Dédale

Dedale-2006

A ceux qui le lisent depuis longtemps, ce blog pourra sembler un dédale de galeries, creusées à partir d’un point différent chaque fois, mais se recoupant et débouchant sur les mêmes lubies, les mêmes considérations… On est déjà passé par là une fois nous semble-t-il, peut-être même deux. Mais on y était arrivé par une autre artère. Ce coin nous dit quelque chose, jurerait-on, et on s’en éloigne par un nouveau boyau, finissant lui aussi, tôt ou tard, par nous ramener au point où on en est.

Je serais satisfait si l’effet rendu pouvait être celui-ci, c’est au fond un peu ce que j’ai cherché à faire en tissant tous ces interliens. Un livre ne permet pas cela. Est-ce que cela peut constituer une œuvre ? Ou seulement une jolie façon de radoter ? Il faudra en tout cas songer à s’arrêter à temps avant que l’édifice ne s’effondre.

Soixante-dix

chaire sermon

Ou quatre-vingt, maximum. C’est la base estimée du lectorat de ce blog. La base solide, c’est-à-dire le minimum garanti qui vient lire un article dans les 1 à 2 jours après sa parution, qui arrive chaque jour même s’il ne se passe rien. Tout ce que l’outil statistique détecte d’autre est un surplus de trafic, fluctuant, saisonnier, opportuniste, de passage, arrivé par mot-clé ou par hasard, restant quelques jours ou semaines et repartant de plus belle. Tout le reste est une fantaisie qui donne du relief à la courbe des consultations, qui fait espérer que le blog va de mieux en mieux ou au contraire traverse une dépression, qui dessine des périodes, des embellies, des stagnations… Mais qui ne fait essentiellement que fausser cette réalité : si l’on rase tout ça, on arrive à ce socle de 70 à 80. Le niveau de flottaison de ces huit années à bloguer.

A vrai dire, je suis surpris de ne pas avoir été plus lu, de ne pas avoir su faire augmenter ce seuil progressivement car j’ai la faiblesse de croire que j’ai ma petite qualité, mon petit ton qui aurait dû me distinguer davantage. Mais je suis tout aussi surpris de la longévité et de la stabilité de ce socle fidèle. D’autant qu’il se fait relativement silencieux. C’en est parfois gênant. Que font-ils là ? Pourquoi restent-ils ? Qu’attendent-ils et que viennent-ils chercher ? Que me veulent-ils ? Après tout c’est un peu leur faute si je continue à écrire ici, bien que cela me fasse de moins en moins envie. Croient-ils qu’il va se passer quelque chose ? Viennent-ils comme on vient chercher son sermon et son hostie ? Se sentiraient-ils amoindris s’ils n’avaient pas cette petite dose de quelque chose ? Et savent-ils qu’ils m’empêchent de passer tout à fait à autre chose ?

70 à 80 : ce n’est pas assez pour lever une armée. Ni même une secte. On peut éventuellement songer à constituer une PME. Ou un club de lecture où l’on se prêterait des livres. Non, sincèrement : que ferait-on ensemble ? A part moquer les Julien Sorel 2.0, nous-mêmes coincés entre une carrière alimentaire et des envies d’autre ou d’ailleurs. Avons-nous seulement ces envies, suffisamment fortes et ancrées ? Et si nous ne les avons pas, que ne basculons-nous pas plus franchement du côté alimentaire de la Force ? Débrancher les connexions neuronales inutiles, qui génèrent plus de doute et d’aigreur qu’autre chose. Rejoindre la fête, monter à bord. Elle bat son plein, personne ne remarquera notre retard.

Aparté n°2

Un lecteur sur Facebook me demandait quels étaient mes articles les plus lus et commentés. L’addiction aux statistiques fait partie des plaisirs du blog, et il y a aussi bien d’autres choses amusantes à savoir.

Les articles les plus lus :

Les articles les plus commentés :

Les mots-clés les plus recherchés

  • shrek
  • suricat
  • horloge sans aiguille
  • un oeil
  • clown triste
  • nicole kidman eyes wide shut

Les recherches autour de « Shrek » et de « Nicole Kidman nue » sont en effet une riche source de visiteurs. Doivent pas être déçus…

Les recherches les plus glauques :

  • animal qui mange un autre animal
  • portrait de mon frère mort
  • comment faire l’amour au lit
  • leche mon cul
  • faut-il tuer le père

world blog

Ceci est la carte de mes lecteurs. Je suis lu dans le monde entier, sauf dans quelques dictatures africaines ainsi qu’au Groenland où la censure fait rage comme chacun sait. En Ouzbekistan, en Bosnie Herzégovine et aux Fidji, j’ai été lu 1 fois.

Quelques données sur la page Facebook :

Le fan moyen est un homme (59 %) de 35-44 ans. Le jeudi aux alentours de 18 h est le moment où vous avez le plus de chances de l’y croiser.

Mon blog obtient un succès particulier dans le sud de la France : à Avignon, Nimes, la Garde, Marseille… (c’est à croire que tous ces gens ont raté cet article !). Et, enfin, je ne suis pas peu fier de pouvoir affirmer que je compte deux fans à Poil. Dans la Nièvre.

Vous aussi, rejoignez-nous sur Facebook, nous nous y amusons comme de véritables petits fous.

Journalistes éclairés

tintin-soviets

Invité à une crémaillère où je ne connais guère que celle qui reçoit (journaliste de profession), je réalise que presque tous les gens sur place sont journalistes eux aussi. L’occasion de discuter avec différents spécimen dont un couple de « vieux » journalistes radio, révélateurs du désarroi légitime des gens de ce métier.

Je suis toujours étonné de constater l’autorité morale que les grands organes de presse exercent encore sur tant de gens : le caractère religieux que l’on peut accorder à la lecture du Monde, aux radios de service public ; la respectabilité automatique offerte à des torchons comme l’Express ou à tout ce qui est imprimé, pour la seule raison que c’est imprimé.

Et cette autorité morale touche les journalistes eux-mêmes. Peu de professions sont autant illusionnées à propos du rôle qu’elles tiennent dans la société, c’est ce que je pensais en écoutant ce couple de journalistes.

Ce qui est revenu le plus souvent, c’est la lamentation sur « l’information va trop vite », « plus les moyens de faire sérieusement le travail », « la rapidité du web pousse à sortir l’info sans vérifier, sans analyse »… Mais bon sang vous ne l’avez jamais donnée, l’analyse ! Avant ou après le web, je n’ai souvenir que d’actualité brute, sans recul, d’infos « capitales » qui disparaissent subitement pour laisser place à une autre, de faits divers sortis comme d’un chapeau, de crises internationales entre pays semblant être nés la veille, d’amnésie organisée sans perspective, sans histoire et sans compréhension…

Internet n’a pas changé quoi que ce soit à cela. Peut-être même pousse-t-il ces médias à faire plus attention, à dire moins de bêtises. Car d’analyses il n’y en a jamais eu autant depuis internet – et autant de pertinentes, parfois même dans un simple commentaire.

bierbar

Au final, le plus fascinant, le plus surprenant, c’est cette croyance en la nécessité absolue de leur « analyse » : ces gens, les journalistes, sont véritablement habités par la conviction que le public a besoin d’eux, qu’il est fichu et incapable de se diriger parmi la jungle des informations sans leur bénéfique analyse. Il y a cette croyance que les gens les attendent et que l’on courrait un vrai risque à s’aventurer sans eux dans la compréhension. L’opinion des blogs, des anonymes, des non-cartés, est mauvaise et dangereuse parce que tout le monde peut dire n’importe quoi vous comprenez, mais la leur à eux est salvatrice…

Je la sentais déjà, cette conviction intime. Mais de la voir exprimée à travers de vrais yeux mouillés et humains, cela me l’a rendue plus vraie, sincère, presque touchante dans son authenticité. Le regard désemparé et gentil de ce couple de vieux journalistes tandis qu’il m’expliquait comment le métier se trouvait chamboulé, me faisait penser à celui que pouvait avoir un croyant de 1905, ou un communiste des années 80 : malgré toute la foi honnête et chevillée au corps, le sentiment inévitable, face à l’évidence, que ce monde se termine, que l’on arrive trop tard, que l’heure n’est plus à cela et qu’elle n’y reviendra jamais.

Les web’s worst pages

Edwood & la Web’s Worst Page font partie de mes toutes premières heures perdues sur le web, à lire des bêtises, à lire un vivant, anonyme, sans visage, pendant les soirs et les nuits. Premières heures perdues sur le web à ressentir ce qui pourrait s’apparenter à une fraternité d’esprit, l’impression d’une familiarité, avec un inconnu d’autant plus familier qu’il n’a pas les moyens de nous détromper, ni nous de le contredire.

C’était après tout le charme de ce premier âge du net : la non-réciprocité de la communication. Un point zéro. Seul face à l’écran. On tombait chez quelqu’un, on le lisait à son insu. On partait, ou bien on revenait. Régulièrement. Les web’s worst pages, ces ancêtres des blogs, chez qui on revenait ; pas parce qu’on avait reçu une notification, un tweet ou un e-mail, mais parce qu’on y repensait, parce qu’on n’était pas venus depuis longtemps, voir s’il y avait du nouveau.

C’est un silence et une expérience qu’on ne connaît évidemment plus à l’heure des blogs et des réseaux sociaux, où chacun a son profil et son nom, où directement on accède aux coulisses, on a la possibilité d’invectiver l’auteur, de le tutoyer, de le sommer de préciser ce qu’il a voulu dire…  Non que l’interactivité et la réciprocité n’aient pas leurs qualités, mais ce silence de la web’s worst page, la lecture de pages anonymes et « statiques », était quelque chose, une expérience encore différente de celle qui consiste à lire un livre. Ce sont ces pages qui m’ont initialement donné envie d’écrire, de bloguer, plus que ce que l’expression sur internet représente aujourd’hui.

Pourquoi je vous parle de ça ? Parce que je suis retourné pour la première fois depuis très longtemps sur la web’s worst page et que j’ai touché de nouveau du doigt ce plaisir particulier et caduque. Parce que son dernier article où il dit qu’il ne parlera plus semble évoquer un peu tout ça. Parce que c’est tellement associé à mes premières navigations que j’ai l’impression que tout internaute sait nécessairement de quoi je parleParce que pour une fois, j’avais envie de faire du hors-sujet, de digresser, de jouer à Edwood vous parle

Citizen-band

Lorsque j’ai ouvert ce blog, il y a maintenant 3 ans, je n’étais pas convaincu du support : la présentation « journalière » des articles, le classement chronologique, ne me convenait pas et par-dessus tout je n’appréciais pas la dimension ouverte, reliée, sociale. Je songeai même au départ à fermer les commentaires : s’il en était qui avaient quelque chose à dire, ils n’avaient qu’à créer leur blog ! Tout ce que je voulais, c’était créer un îlot où exiler des textes – le blog présentait l’avantage de n’exiger aucune compétence technique pour le faire.

Et puis, au fur et à mesure, j’appris à aimer ces simili-échanges que l’on peut faire avec d’autres : autres blogs, autres commentateurs, récurrents ou visiteurs de passage, autres pages web où laisser son sentiment… Echos humains épars dans la nuit du web. Le blog est pour nous, vains parleurs et vains penseurs, ce que la CB est aux camionneurs. Longtemps les routiers ont été des êtres seuls, du matin au soir et toute la nuit, bagnards dans leur cabine, mangeant le midi, seuls encore, le sandwich qu’ils s’étaient préparé la veille. Et puis il y a eu la CB…

Blogueurs, nous sillonnons les routes, traçant la nôtre sans toujours savoir où elle nous mène ni pourquoi nous roulons, ne distinguant son dessin qu’une fois que l’on se retourne sur le chemin parcouru. Blogueurs, vains parleurs et vains penseurs, nous sommes seuls mais plus complètement. Il y a dans l’air ces ondes émises, impalpables. Toujours, pas très loin, il y a ces autres poids lourds de la nuit, plus ou moins fantomatiques, dont nous captons les signaux erratiques. Ceux que nous croisons et qui nous renvoient un appel de phares amical. Ceux qui évoluent sur d’autres routes, parallèles. Routes alternatives, jamais tout à fait similaires à la nôtre, toujours un peu indéchiffrables, dont nous suivons la progression avec intérêt et bienveillance. Itinéraires bis que nous n’aurions jamais empruntés (et que nous n’emprunterons plus) mais qui s’acheminent vers des horizons pas si éloignés du nôtre, croit-on deviner.

Cela vaut bien, de temps en temps, d’essuyer un « sale con » laissé au doigt dans la poussière de notre pare-brise.

Auteurs-fleuve

Certains grands auteurs, s’ils avaient vécu à l’ère du blog, n’auraient peut-être jamais écrit de roman. Plutôt que des romanciers, ce sont des « journaliers ».

Le talent d’un Proust, d’un Musil, d’un Céline, n’est pas de construire une histoire – avec un début, un développement, un pic dramatique et une fin – mais de coucher sur le papier des moments, des images, des idées, des considérations…

  • De Mort à crédit, l’on peut très bien retrancher certains épisodes (comme celui de l’Angleterre) sans qu’aucun remaniement ne soit nécessaire ni que le lecteur ne s’en aperçoive : le récit s’en porte tout aussi bien, la fin peut rester la même, l’œuvre garde tout son sel.
  • L’homme sans qualités ou la Recherche du temps perdu peuvent se prendre en cours, s’ouvrir à n’importe quel endroit, durer 100 pages de plus ou de moins… Leur intérêt ne réside pas dans l’histoire contée mais dans le délice et l’exactitude des moments. La lecture du livre entier n’apporte pas en soi de plaisir autre que celui qu’on savoure au cours de la lecture.

Ces auteurs-fleuve ne sont pas des romanciers stricto sensu. Qu’ont-ils au fond à exprimer ? Un style. « Seulement » un style. Un style tel qu’il peut souffrir l’absence de construction narrative. D’une certaine façon, ils ont travesti ce qu’ils avaient à dire – une succession de moments narrés – sous la forme du roman pour pouvoir en faire un livre. Parce que c’était le moyen qui était à leur disposition à cette époque.


Peut-on se risquer à dire, sans malice, que Céline aurait été encore meilleur blogueur que romancier ?

Ce blog

Je donne du « nous », mais bien entendu je suis seul.

Je décoche mes billets, mais bien entendu je n’égratigne rien du tout.

Le réel, lui, ne bouge pas d’un pouce. Il ne change pas sa trajectoire (manquerait plus que ça) et l’impression que sous les mots posés, le monde trouve de la cohérence, est une illusion qui ne dure pas. Il vient toujours un matin où le monceau quotidien de réel a recouvert ce que j’ai affirmé la veille.

Je pense parfois à certains lecteurs qui pourraient trouver que ce blog s’enlise dans la critique et le négatif. Ma foi, il est possible que j’aie livré ce que je possédais en fait de sagesses et de bon esprit, et qu’il ne reste plus que la bile et le vitriol…

Et pourtant il me tient à cœur de ne pas être cet Œil sale qui amoche et amoindrit. Pourquoi ce blog ? Parce que quelque part il y a la croyance qu’en tapant régulièrement et toujours au même endroit, je vais réussir à faire une rayure. Que derrière les voiles arrachés, il y a d’autres possibilités qui apparaissent. Quelque part il y a la croyance qu’en tapant toujours au même endroit, quelque chose va se détruire, ou s’édifier.

Fluidité de l’information

Je rebondis sur un article de Jean Trito à propos de l’information [Lire ici] :

Il est en effet un paradoxe notable, que dans notre société de médias où l’on se vante que l’information n’ait jamais circulé si rapidement, si librement et en telle quantité, cette information soit de moins en moins consistante.

Aujourd’hui, on considère par exemple qu’un propos rapporté est une information, au même titre qu’un fait. « Tel politique a dit que… » est une information. « Tel chanteur a réagi aux propos de tel politique qui avait dit que… » est une autre information ! C’est ainsi que le flux d’information « augmente », et qu’on peut par exemple compter comme 3 informations :

  • l’information selon laquelle l’ambassade américaine à Paris considère les médias français inoffensifs et à la botte du pouvoir,
  • l’information selon laquelle WikiLeaks révèle que l’ambassade américaine considère les médias français inoffensifs et à la botte du pouvoir,
  • l’information selon laquelle le Monde a diffusé les informations révélées par Wikileaks parmi lesquelles on apprend que l’ambassade américaine considère les médias français inoffensifs et à la botte du pouvoir… Etc.

La fluidité de l’information, ce n’est pas seulement que l’information circule plus vite, plus facilement ou qu’elle s’insinue partout. C’est aussi que l’information est plus fluide, c’est-à-dire moins épaisse, plus diluée… Le fluide médiatique comprend de moins en moins de véritables morceaux d’information, créés à partir d’un reportage ou de l’exploration d’un sujet, et de plus en plus de rapports d’information, de commentaires, d’analyse, d’interprétation… RE-TWEET !