Homme-chouette

Quand j’étais enfant, les chouettes venaient, à la saison, loger dans les corniches de ma vieille maison. Elles étaient là pour l’été. Depuis un rebord sous la pente d’un toit, elles nous observaient en sifflant. A la nuit tombée, à tour de rôle elles prenaient l’envol, planaient au-dessus de la maison, sifflaient par dessus de nos têtes lorsqu’on mangeait dehors le soir… Parfois, l’éclat furtif du dessous de leur plumage surprenait la nuit, quand l’une d’elles passait dans la lumière d’une fenêtre.

La chouette a tout pour effrayer un enfant, son cri, ses serres… Mais cet animal m’est pourtant toujours paru ami. Sa manière de faire savoir sa présence tout en restant invisible, être là sans l’être… Sa capacité à discerner dans l’obscurité…

Dans le domaine de la pensée, je voudrais être l’homme-chouette : celui qui observe depuis sa tour au sommet de la nuit, celui qui ne craint rien et peut regarder toute chose en face. Celui qui, en toute chose, sait séparer le propre du sale : reconnaître ce qui est comestible pour l’assimiler, ce qui est nuisible pour le rejeter en pelote – poils et os, ce qui est inutile et méprisable pour l’expédier par une autre voie.

Paradoxe végétarien

Parmi les arguments du végétarien pour ne pas manger de viande, figure l’invitation à dépasser un « anthropocentrisme » par trop borné : l’homme serait un animal comme un autre et à ce titre, ne devrait pas se sentir supérieur de quelque façon, ni traiter les autres animaux comme des produits à sa disposition.

Ce zèle à se mettre à la place de l’animal, à se penser comme animal, relève justement d’un terrible fourvoiement anthropocentriste. Car « penser à la place de », considérer l’autre et se mettre à sa place, est bien le privilège exclusif de l’homme. C’est justement parce que nous ne sommes pas « un animal comme les autres » que cette empathie nous est possible.

L’animal, lui, fonctionne sur un mode foncièrement opposé : il ne cherche jamais à penser comme quelqu’un d’autre que lui-même. Au contraire, tout ce qui l’environne est soit pensé comme quelque chose pouvant potentiellement se rapporter à lui, soit pas pensé du tout. Son propre est de n’admettre l’existence de l’autre que comme moyen en vue de ses fins.