La musique et son attirail

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Il est très rare que la musique soit uniquement de la musique. La plupart du temps, elle est l’attribut d’un ensemble plus vaste, la bande son de tout un « univers », de toute une esthétique, de tout un style vestimentaire quand ce n’est pas d’une philosophie. Ainsi : le rock’n’roll ne se résume pas à une musique mais à un art de vivre ; le punk-rock, si on lui retranche les crêtes iroquoises et les épingles à nourrice et qu’on l’allonge simplement sur une partition, ne représente plus qu’un faible intérêt ; la disco sans les fanfreluches et les clips n’aurait pas la même saveur ; et dans le rap : paroles, gesticulations de doigts, vêtements, bijoux, fessiers de danseuses… tout ou presque passe avant la musique.

Il en est ainsi de toutes les musiques modernes : il est très difficile d’apprécier la seule musicalité d’un genre en faisant abstraction de toute la « culture » qui va avec. Pourtant, cette amusante vidéo que je dégote affirme le contraire.

D’après cette amatrice, les fans de metal ne seraient intéressés que par la musique, la pure musique, le reste – l’attrait pour le cirque cadavérique qui va autour : culte de la mort, satanisme, occultisme… n’étant que des clichés qu’on leur colle à la peau. Pour y croire, il faut donc penser que c’est une coïncidence si tous ces mélomanes, par ailleurs, partagent aussi de l’intérêt pour les t-shirts à zombies, les chaînes dans le nez, les signes de diable avec la langue et les doigts, les longues tignasses, les bracelets à clous et les amulettes à cornes et têtes de mort.

Le metal ne serait que musique, et la plus variée qui soit qui plus est : il y en aurait, à en croire cette demoiselle, pour tous les goûts. Et en effet, la fiche Wikipédia expose une variété hallucinante de styles, de ramifications de genres et sous-genres. Pour être tout à fait honnête, il semble qu’il suffise d’un rien, en metal, pour qu’une branche fasse sécession et fonde une nouvelle école à part. Jouer un peu plus rapidement que les prédécesseurs occasionne un nouveau style ; associer un instrument auquel ses camarades n’ont pas pensé inaugure carrément un nouveau champ des possibles. Hurler ou pas, avec une voix caverneuse ou pas, engendre autant de genres différents… On se retrouve ainsi avec du black metal (qui n’est pas le dark metal), du war metal (aux antipodes du metalcore), du metalcore symphonique (variété de metalcore où le guitariste détient des rudiments de solfège), du cello metal (lorsqu’on joue Metallica sur un violoncelle plutôt qu’une guitare), du death’n’roll, du death-doom (je l’imagine comme un savant mélange de death metal et de doom metal), du sludge metal ou encore du grindcore : ensemble éclectique qui englobe deathgrind, goregrind et pornogrind).

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Difficile de ne pas éprouver de tendresse à l’écoute de cette juvénile plaidoirie. Que l’on soit passé au cours de sa jeunesse par le metal ou un autre genre, nous nous sommes nous aussi complus et enfermés, un jour et plusieurs années durant, dans une bulle musicale objectivement pauvre, étroite, terriblement balisée, mais qui nous paraissait alors un champ infini se suffisant à lui-même.

Ce qui est plus mystérieux en revanche, c’est de déplorer les clichés dont on est victime tout en les collectionnant sur soi un par un sans exception. Les punks d’hier cultivaient l’outrance et la provocation dans le but précis d’être jugés, et mal jugés. Ceux d’aujourd’hui font de même, mais revendiquent le droit à une certaine présomption d’innocence. « Ce n’est pas parce que je porte une croix renversée que je ne suis pas un concitoyen charmant qui participera volontiers à la Fête des voisins« . Pas parce que je suis habillé en cuir de pied en cape qu’il faut me réduire à quelqu’un d’habillé en cuir de pied en cape. Pas parce que j’arbore un tatouage “Fuck the system” qu’il faut écarter ma candidature au poste d’employé des Postes. Pas parce que je choisis délibérément la marge qu’il faut me marginaliser.

Moquons-nous de Huysmans

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Joris-Karl Huysmans puisant dans le Dictionnaire

Le dernier livre de Houellebecq m’avait fait croire que je pourrais lire Huysmans. Malheureusement, je crains de ne pas aller au bout du roman En rade bien que je sois déjà arrivé à la moitié.

Plusieurs choses sont à vrai dire problématiques, à commencer par le fait de voir trop clairement là où il veut nous mener. Alors que l’on a saisi l’idée du paragraphe, le voilà qui poursuit malgré tout et se perd en détails maniaques, en descriptions insistantes, inutiles, et l’on est obligé de sauter des lignes pour l’attendre un peu plus bas.

Plus largement, il adorerait que l’on se range derrière son personnage principal et que l’on s’irrite avec lui des protagonistes secondaires. Malheureusement, c’est pour ma part le contraire qui se produit : son personnage trop réflexif et délicat finit par me devenir ridicule, et Huysmans ne semble pas du tout s’en apercevoir. Par contre coup, ce sont les autres, ceux qu’on serait supposé détester, qui récoltent ma sympathie !

Enfin, Huysmans use et abuse d’images pour tout, et surtout pour ce qui n’en mérite pas. Tout est décrit, tout a une odeur, tout a une âme… Et si le personnage a le malheur de poser son regard sur l’étang du château, on nous inflige une description à la loupe des canards qui l’habitent. En l’occurrence, ils ont :

« des dos aux reflets métalliques, des poitrails de vif-argent lustré de vert réséda et de rose, des gorges de satin frémissant, flamme de punch et crème, aurore et cendre »…

OK. Un peu plus loin dans l’histoire, l’un de ces canards ne pourra évidemment pas se contenter de faire clapoter son bec comme tout le monde. Non. Il fera clapoter « la pince citron de son bec ». Quelle beauté. Quel raffinement. Quel réalisme ! Je ferme les yeux et je ressens ce canard au plus profond de moi.

Quand, dans le fond d’un décor, des pigeons prennent leur envol, c’est « en cercle, autour des hautes cheminées du faîte » ; et ils « s’éparpillèrent sur la tour dont le toit se fourra d’un bonnet roucoulant de plumes »… Fallait-il vraiment trouver une image pour cela ? Si seulement Huysmans avait un talent immanquable pour les images, mais ce n’est pas toujours le cas. Je me suis par exemple trouvé désemparé lorsqu’il m’a fallu imaginer, en pénétrant dans une pièce avec le héros, une odeur de « poussière tiède » ; c’est que je n’ai jamais respiré d’autre poussière qu’à température ambiante…

Pour finir, on n’échappe pas à quelques clichés romanesques, comme par exemple cette silhouette féminine apparaissant dans le rêve du personnage, dont « une étroite robe [serre] les bulles timorées de ses seins » ! Dans un roman, les seins ne peuvent jamais être des seins. Ils sont des « bulles timorées » ou plus fréquemment des « globes ». Blancs si possible. C’est ce que m’avait appris la lecture amusante du Dictionnaire des clichés littéraires (Hervé Laroche), qui répertorie les automatismes et expressions qui existent nulle part ailleurs que dans les romans.

Dictionnaire_des_cliches_litteraires

Par exemple, dans les romans :

  • un abîme est toujours « insondable »,
  • un accoutrement toujours « étrange » (un accoutrement normal n’intéresse personne),
  • un fil est toujours « ténu » et « menace de se rompre »…

Dans un roman, on ne manque pas une occasion de « nimber ». On nimbe de lumière ou de douceur, l’avantage de nimber, pour le romancier, étant qu’on ne sait pas très bien en quoi ça consiste. Dans un roman, « accusateur » est une propriété réservée aux doigts, que l’on « pointe », ou aux regards, que l’on « décoche ». Etc.

Pour finir, au mot affubler, le dictionnaire colle pour définition :

affublez tout de n’importe quoi, et ce n’importe quoi devient automatiquement intéressant. Par exemple :
Elle était affublée de lunettes à monture d’écaille ; Son bureau, affublé de deux tiroirs symétriques..., etc.

Evidemment, après avoir lu ce dico, il devient impossible d’écrire quoi que ce soit de romanesque.