La position de l’observateur

Il y a une position par rapport à la vie qui n’en est pas une : celle de l’observateur.

Nous la connaissons bien cette position de l’observateur, qui nous permet de regarder la vie avec l’air de ne pas y toucher. De moquer, soupeser, analyser. Se placer au-dessus de la mêlée. Etre plus malin, renvoyer dos à dos… Il existe toute une littérature pour justifier cela, anoblir cette attitude d’albatros « qui hante la tempête et se rit de l’archer »… Toute une littérature pour se féliciter de ne pas prendre part, se persuader qu’on fait bien de rester de côté.

Et cette littérature existe sans doute aussi pour nous faire oublier que cette attitude n’a rien d’un choix raisonné : c’est avant tout une incapacité. L’observateur ne sait tout simplement pas faire autre chose. Il s’invente une 3ème voie dans le creux de son manque d’affirmation et de force nerveuse, mais sa position n’en n’est pas une. La position de l’observateur n’existe pas, elle est une posture. Une posture esthétique.

Depuis son promontoire, l’observateur regarde, comprend, et dresse le tableau. Il jauge la proportion exacte de vrai et de faux de chaque chose. Il a une vue juste alors il se croit tiré d’affaire. Mais sa « vue » n’est pas une alternative en soi. Sa 3ème voie n’est pas une voie. Son observation n’a d’autre incidence que de laisser faire ce qui se fait

Parce que la vie, elle, roule toute seule : elle n’a besoin ni d’arbitre ni de commentaire. La vie propose de faire ou de ne pas faire. De participer ou de s’opposer. De jeter du charbon dans la machine ou de freiner des quatre fers. Mais il n’y a pas de rôle qui consiste à « observer ». Observer revient à laisser faire. Laisser faire revient à faire. Dans la vie, soit vous êtes réaliste et vous acceptez le cours des choses, soit vous ne l’acceptez pas et vous êtes idéaliste. Mais il n’y a pas de position haute qui consiste à être détaché ou ironique.

L’ironie est un faux-semblant pour celui qui n’a pas le courage d’affronter la réalité. Le cynisme, la distance, le recul : une posture esthétique pour celui qui n’a les moyens de supporter ni le monde, ni sa révolution. L’observation : une fausse cachette, une alternative en trompe-l’œil qui ne nous sert qu’à renoncer sans en avoir l’air, à accepter tout en évitant d’endosser la responsabilité. Une pirouette, un bien maigre succès d’estime en somme, par lequel on préserve ce qui nous reste de panache.

Que l’observateur garde cela en tête : ce n’est pas parce qu’il fuit qu’il est libre. Pas parce qu’il connaît son mal qu’il est guéri. Pas parce qu’il sait ce qui va se passer qu’il évite que ça se produise… Celui qui ne se mouille pas, qui ne s’implique pas, celui qui s’abstient ou s’absente : la vague de ce qui se passe réellement le recouvre. Que l’observateur observe, et attende son moment. Mais il faudra qu’il songe, un jour, à se lancer, à jouer sa carte, à abattre son jeu.

La plus grande insulte faite aux femmes

Il est une injure d’une violence inouïe faite aux femmes quotidiennement, dont nous ne les entendons pourtant jamais se plaindre : c’est l’obligation de se maquiller.

Ce consensus sourd qui induit qu’une femme doit se travestir, modifier ses traits naturels et les recouvrir avant d’oser les montrer, n’est-il pas d’une extrême violence ?

Imaginez-vous, messieurs, vivre dans une société où il est admis que vous deviez masquer votre visage ? Où il est entendu que vous n’êtes pas présentable sans cela ? Imaginez-vous devoir chaque matin vous farder avec des produits plus ou moins gras ou farineux ? Enfouir ou améliorer ce que vous êtes réellement ? Imaginez-vous une seconde être en votre for intérieur cette personne à gauche :

… mais devoir apparaître en permanence sous les traits de cette personne, à droite ? Que tout le monde vous connaisse en tant que cette personne maquillée et non que vous-même ?

Je ne pense pas qu’un homme accepterait cela. Il ne s’agit pas de vanter la « beauté naturelle » (pas celle de Patti Smith en tout cas !) car ma foi, il est possible qu’une femme soit plus belle maquillée. Mais il est troublant de voir que cette obligation de maquillage est tout à fait assimilée, que les intéressées n’en ressentent aucun étouffement, aucune oppression. Qu’elles n’y voient pas une atteinte fondamentale à leur liberté ou à leur simple existence.

Au lieu de cela, les femmes ont intégré cette contrainte et en sont les premières ambassadrices. Elles travaillent elles-mêmes à l’effacement de leurs traits. Quotidiennement. A leurs frais. Et tandis que d’autres, juste à côté, sont tout à fait acceptés tels qu’ils sont

Nous ne les entendons jamais s’élever contre le maquillage. De là à déduire que le travestissement est un gène féminin