Où vont les faux chrétiens après la mort ?

Cette question me revient en général vers la fin du mois de janvier, lorsque je reçois l’e-mail de vœux que ma cousine envoie chaque année, à moi et à l’ensemble de ses contacts, pour nous informer de l’année formidable qui s’est écoulée.

L’exercice est cocasse. C’est une sorte de lettre PDF, illustrée par des photos de famille ruisselantes de bonheur, agrémentée d’un texte récapitulatif assez complet. Tout est passé revue, rien n’est oublié, et c’est en général assez organisé : un paragraphe par membre de la famille, une allusion à chaque aspect de la vie (professionnel, personnel, sportif…). Un soin particulier est porté à démontrer que l’on est non seulement comblé, mais encore comblé à tous points de vue.

Papa performe au boulot et ne sait plus où donner de la tête. Heureusement il y a le ski et le vélo – auxquels il initie bien sûr les enfants ! Maman, une fois son travail accompli, trouve le temps pour les sorties entre copines ; et le sport aussi, c’est important ! Chacun des deux enfants débutera un nouvel instrument l’année prochaine, une nouvelle activité qui on l’espère ne l’empêchera pas de continuer à décrocher de bons résultats scolaires…

Beaucoup de choses passent également par le sous-entendu : il n’est pas très instructif de signaler que l’on est « toujours à Grenoble » lorsque tout le monde le sait déjà ; en revanche, en adossant à cette information un « pour l’instant », on laisse savoir que l’on a la bougeotte, une soif d’aventures, et qu’il ne faudrait pas grand-chose pour nous faire partir une nouvelle fois dans un pays lointain, pendant 1 an ou 2, à l’occasion d’une prochaine promotion professionnelle…

ange

Tout cela ferait plutôt sourire si la lettre ne contenait pas, systématique lui aussi, l’état des lieux « spirituel » de la famille. Car, si cette famille triomphe sur tous les fronts matériels de ce bas-monde, elle n’en oublie pas l’essentiel. Un chapitre est dédié à l’éphéméride des implications auprès de la paroisse, des couples à préparer au mariage, des retraites au sein de fraternités qui enthousiasment tant… A aucun moment ne les effleure la crainte que ce déballage, cette tartine béate envoyée indistinctement à la famille, aux amis et à qui sais-je encore, puisse être ridicule ou indécente.

Malgré tout, cette lettre m’est utile car c’est le seul signe de vie donné par cette cousine que l’on ne voit absolument jamais. Toujours absente aux réunions de famille, plus si fréquentes, cela ne l’empêche pas d’être celle qui regrette à voix haute qu’il ne s’en fasse pas plus souvent. Sans doute trop happée par la vie tourbillonnante qu’elle décrit dans ses lettres, elle est précisément, de tous et de toutes, celle qui montre le moins d’intérêt à ce que deviennent les autres. Et – j’en viens au fait et à mon questionnement initial : puisque nous sommes entre chrétiens, je suis totalement dépourvu de réponse quant à la question de savoir ce qu’il adviendra de cette cousine et de son mari lorsqu’ils seront présentés au Tout-puissant.

L’idée que je me fais du Dieu chrétien, s’il existe, est en effet qu’il vomira de sa bouche ce type de sépulcres hypocrites et démonstratifs. Les évangiles ne manquent pas de textes vociférant à leur égard. Tout en même temps, je trouverais ce Dieu chrétien bien dur d’envoyer rôtir ainsi tout ce petit monde sous ce seul prétexte. Mais pour autant je trouverais injuste qu’il leur accorde le paradis… Je dois le dire : si j’étais ce Dieu, je serais extrêmement embarrassé de savoir que faire avec ce types d’énergumènes.

Droit de vie et de mort

Si l’on tient un tant soit peu à la liberté individuelle, on est contre la peine de mort. Car rien n’est plus intellectuellement oppressant que l’idée d’un « corps social » – un troupeau de veaux – qui s’accorde à vous couper l’oxygène, à sectionner le fil qui vous rattache à la vie, sans ciller, sans douter, sereinement, dans un assourdissant consensus, avec en prime le sentiment du devoir accompli !

Mais ce faisant, en refusant ce « droit » – le droit de vie et de mort, cette primauté de la société sur l’individu, il faut être conscient qu’on supprime peut-être quelque chose qui fait le ciment de la société, qui lui donne sa substance et sa réalité.

  • Tant que la société s’arroge le droit de mettre fin à la vie des individus qui la composent, c’est simple : vivre signifie indûment « vivre selon l’ordre social ».  Vie personnelle et vie sociale sont une seule et même chose. Le Bien de cette société est notre Bien, son mal est notre Mal, et inversement. « La société » est alors quelque chose de réel parce qu’elle se confond avec la vie, nous n’en envisageons pas d’autre en dehors.
  • Mais si cette société ne menace plus notre vie, si son autorité s’arrête là où commence notre droit à exister, alors c’est différent. Son emprise n’est plus réelle mais périphérique : il y a notre vie d’un côté, et la vie sociale de l’autre, « la société » est un vernis qui vient s’ajouter. Et pourquoi se plier absolument à ce qui n’est qu’un vernis et qui ne peut outrepasser mon droit à vivre ? Pourquoi respecter les règles de ce qui n’est qu’un jeu, un jeu qui importune le cours naturel de la vie ?

Dès lors que la vie n’est pas en jeu, la vie EST un jeu. Dès lors que le jeu social ne peut plus avoir pour sanction la mort, il n’a plus de conséquence,  il devient un simple jeu avec ce que cela implique d’accessoire et de facultatif. Jeu d’embrouille, jeu de mains, jeu de dupes… Jeu à tricher, détourner, contourner… Jeu dont on peut bien se passer.

Et c’est un fait nouveau, à l’échelle de l’histoire humaine, que la société ne dispose pas de ce droit de vie et de mort. C’est tout récent qu’un chef d’Etat n’ait de pouvoir qu’administratif ou fiscal sur ses sujets, qu’il se contente de régir le cadre de la vie et non plus la vie elle-même. On peut imaginer qu’il s’agit là d’un événement qui conduira progressivement à la désagrégation de la société telle qu’on la connaît. Que peu à peu, les gens prennent acte de cette nouvelle donne et se détachent petit à petit de leurs obligations sociales, vivent une période de confusion à l’issue de laquelle se réinventeront de nouvelles formes de vie ou de sociétés.

« Le chrétien fait piètre figure »

Friedrich Nietzsche (dans Le Gai savoir ?) :

« Si le christianisme était dans le juste avec ses dogmes du Dieu vengeur, de l’élection par la grâce, et du danger de damnation éternelle, ce serait un signe de débilité mentale de ne pas se faire prêtre, apôtre ou ermite, et de ne pas travailler uniquement à son salut dans la crainte. Il serait insensé de négliger ainsi les biens éternels au profit de ses aises temporelles.
A supposer que la foi existe, le chrétien fait piètre figure. C’est un homme qui ne sait vraiment pas compter jusqu’à trois, et qui du reste, à cause justement de sa débilité intellectuelle, ne mériterait pas d’être aussi durement châtié que le lui promet le christianisme. »

La Bible, quant à elle, dit : « Parce que tu es tiède, je te vomirai de ma bouche »

Paradis perdu

C’est sûr, le monde – le monde extérieur, le monde de la réalité, celui qui nous entoure – est mystérieux. Pourquoi ces choses, pourquoi le monde, cela nous pose beaucoup de questions. Mais voilà : tout cela est bel et bien là et il faut faire avec ; bon an mal an, on admet que ce monde existe de nécessité, même si on ne l’a pas encore totalement compris.

Mais pourquoi le monde intérieur, à l’intérieur de notre tête ? Pourquoi lui est-il là ? Quelle est son utilité et sa légitimité ? Quelle est sa réalité ? Pourquoi cet embarras, pourquoi ces pensées qui n’ont souvent aucune concrétisation, si ce n’est celle de finir par nous rendre malheureux ? 

Il était un temps où il n’y avait pas de monde intérieur. L’homme n’avait qu’un seul type de pensées : celles par lesquelles il accomplissait ses actions. Ces pensées ne s’imprimaient guère, elles disparaissaient aussitôt achevée l’action qu’elles commandaient. Puis un jour il y a eu la prévision, la mémoire, les souvenirs, la réflexion… Un jour s’est engouffrée  la conscience. L’homme n’a plus pu s’empêcher d’avoir un jugement, une opinion sur ce qu’il était en train de faire. L’homme s’est éloigné dans un recul sur lui-même. En même temps qu’il faisait, il s’est mis à penser à ce qu’il était en train de faire. A pourquoi et comment il le faisait… Puis à ce qu’il ne faisait pas. A ce qu’il aurait aimé faire, à ce qu’il aurait aimé n’avoir pas fait… Le monde intérieur s’est gonflé comme un lac, avec ses rêves, ses remords, sa culpabilité, son ennui… Avec ses idéaux, sa soif de justice et ses désirs de vengeance…

C’est comme cela qu’on pourrait comprendre la Genèse et le mythe du Paradis perdu dans la Bible. Cette « chute », ce moment où l’homme a rompu avec son état d’innocence. Où se sont infiltrés la conscience et tout le tralala. Ce moment où la vie s’est « décollée », est passée sous l’espionnage d’un œil supplémentaire sur soi-même. Le moment où la vie innocente, au 1er degré, est devenue tout bonnement impossible. Et ce de façon irréversible.

Voilà quel genre « d’arbre de la connaissance » il ne fallait pas toucher !