Finish up

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Définition : Jeune entreprise montée par un trentenaire Bac+5 lassé du salariat et désireux d’être « son propre patron », fondée sur une petite idée aisément concrétisable par le développement d’une application mobile – si aisément que l’on finit par découvrir que quelqu’un d’autre le fait déjà depuis deux ans, en mieux.

Le stade de maturité de la finish up est atteint durant les quatre mois qui séparent le moment où l’associé, ancien copain, quitte le navire, et celui où l’on se rend soi-même à l’évidence.

Le Rouge et le Noir 2

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Au 19ème siècle, le roman d’initiation narrait le parcours d’un jeune homme de milieu modeste, né hors du « sérail » et qui allait s’y élever par son habileté ou ses talents. Le roman d’initiation de notre 21ème siècle semble proposer une trajectoire inverse, et s’annonce en cela réjouissant. Le jeune héros est un individu plutôt bien loti, qui va s’efforcer, durant son aventure, de se désintégrer de la bonne société, de sortir du système.

Julien Sorel, aujourd’hui, a des parents qui ont des moyens, un père en poste dans une belle compagnie ; il a fait une très bonne école de commerce. Après un an en finance-comptabilité chez Groupama, il s’est senti en quête de sens. Papa avait encore de quoi lui prêter pour racheter un bar à vin avec deux amis, situé dans un quartier vivant de la ville. Il a trouvé son concept, a baptisé le lieu d’un prénom français à l’ancienne, populaire (ça lui rappelle son grand-père, qui a fait l’inverse de tout cela pour que sa descendance puisse faire mieux que lui). Il a trouvé le concept du lieu, dessiné lui-même le logo, une amie termine de lui développer l’appli. Le voilà petit commerçant, mais avec des moyens. Il vote Macron pour raisons fiscales. Il est pour le Changement. Il propose une très bonne burrata à 21 € (ses amis restés dans la finance en raffolent). Il n’a pas de voiture, pas de maison. Un vélo. Pas marié. Un enfant. Keno. Un prénom pas comme les autres. Julien aime la débrouille. Les plans copains. Il cultive un look de bistrotier de l’Aveyron : chemise à carreaux (mais de marque), tablier, et petite barbe dégueulasse. Il se sent vivre quand il aide à décharger les fûts du camion.

Ce qui lui importait avant tout, était de sortir des rails. Ne pas faire comme son pauvre père (cadre !). Il aurait pu être artiste s’il avait eu un talent. Il aime la vie de bohème. A condition de pouvoir partir en vacances chaque année à l’étranger. Julien a tout de suite vu que nous avions changé d’époque. Que son intérêt était de quitter la voie droite, de donner à sa carrière la petite torsion, la petite patine cérusée qui le rend unique. Oh oui, Julien aime le cérusé. Il est prêt à payer très cher pour ça. Il sait d’instinct que pour être bien comme il faut, désormais, il faut ne pas être bien comme il faut. Le gendre idéal, aujourd’hui, a le goût de l’entrepreneuriat. Le goût de l’usage plutôt que de la propriété. Des parts et des actions plutôt que de l’immobilier.

Julien sait qu’il peut cumuler le revenu du bourgeois et le prestige du marginal réprouvé. Alors pourquoi devrait-il choisir ?

Employeur-employé : la fin du sketch

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Dans le futur, les gens n’ont plus de métier et ça tombe bien car les entreprises n’offrent plus de carrière non plus ! Les grandes et moyennes entreprises ont enfin compris qu’elles s’attachaient un boulet au pied à promettre à leurs employés des parcours, à prendre sur elles la progression de leurs effectifs, à construire et entretenir une « culture d’entreprise »…

Dans le passé, ces politiques de recrutement et de fidélisation avaient eu pour effet d’insinuer dans la tête des gens que quelque chose les reliait à l’entreprise : les employés avaient placé quelque chose d’affectif dans leur état de salarié, ils s’étaient mis en tête qu’ils « faisaient partie d’une boîte », que « leur » entreprise leur devait quelque chose, au-delà du salaire…

Le problème survenait évidemment lorsqu’il fallait se séparer de ces braves gens, et il se chiffre en milliards de pertes : grèves, séquestrations, délabrement de matériel… Indemnités de licenciement, plans de reclassement, formation et suivi psychologique…

Il aura fallu du temps et de l’argent pour se débarrasser de ces fiottes et leur faire sortir cela du crâne. Il en aura coûté de détricoter tout ce qu’il avait déjà coûté de tricoter : les conneries d’ingénierie sociale et de « marketing RH », soigner sa « marque employeur », « fédérer autour d’un projet et de valeurs communes »… Branlettes de sociologues et de cabinets de conseil ! Dans le futur, le salariat et l’appartenance à une entreprise sont désuets. Ils ne correspondent plus à la réalité du monde du travail.

  • Les travailleurs ont assimilé, à la longue, à force de se faire cracher leurs contrats et leurs salaires à la gueule, qu’il convenait de se désimpliquer de l’entreprise. Une génération transitoire a commencé par assumer de ne plus attendre grand-chose de son employeur et de vivre d’une activité salariée dépourvue de sens. Les gens pointent, abattent la quantité de travail demandée pour le tarif horaire négocié individuellement, et rentrent chez eux. Les termes « carrière », « promotion », « pot de départ », « collègue », n’ont plus cours.
  • Les entreprises ont réalisé qu’elles n’avaient pas non plus besoin de tant de monde. Des travailleurs oui, mais des employés ? Robots et intelligences artificielles remplissent de nombreux emplois à l’usine comme au bureau. Télé-travail ou wii-travail évitent de loger, nourrir et soigner ses travailleurs : ceux-ci peuvent rester à domicile. En fait d’employés, une entreprise n’a besoin de fidéliser, sur le moyen et long terme, qu’un faible nombre de personnes : noyau de managers qui coordonne et motive un cercle plus large de mini-managers. Mini-managers qui font effectuer la besogne à une armée de travailleurs indépendants. Travailleurs qui ne font pas partie de l’entreprise : « free-lances », travailleurs-putes, mercenaires « auto-entrepreneurs » comme on dit, facturés au contrat, au pro rata du travail abattu.

Ainsi, dans le futur, personne ne demande d’être heureux ou épanoui dans son travail. Personne ne demande non plus d’être performant, pro-actif, ou ambitieux. En réalité, rares sont les gens qui ont un métier à proprement parler. Le quidam moyen combine plusieurs activités plus ou moins professionnelles, plus ou moins rémunérées… Le travail qu’il fait pour l’entreprise est souvent un morceau de travail qu’on lui sous-traite et dont il ne comprend pas (ne cherche pas à comprendre) la finalité. Il vit aussi bien de ces contrats temporaires, que des objets qu’il vend sur e-bay, des revenus publicitaires de son site internet ou de sa participation à de petits jeux de télé-réalité humiliants…

L’entreprise dispose d’un annuaire géant de travailleurs indépendants, qu’elle mobilise sur la plus ou moins longue durée de ses projets. Elle n’entend plus parler de droits, de revendications, de conventions collectives, et réalise de grandes économies sur le coût du travail et les charges sociales. Le quidam, lui, trouve cette souplesse et cette flexibilité bien pratiques, très en phase avec son nouveau mode de vie.

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