Ne pensez-vous jamais à toutes ces boîtes e-mail ou comptes Facebook ou même blogs de gens qui sont morts entre temps ? Identités numériques laissées vacantes et dont personne n’a la clé ?
Peut-être continuent-elles à recevoir des messages, des spams, peut-être certaines continuent à envoyer éternellement des messages automatiques d’absence ? « Je suis en congés du tant au tant. Je vous répondrai dès mon retour » !
Fausse interrogation, car ces comptes sont automatiquement détruits après un certain temps d’inactivité. Mais c’est peut-être justement là le problème. La « mémoire » de l’ère informatique se gargarise de ses milliers d’octets et de téraoctets, mais cette mémoire est en réalité la plus fragile de toutes. L’amnésie qui la menace est quasiment certaine. Je m’en rends compte alors que le disque dur où je sauvegardais régulièrement mes données « par sécurité » a décidé de s’effacer. Sans besoin d’avoir été brisé ou dégradé, le disque a simplement décidé de devenir vide. Des heures de travail et 10 années de photos personnelles et familiales évaporées, comme après un incendie.
Auparavant, une personne mourrait et laissait après elle quantité d’archives, de documents, de courriers, de photos… dans de vieux tiroirs ou dans un carton pourri. Ces traces avaient de la valeur pour les descendants qui s’y intéressaient, mais aussi pour les historiens, qui connaissent toute la richesse de cette matière anonyme du quotidien lorsqu’il s’agit de prendre la température d’une époque.
Demain, tout cela sera perdu dans les limbes de boites e-mail autodétruites ou oubliées, évaporé avec le disque dur ou le plantage du PC… Tout ce qui n’a pas été rendu public du vivant de son « auteur » sera inaccessible à jamais. Finies les correspondances ou les photos témoins de vie. L’individu numérique laissera, en mourant, l’endroit aussi propre qu’il l’a trouvé en arrivant. Tout au plus aura-t-il la chance, en guise de testament, de laisser de lui une vidéo compromettante qu’il n’aura pas réussi à faire effacer de YouTube.