Jardinier à moteur

tondeuse emmerdeur

A la belle saison, dans chaque village, dans chaque hameau, lorsqu’au cours de la matinée le soleil est enfin dévoilé et que l’on pourrait entendre les oiseaux et le bruissement du vent dans les feuilles, un type se dévoue sur les coups de 11 heures pour activer une tondeuse, un souffleur, un rotofil, n’importe quel outil capable de faire le bruit d’une mobylette.

La plupart des bonshommes qui jardinent ou entretiennent aujourd’hui ne savent guère travailler autrement. Rien ne les intéresse d’autre dans l’atelier que ce qui crépite, vrombit, ce qui crache et sent le pétrole. C’est comme s’il était impérieux pour eux de saccager le silence et qu’il ne reste surtout plus un coin de campagne où ne résonne à l’horizon le ronflement d’un engin.

Plus de cisailles mais un taille-haie. Plus de râteau mais un souffleur de feuilles. Le moindre clampin dispose désormais du même attirail que l’employé municipal pour tenir toute la commune. Et moins il s’y connait, plus il se motorise ; il se précipitera sur le souffleur avec d’autant plus de hâte qu’il a plu toute la nuit, que les feuilles sont mouillées et que ses efforts sont inopérants, son bourdonnement pétroleur absolument inefficace.

S’il prend une mine laborieuse, assis sur sa tondeuse, le sourcil ployé sous la responsabilité de manier l’engin dangereux, affectant de prendre pour lui la besogne vraiment sérieuse, ne nous y trompons pas : le jardinier à moteur dissimule comme il peut le fait qu’il soit ni plus ni moins en train de jouer au tracteur, tel un gosse bousilleur.

« Plus rien à nous dire »

« Avec le Hansi, j’étais lié par une amitié intime. Il avait le même âge que moi, mon grand-père lui reconnaissait une intelligence supérieure et lui prophétisait une carrière intellectuelle.

Il s’est trompé. Hansi avait dû finalement reprendre la ferme et enterrer ses ambitions tournées vers l’esprit. Quand je lui rends visite aujourd’hui, nous nous serrons la main et n’avons rien à nous dire. »

Thomas Bernhard dans Un enfant.

Promenade champêtre

Se lever à 7 heures. Déjeuner d’un simple café. Sortir au petit matin se promener par une superbe journée de juillet qui reste à commencer.

Marcher sur le gravier de la route départementale. Jour, soleil même, soleil oblique mais les maisons sont endormies car il est dimanche. Entendre la conversation des arrosages automatiques. Sinon le chant d’un geai grinçant comme une balançoire.

Bifurquer et prendre le chemin qui s’enfonce dans la pénombre forestière. Remonter et arriver à la maison d’Edmond, décédé en janvier dernier. Seul dans la cour de la ferme déserte. Inspecter les recoins, les outils posés, la chaise seule derrière la maison, adossée au mur dans les herbes hautes. Brindilles « poule ou coq » collées par la rosée sur le bout des Converse. Avoir oublié son appareil et son talent et laisser là de sublimes photos qui ne seront jamais prises.

Reprendre le chemin illuminé par le soleil. Marcher sur ce cordon de chemin privé, entre un champ de blé baigné du soleil et la forêt de pin qui exhale la fraîcheur. Le soleil finit de chauffer. Marcher et marcher. Marcher, ne pas être question d’insécurité, d’immigration, d’économie, marcher, ne pas être question de « dérapage ». Ne pas entendre « 100 millions d’euros ». Ne pas être question de chiffre. Etre incapable de retrouver l’itinéraire qu’on voulait faire initialement mais marcher quand même. Retomber sur la route et le village.

Passer devant l’église et soudain se dire qu’on va entrer. Entrer dans la petite église complètement vide et pas si fraîche. Laisser la lumière dorée des vitraux de soleil nous aveugler. Le reste est obscur. S’avancer seul, devant, stopper un peu avant l’autel. Se signer et prier. Un peu. Comme ça. Pour voir. Apprécier le refuge. Au loin le chant rouillé d’un oiseau. Une faible mobylette qui passe comme un point. Au loin. Ressortir sur la place.

Regarder à droite et à gauche. Retrouver le bitume de la route. Dire bonjour à la dame qui arrose sa pelouse. Gagner son point de départ, rentrer à la maison où la journée des siens vient tout juste de débuter.

***
Message à caractère informatif : je serai dans l’incapacité de publier pendant une quinzaine de jours. Je souhaite une bonne vacance aux quelques uns et unes qui me suivent régulièrement
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Débrancher, sortir, souffler

[Petits frissons robotiques…]

Si le monde vous semble fou et que vous vivez en ville, essayez cela : quittez la ville et filez à la campagne.

Lorsque tout va vite et de travers, que le monde semble courir à sa perte et que vous êtes seul à vous dire « bon sang mais merde ! »… alors filez à la campagne, on ne sait jamais. Il reste toujours la possibilité que vos problèmes soient seulement liés à la virtualité urbaine.

Car ici dans cette ville, vous n’êtes pas tout à fait vous. Dans cette ville vous êtes venu en vue d’une vie particulière, avec un but particulier. Pour supporter de vivre selon ce but particulier, vous vous êtes mis dans un état particulier, une configuration d’existence particulière en accord de quoi votre visage a revêtit un voile et vos mensonges se sont prêtés à un jeu particulier. Sertie dans la bulle urbaine, la vie n’est pas la vie au sens où on l’entend, elle est une parenthèse. La réalité se situe dehors.

La solution est de se retrouver. Une fois à la campagne, une fois extirpé de cette bulle, la vraie vie reprend son cours : tout reprend sa forme et sa lenteur authentiques. Ces révolutions de mœurs, de technologies, tout ce qui vous effrayait ou vous euphorisait, auquel la ville avait fini par vous faire croire : tout cela s’avère vain et inexistant. En réalité, rien ne s’est réellement passé. Tout est toujours le même, intact, les gens toujours les mêmes, avec les mêmes opinions. Cette agitation était en fait absolument illusoire et virtuelle. Il faut sortir de la ville pour s’en rendre compte. Sortir de la ville et souffler une bonne fois, exténué.

Si maintenant, le monde vous semble fou et que vous vivez déjà à la campagne, alors je n’ai pas de solution pour vous ! Mettez-vous au milieu d’un champ et hurlez ?