Lorsque l’on est jeune et que l’on forge ses opinions, on tient à tout prix à éviter d’être contradictoire. On aplanit, on arrondit, on est à la recherche de la pensée qui supplante tout, du système philosophique total ; il nous faut un puzzle, et que toutes les pièces entrent dedans.
Puis la vie nous apprend qu’il n’y a pas de schéma qui puisse cerner la vérité à lui seul. Elle nous apprend même que le schéma est ce qui fait mourir, par nature l’opposé du vivant. La vérité et la vie, elles, sont fuyantes : aucune théorie ne peut les regarder en face et les dévisager entièrement.
Alors on perd ce complexe d’être contradictoire. On perd le goût de la démonstration, de la rhétorique vaine et définitive. On s’autorise à combiner plusieurs visions, plusieurs points de vue, tour à tour, quitte à ce qu’ils s’annulent partiellement ou totalement. On est plus joueur, plus léger, plus infidèle, amateur de curiosités et de fantaisies. De plus en plus disposé à laisser l’esthétique l’emporter sur la raison.
Et, évidemment, il n’est plus vraiment possible de supporter la discussion avec ce jeune homme et ses absolus, ce jeune homme et son foutras argumentaire, qui trimballe sous son bras son jeu de construction mentale en « grand A / grand B / conclusion ».