Eh bien nous, nous le voyons très bien, ce mur invisible qui nous a toujours un peu isolé des groupes.
Chaque fois que nous avons frayé avec ces groupes d’amis constitués, nous y avons été accueilli et apprécié, sollicité même, mais nous n’en avons jamais fait tout à fait partie. Nous nous sommes débrouillé de telle sorte que nous sommes toujours resté à la porte, à la périphérie, un pied en dehors. Un peu à la manière de ces hommes qui, en amour, arrivent à décrocher avec une aisance déconcertante la place du « meilleur ami », mais qui arrivés là n’en bougent plus et ne seront finalement jamais choisis.

De la même façon, ces groupes d’amis constitués nous ont toujours volontiers admis pour la plaisanterie et la discussion, ils ont adhéré à notre humour ou à notre personnalité et en ont enrichi leur cercle avec enthousiasme, mais ont toujours su nous remiser plus ou moins l’heure venue des moments vrais, plus intenses, plus graves peut-être. Ils nous ont épargné la confession de leurs tourments, de leurs bonheurs, de leurs préoccupations plus intimes… Tous ces petits « extras », toutes ces confidences qui auraient signifié que nous faisions partie du cercle premier, que la confiance était totale.
Oui, les groupes d’amis ont toujours conservé une méfiance à notre égard, qui n’est pas sans rappeler celle que nous conservons pour eux. Car ne le nions pas non plus : ces groupes ne nous ont jamais complètement intéressé en tant que tels. Nous n’avons jamais tant été l’ami du groupe que celui des individualités qui le composent. Par notre attitude distante, notre adhésion nonchalante et mesurée, nous avons trop souvent rechigné à épouser la dimension collective.
Or le groupe a une existence propre, indépendante de celle de ses membres : une intelligence propre et une volonté qu’on y adhère. Et tout découle peut-être de ce malentendu : assez malhonnêtement, nous avons accepté l’amitié de ces personnes en faisant semblant de ne pas comprendre qu’à travers elle, c’est celle du groupe qui était requise. Cette négligence commise à son endroit, ce désintérêt inconsciemment affiché, ont déclenché la réticence du groupe à nous admettre en son sein. La porte nous était ouverte et nous n’avons pas franchi le pas ? Alors la porte s’est refermée, parce qu’assez naturellement personne n’aime avoir un étranger qui rôde.
Le mur invisible, c’est celui de ce purgatoire, de cette cellule de non-grisement, de cette pièce intermédiaire où nous sommes maintenus et tolérés, assez proche pour profiter des rires et des considérations lointaines, mais où le sas dernier restera toujours fermé.
Le mur invisible, c’est celui qui s’est dressé de lui-même, sous l’effet conjoint de notre indécrottable réserve et d’un réflexe instinctif du groupe de se protéger.
Solitaire. Il n’y a pas de quoi s’en féliciter.