompréhensible et inadaptée à l’esprit contemporain. J’avais trouvé cette même façon balourde de s’exprimer chez Guy Debord et sa Société du spectacle (voir l’article), écrit à la même époque ; ce qui me laisse croire qu’elle n’est pas un défaut particulier mais une manie de l’époque, une déformation collective qui fut la marque de ce temps (la fin des années 60 et les années 70) au sein d’une certaine gauche et peut-être même au-delà.
On peut encore lire aujourd’hui un auteur comme La Fontaine, bien qu’il ait pensé et écrit il y a des siècles et que la langue française dont il use n’ait plus cours : le lecteur contemporain voit très bien de quoi il est question, il peut encore comprendre de quoi il parle, à qui il fait allusion. Les enseignements à tirer de ses fables sont encore valables dans le monde actuel. A l’inverse, nous sommes éloignés de 40 ans à peine de ces intellectuels modernes, nous sommes supposés parler le même français qu’eux, mais nous ne pouvons plus les entendre, ils semblent parler une autre langue, vivre dans des conceptions dont l’usage est perdu, réfléchir dans une bulle de formol… Leurs mots et leurs réflexions ne se rapportent à rien d’appréhensible dans notre réalité vécue.
Cela est bien triste pour eux.
Ça me fait penser à une sorte de mise en abîme. Toi-même tu t’exprimes dans un français qui se raréfie.
je crois que la paupérisation du langage est aussi celles des idées, et réciproquement.
https://olideo.blog/2016/10/22/de-la-veritable-nature-de-roland-barthes-michel-foucault-comparaison/
Cela s’explique aussi par leur côté universitaire dans lequel ces intellectuels ont emprunté toute leur panoplie.
Ces intellectuels sont des bourgeois critiquant leur propre classe et ses penchants, mais ayant en réalité en propre tous les penchants intellectuels de la bourgeoisie : abstraction, besoin de classifier, maniaquerie des concepts, livres conçus comme des entreprises impossibles et démesurés (les livres de Foucault notamment, qui prétend résumer des époques entières à lui tout seul, il parle de l' »âge classique », du « Moyen Age » comme si ces époques étaient d’un seul pièce).
Cette époque était intensément intellectuelle, mais aussi très, très brouillonne, anarchisante au possible. Stimulante, mais un peu « décadente » d’une certaine manière. Nombre de livres de l’époque (structuralisme, etc) sont aujourd’hui illisibles.