Sous son air de rien, l’expression est terriblement parlante, chargée de sens et même d’une pointe de causticité. Se rendre à l’évidence.
“À un moment donné, il faut se rendre à l’évidence”. Tel un forcené retranché dans l’arrière-boutique. Se rendre, cerné, fait comme un rat. Se rendre à l’évidence, comme au terme d’une cavale dans les fourrés de l’imagination. Une cavale qui a assez duré. Finies les bêtises, les espoirs idiots. Tu t’es bien amusé, on t’a laissé courir, on a été gentils. Maintenant c’est terminé, rends-toi à la raison. Les mains sur la tête et les armes déposées.
On reste jeune, vivant, tant qu’on ne s’est pas tout à fait rendu à l’évidence ou à la raison. Pas définitivement. La vie, pour la plupart des gens, est une suite de petites redditions comme cela : redditions que l’on croit ne pas être complètement fatales, mais qui le sont dans leur succession et leur façon de s’échelonner dans le temps. On rêve, puis l’on se rend à l’évidence, concédant à la force des choses. On se rend à l’évidence, en circonscrivant son rêve à un champ d’expression un peu plus modeste. On se rend, seulement partiellement croit-on, seulement temporairement. Il sera toujours temps de trouver autre chose, plus tard, ou de faire différemment croit-on. On s’accomode de cette cellule à dimensions raccourcies, on pense qu’on a ainsi négocié la paix, le répit. Mais quelques années plus tard, l’évidence revient, exiger son reste. Exiger encore un peu de soi.
Fulgurant, le texte sert très bien le sujet. A lire, et à méditer.