Couple impossible

Dieu sait que l’amour est indulgent avec les hommes, il s’accommode des « grands écarts » entre :

  • un homme laid et une femme sublime,
  • un vieux briscard et une petite jeunette,
  • un bon vivant ventripotent et une sportive chevronnée,
  • un type fauché et une bourgeoise…

En revanche je suis formel (je viens d’en croiser un) : il ne peut pas fonctionner de couple où la femme a une trop grande différence de grandeur avec l’homme.

C’est rédhibitoire. Quel que soit l’amour que ces gens se portent, leurs qualités réciproques, leur histoire… L’un à côté de l’autre, ils donnent à voir un spectacle simplement trop croquignol pour que l’entourage, ou le miroir, leur renvoie autre chose qu’une image négative ou comique. Image qui lentement et sûrement, vient à bout de leur union un de ces jours.

Comment en serait-il autrement ? Comment l’homme de ce couple n’en arriverait pas, au gré des regards fugitifs et narquois, à développer naturellement une rancune envers sa femme ? Ou à se vexer à force qu’on ne prenne jamais son duo au sérieux ? Comment ne finirait-il pas par prendre ombrage du fait que le monde persiste à voir, là où il manifeste sa passion et sa virilité, l’image d’un petit garçon donnant la main à sa grande sœur, ou tendant le front à maman pour recevoir un baiser ?

Et par « grandeur », je ne parle pas seulement de taille : plus généralement, l’amour ne s’accommode pas d’une trop grande différence d’allure et de prestance. Il n’y a qu’à se rappeler cette fête, que nous avons essentiellement passée désolé, à regarder cette fille élégante et distinguée à l’autre bout de la pièce, tenir à son bras une loque à casquette sans style ni tenue… Spectacle aussi désolant que celui d’un âne saillant une jument : le fruit de l’union sera peut-être plus tard un mulet robuste et vaillant ; en attendant la scène est, le temps de son accomplissement, exclusivement bouffonne, disgrâcieuse et grotesque.

Histoire d’amour (se raconter une ~ )

Trouvé sur Facebook quelque chose qui m’a rempli de joie : une personne qui publiait cette photo et la légende qui va avec :

« Ce qu’il y a derrière moi me fait du mal et me fait peur
mais maintenant que je suis dans tes bras je sais
que je ne risque plus rien puisque tu me protège… »

Réalisé sans trucage… Cela m’a rempli de joie parce que je n’aurais pas su inventer meilleur exemple pour parler de ces personnes dont l’activité amoureuse consiste essentiellement à se projeter une image. A se raconter une histoire.

Ce sont ces personnes qui, en amour, sont attachées à des archétypes, abonnées à des scénarios de vie. Ce sont ces femmes qui tombent toujours amoureuses du même type (le Winner, le Voyou, l’Esthète, l’Italien connard…). Ce sont ces hommes qui ne peuvent être à l’aise qu’avec un genre de femmes précis (la Princesse, la Rigolote, Celle qui acquiesce, l’Infernale…), ou un schéma de relation précis.

Une fois en couple, ces personnes se rattachent à des scénarios d’amour. Elles entretiennent par exemple un mythe fondateur. Combien de fois nous ont-elles raconté, la voix réjouie :

« J’étais en rade sur un bord de route et il a débarqué »
« C’est elle qui m’a sorti du trou »
« On s’est engueulés dès la 1ère fois ! »
« On était ensemble en maternelle, on s’est perdus puis on s’est retrouvés ! »
« Le 1er soir on a discuté la nuit entière »…

Ces gens-là ont besoin de se raconter une histoire, ils n’ont en vérité pas grande envie de s’occuper de l’autre. Ils se mettent en couple, obéissant à une bête nécessité affective et sexuelle ; ils vivent en couple par un contrat implicite qui stipule qu’à deux la vie est moins ennuyeuse, plus confortable, plus conforme. Mais bien sûr cela heurte leur amour propre de le savoir. Alors pour ne pas se sentir trop animaux, ils s’appliquent à broder une histoire. Pour sublimer leurs « cot-cot » d’accouplement, ils mettent en scène une pièce selon laquelle ils ont des sentiments. Et voilà qu’il leur arrive des choses inexprimables, voilà qu’il va la protéger de ce qui lui fait peur, voilà qu’ils sont faits l’un pour l’autre et c’est un miracle qu’ils se soient trouvés… Le romantisme, en somme.

En réalité, ils ont simplement entendu parler, un jour, de ces grands amoureux aux destins exaltés, alors ils se sont sentis bêtes et se sont dit « pourquoi pas moi ». Mais ils n’ont pas la moindre envie d’aimer quelqu’un d’autre, ces gens qui se projettent une image, qui se fabriquent une histoire. En fin de compte, ils ne sont pas amoureux de quelqu’un ni intéressés par la responsabilité et le geste de s’occuper de quelque chose d’autre, mais sont seulement épris de cette image intérieure, cet écho en eux. La personne aimée n’a de valeur que par ce qu’elle représente, par sa ressemblance avec cette image rêvée, par ce qu’elle correspond à leur schéma interne…

Les couples qui se jouent comme cela une comédie durent quelques mois, parfois plusieurs années si les comédies de chacun, par hasard, se répondent. Puis ils éclatent lorsque la supercherie devient flagrante, lorsque personne aimée et fantasme intérieur sont devenus trop éloignés. Car l’amour est bien entendu tout l’inverse : moins on a besoin de ces « histoires », plus on est à même d’aimer véritablement. Mieux on sait aimer, moins on a besoin de ces histoires, plus ce romantisme est superflu et horripilant, monstrueux dans sa négation de l’autre. Un jour, vous savez que vous n’êtes pas unique, que l’autre n’est pas unique, qu’il n’y a pas d’âme soeur, que vous n’êtes fait pour personne et pour tout le monde aussi. Alors vous avez toute la disponibilité pour découvrir celle avec qui vous avez choisi d’être. Pour la voir telle qu’elle est et non telle que vous l’attendez. Pour chercher à savoir qui elle est, ce qu’elle veut, ce dont elle a besoin, en dehors de ce que vous voyez pour elle.

Perdre le pucelage de sa vision romantique est la condition sine qua non pour savoir véritablement aimer.