Duo chanteur

Ils sont là côte à côte. Parfois de part et d’autre d’un piano. Ils « interprètent » une grande chanson. Ils s’échangent des regards ou se donnent la main. Ils se passent le micro à mesure qu’ils effeuillent les couplets…

Il est toujours extraordinairement vulgaire, ce duo de chanteurs que la télévision jette sur scène : oeillades, regards en douce, main sur l’épaule, sourires appuyés… Très content de ce qu’il est en train de donner. Parfois il y a surenchère : si l’un secoue sa chevelure de façon sauvage sur la fin d’une rime, l’autre, quand c’est son tour, se sent obligé de répondre par une grimace un peu rock… Et puis il y a cette façon insistante de scruter le visage de l’autre comme pour savoir à quel moment il va jouir, ou pour l’y encourager…

En fin de compte, c’est toujours cette complicité surjouée qui prend le pas sur le reste : le duo semble plus occupé à mettre en scène sa bonne entente qu’à donner de l’âme à la chanson. Il semble tenir avant tout à ce que l’on voit combien ils sont au diapason, combien ils sont dedans, combien c’est un grand moment qui est en train de se passer… Ils n’ont pas l’air de se douter que cette jouissance mutuelle est gênante pour celui qui regarde, qu’on n’a pas plus envie d’y assister qu’à l’ébat de ses propres parents le dimanche matin sous la couette.

Quelle que soit la chanson, qui que soient les chanteurs, le duo est immanquablement vulgaire. Ce n’est pas complètement sa faute. C’est peut-être le principe même du duo qui veut ça. Parce qu’après tout, une fois qu’on est deux sur la chanson, on ne va pas non plus s’ignorer, on est bien obligé de se voir, de se chercher, et si l’on se regarde on est bien obligé de se sourire… Peut-être ne faudrait-il pas les filmer avec tous ces gros plans. Peut-être faudrait-il simplement ne jamais faire chanter deux personnes ensemble. Peut-être ce raté systématique tient à ce qu’une véritable chanson ne peut venir que d’un seul cœur, et que c’est par un seul cœur qu’elle doit en conséquence être interprétée pour toucher.