Un écolo pas comme les autres

Lu Le Manifeste de 1971 de Theodore Kaczynski, un professeur universitaire qui tomba dans l’action terroriste contre le monde technologique après quelques années de marginalité et l’envoi de colis piégés anonymes.

Le texte de Kaczynski exprime un radicalisme proche de celui du film L’Armée des 12 singes contre le “complexe industrialo-technologique« . Si l’écriture est d’une certaine maladresse, laissant apercevoir la plume d’un « raté” introverti, elle n’est pas dénué d’intérêt ; le texte a paraît-il fait école dans certains milieux radicaux anarchistes ou situationnistes.

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Kaczynski décrit un système technophile libéral qui a pris la manie depuis la révolution industrielle de répondre aux problèmes humains par des moyens scientifiques et techniques. Ce penchant devenu irrésistible et hors de contrôle finit par inverser les priorités et faire prévaloir les besoins technologiques sur ceux humains. Le système tend à organiser une ingénierie psychologique et biologique pour manipuler les individus et les faire correspondre aux besoins industrialo-technologiques.

Pour comprendre la phobie de Theodore Kaczynski, il n’est pas inintéressant de savoir qu’il a participé durant ses études à des expériences de manipulation psychologique et sociale menées au sein d’Harvard pour la CIA.

La technologie va permettre à la société dominante d’imposer partout ses propres valeurs. Ce résultat ne sera pas le fruit de quelques salopards assoiffés de pouvoir, mais le produit des efforts de gens socialement responsables qui veulent bien faire et croient sincèrement à la liberté.

Si la liberté se détériore, ce n’est pas qu’elle soit la proie d’une philosophie anti-libertaire – la plupart des gens croient au contraire à la liberté. Mais c’est que les gens utilisent la technologie dans leur travail et leur vie quotidienne. Le système est créé de telle façon qu’il est toujours plus facile de choisir ce qui va renforcer l’organisation.

Par des méthodes toujours plus efficaces à mesure que se développera la psychologie de l’éducation, on apprendra aux enfants à devenir créatifs, curieux, forts en sciences ou en lettres, passionnés par leurs études. On leur enseignera peut-être même le non-conformisme. Ce ne sera pas un non-conformisme choisi par hasard mais un non-conformisme “créatif”, orienté vers des fins socialement désirables. Par exemple, au nom de la liberté on enseignera aux enfants à se libérer des préjugés irrationnels de leurs aînés.

L’aspect le plus surprenant du livre est l’attaque portée au “gauchisme”, perçu comme conducteur du progressisme technologique effréné. Par ce mot, est désigné un esprit général de “la gauche depuis la deuxième moitié du XXè siècle” dont la définition précise est compliquée. On imagine que Kaczynski théorise là son observation de la faune universitaire fréquentée à Harvard et Berkeley. Le gauchisme dont il parle réunit la frange activiste militante du droit des minorités, et un ventre mou plus vaste, plus normalisant, agissant par le politiquement correct.

Ceux qui manifestent la plus grande susceptibilité à l’égard du “politiquement incorrect” ne sont pas le résident ordinaire des ghettos noirs, l’immigrant asiatique, la femme battue ou la personne handicapée. C’est une minorité d’activistes dont la plupart proviennent des couches privilégiées de la société.

Kaczynski décrypte deux grandes tendances de l’esprit “gauchiste”. La première est un sentiment d’infériorité prononcé, qui incite à s’identifier à tout ce qui ressemble à la faiblesse, à la défaite, au réprouvé… et à s’en approprier les causes. Cette empathie sans limite pour des catégories de personnes qu’on essentialise en victimes (personnes de couleur, personnes handicapées, femmes…) induit en effet de les considérer inconsciemment comme inférieures, de qui il ne faut rien exiger comme on le fait avec les autres, mais seulement défendre les droits, et à qui il faut, en conséquence, tout passer, tout excuser, avec qui il faut être « gentil ». 

Les gauchistes s’identifient fortement aux problèmes des groupes dont l’image est celle de la faiblesse, de la défaite, de l’ignominie ou de l’infériorité à quelque égard que ce soit. Ce sont eux-mêmes qui jugent ces groupes inférieurs. Il est clair que c’est précisément parce qu’ils les voient comme tels qu’ils s’identifient à leurs problèmes.

La seconde est la “sursocialisation”. Le sursocialisé se conforme et cherche à être en accord avec les valeurs dominantes. Il est mû par une crainte intériorisée. En imbriquant ainsi ces deux caractéristiques, il me semble que l’on touche là à quelque chose d’intéressant.

Un individu est socialisé s’il croit au code moral de sa société et lui obéit, et s’il s’intègre harmonieusement dans l’ensemble social. (…) Un des principaux moyens dont la société dispose pour socialiser les enfants consiste à leur faire ressentir de la honte lorsqu’ils parlent ou agissent à l’encontre de ses attentes. Lorsque cette méthode est appliquée trop systématiquement ou lorsqu’un enfant est prédisposé à développer de tels sentiments, il finit par avoir honte de lui-même.

Le gauchiste de type sursocialisé tente de briser le carcan psychologique qui l’enserre par la révolte. Mais il est généralement trop faible pour se rebeller contre les valeurs fondamentales de la société. En général, ses projets ne sont pas en conflit avec la morale dominante. Au contraire, la gauche s’empare d’un principe de l’éthique commune, elle le fait sien pour ensuite accuser le reste de la société de ne pas le respecter. Leur révolte se justifie dans les termes de la morale commune.

À l’époque où Kaczynski a fait ces observations (années 70), le lien entre “gauchisme” et “complexe industrialo-technologique » pouvait paraître saugrenu. Ce lien est beaucoup plus sensible aujourd’hui que nous voyons la célébration de Steve Jobs et l’émergence depuis la Silicon Valley de la pensée transhumaniste. On le subodore aussi dans la bienveillance des GAFA envers certaines opinions et leur action coercitive contre d’autres. Ou enfin dans la porosité étrange qui existe entre les revendications hystériques de groupuscules marginaux et l’action normative d’une gauche plus bourgeoise.

« Du salami sous blister »

« S’il est très facile, avec tous les documents mis à disposition, de démasquer (…) les limites culturelles et les préjugés qui faisaient la bêtise des hommes du passé (…) ; on aura moins d’aisance à démêler les conceptions de cette époque où nous sommes pris et qui a fait notre éducation (…) ; de cette époque qui trouve normal de disposer d’un réacteur nucléaire pour se raser le matin et faire le café ; qui n’imagine pas d’inconvénient à ce qu’on ravage l’univers de fond en comble afin de lui procurer du salami sous blister, de l’antitranspirant et des chemises infroissables ; qui ne s’étonne pas qu’on lui ajoute des rires enregistrés dans sa radiovision, qu’on défriche au bulldozer les derniers restes équatoriaux pour lui fabriquer des meubles de jardin qu’on peut laisser sous la pluie, (…) ou qu’on lui offre des satellites de téléphonie portative pour demander ce qu’il y a au dîner. »

Baudouin de Bodinat dans La vie sur terre.

Incontinents

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Parmi les nouveautés qui ornent les trottoirs, nous trouvons ces urbains qui promènent sur eux en permanence leur petit godet-thermos contenant un thé ou un café. C’est ainsi qu’un matin, alors que les portes de mon métro s’ouvrent, je tombe nez à nez avec un type tenant à la main sa petite boisson chaude. Impression désagréable d’avoir poussé par erreur la porte de la cuisine d’un inconnu en plein petit-déjeuner…

Le consommateur est appelé à développer son incontinence : il lui faut son Banania maintenant, pas avant ni après, de la même façon qu’un gamin ne sachant pas anticiper son besoin se fait dessus à la seconde où il a envie.

Cette incontinence se manifeste plus largement dans la nouvelle façon de consommer la musique. Tout comme les abonnements UGC vous ont forcé à consommer du cinéma dès que vous avez un moment et non quand quelque chose qui vous semble valoir le coup se présente, la musique dématérialisée propose l’écoute à la demande (c’est-à-dire tout le temps), l’accès infini aux playlists, compils, Jukebox et best of en continu… Face à l’argument pratique et économique, nous voilà bien seul à ne pas avoir encore troqué l’encombrant format CD contre le lecteur numérique, transportable, connecté à la bibliothèque universelle de la production musicale. Nous voilà bien seul à entretenir des scrupules devant l’acte de transférer la discothèque de toute une vie dans l’immatérialité d’un damné téléphone, à conserver de l’affection pour l’objet physique de la musique… Notre réticence n’est d’ailleurs nullement une question d’affection ou de nostalgie mais plutôt de conception de la musique.

Nous n’avons jamais considéré la musique comme une chose qui se doive écouter tout le temps et autant que possible. Nous n’avons jamais considéré que les plages de temps inoccupé se doivent être comblées par un fond sonore, quelle que soit sa qualité. Nous entendons au contraire réserver la musique à certains moments privilégiés, comme un bon champagne ou un produit de valeur. La réserver à certains moments où nous pouvons nous y consacrer. Nous n’avons jamais écouté « de la musique » mais plutôt une œuvre, un album dans son entièreté et dans sa progressivité, dans l’histoire qu’il occupe au sein de la discographie d’un artiste. Nous avons pour cela besoin de saisir l’objet musical, de le choisir parmi les autres et de l’en retirer.

Je garde à ce sujet le souvenir d’un collègue avec qui j’avais à effectuer de fréquents trajets en transports, et qui avait cette effarante capacité, aussitôt assis sur un strapontin, à s’injecter de la musique dans les oreilles et à s’endormir instantanément en conséquence, quelle que soit l’heure de la journée, pour se réveiller intuitivement pile au moment où nous atteignions la destination. Il rattrapait ainsi jusqu’à une heure complète de sommeil dans la journée, mais quel terrifiant spectacle que ce pantin endormi, ce cerveau en mode on/off mobilisable sur demande, anesthésiable sur commande par de la musique en péridurale – musique dont il se croyait évidemment féru du fait qu’il en ait à disposition en permanence, à tout moment et tout endroit de la journée.

J’ai toujours eu un œil, une fois qu’il se fut levé pour descendre, à l’endroit de la banquette qu’il avait occupée. De crainte qu’il nous l’ait laissée humide.

Obsolescence programmée

vitrines noel

Chaque année le miracle se réitère : malgré les vitrines clignotantes, les publicités intrusives, les foules qui se pressent et se compressent dans les dégueulis à ciel ouvert que sont devenues les grandes enseignes… malgré la marée noire d’objets, de boîtes, d’articles, murs d’écrans, tranchées de DVD, montagnes de consoles de jeux, tablettes électroniques à tripoter, hectares entiers de bouquins plus chatoyants et idiots les uns que les autres… malgré ces endroits pensés pour inspirer le dégoût et la saturation, ces ambiances prédisposées à ce qu’un type équilibré craque, se détraque et canarde la foule – fusillade à vue, crime de masse, fou armé d’un sabre décapitant à tour de bras… Malgré tout cela : la tuerie est chaque année évitée de justesse et aucun massacre n’est à déplorer. Miracle de Noël.

Il faut croire que les gens ne sont pas si dégoûtés d’avoir à se promener là-dedans ; ils ne semblent pas manquer d’oxygène, engloutis sous ces amas de biens culturels. Alors que le reste du temps ils glosent sur la crise et le pouvoir d’achat, ça ne les trouble pas de voir ces gadgets onéreux et facultatifs rangés en piles entières, en tête de gondole, en libre-service comme si l’on devait pouvoir s’en emparer à la volée, sur un coup de tête.

Et c’est d’ailleurs ce que les gens font, dirait-on : ils s’en saisissent comme d’un paquet de pâtes au rayon supérette. Ils se décident sur l’instant pour un appareil photo à 800 € (indispensable pour leurs souvenirs de plage) ou pour une tablette qui leur permettra de lire internet entre le boulot et le domicile pour la modique somme de 900 €. Ils claquent en e-commerce pour des articles qu’ils n’ont pas vus ni touchés. Leur casque à musique peut aller chercher dans les 300 €, ça ne les effraie plus, ça renforce leur envie.

Les enseignes informatiques, hi-fi, ménager, numériques – on ne sait plus trop – sont devenues si habituées à voir les gens venir en masse et lâcher l’argent sans poser de question qu’elles ne se donnent même plus la peine de tenir un argumentaire pour convaincre. La dernière fois que j’ai eu à remplacer mon PC, j’ai demandé au vendeur quelle marque était réputée la plus solide ; il m’a expliqué le plus naturellement du monde que c’était du pareil au même, quelle que soit la marque ce sont les mêmes produits, les mêmes composants fabriqués en Chine, et qu’en vertu de cela, je ne devais pas m’inquiéter de savoir si ce nouveau PC tiendrait 5 ans, 8 ans, ou me claquerait dans les doigts au bout de 6 mois : on ne pouvait jamais dire. Et sur ce, à l’issue de ce brillant exposé, il ne s’attendait pas moins à ce que je me décide dans la minute et qu’il conclue la vente.

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C’est cela, la véritable nouveauté : non pas la camelotisation du monde, dont on a déjà entendu maintes fois parler, mais le fait qu’elle se normalise, qu’elle fasse partie de l’argumentaire, qu’elle sorte de la bouche du vendeur lui-même. La nouveauté, c’est la décontraction avec laquelle c’est assumé et affiché, et, par déduction, la facilité avec laquelle ces « merdes » – puisqu’elles s’assument comme telles – de plusieurs centaines d’euros s’écoulent aujourd’hui.

Désormais, le quidam a intégré qu’il voulait du rutilant, à quelque prix que ce soit, et en acceptant indûment qu’il en faudra changer 2 ans après. C’est ce qu’il demande et l’on est bien seul, en vérité, lorsqu’on en est encore à exiger quelque chose qui dure. Que l’on ne me parle pas d’obsolescence programmée, de complot industriel : l’obsolescence, c’est dans la tête des consommateurs qu’elle est programmée. Le méchant capitalisme ne fait que répondre à cette demande : puisque les gens ne sont plus regardants, puisqu’ils veulent le dernier cri permanent, pourquoi faire du costaud ? Pourquoi faire du bon ? On investit ailleurs plutôt que dans la longévité.

En corollaire, c’est un masque qui tombe : celui du conseiller-expert. La valeur de l’intermédiaire distributeur tenait à ce qu’il proposait la variété, mais aussi la hiérarchisation de l’offre. S’il n’y connaît foutrement rien, s’il refourgue tout et ne se contente que de flanquer un coup de vernis avant de refourguer la merde dont il est complice, on peut avantageusement se passer de lui. La page se tournera d’une époque où l’on pouvait payer cher pour avoir la qualité, à une autre où la qualité n’existe plus, et où dès lors, il n’y a plus de raison de payer la gabelle.

Mari vaut bien une messe

Une messe de mariage, ce n’est jamais aussi long et insupportable que lorsque les mariés eux-mêmes n’en ont manifestement rien à foutre mais qu’ils se la sont infligée comme figure obligatoire, et nous avec. Résultat : une heure à passer dans une ambiance étouffante, parmi des gens dont personne ne sait ce qu’il fait là, à commencer par le marié qui fait tout pour montrer, par des œillades appuyées, qu’il est désolé de nous retenir ici et que « vivement que l’curé ait fini, qu’on aille s’en jeter un ! ».

tourner serviettes

Que ne s’est-il dispensé tout à fait de messe ? On ne le saura jamais. Il y tenait quand même. Ça se fait. Et dès qu’ils eurent choisi l’église et le curé, les mariés n’ont plus eu de souci que de désacraliser la cérémonie à tout prix, par le truchement d’animations diverses, destinées à la rendre moins ennuyeuse selon leurs critères.

Ainsi le grand cirque démarre, en grandes pompes cirées. Aujourd’hui, ce ne sont plus de simples rappels à l’ordre et au recueillement que le prêtre doit faire observer. Il doit encore supporter le tournoiement permanent de la vidéaste et du paparazzi officiels, qui cherchent à choper l’angle de vue inédit. Il doit tolérer qu’un tohu-bohu se répande au moindre temps mort dans la célébration. Il doit laisser le frangin de la mariée remplacer une lecture biblique par un texte de son cru sur l’enfance attendrissante de sa sœur, ou encore la citation d’une auteur américaine dans le goût de « dans un couple, faut pimenter le quotidien, chasser la routine et toujours se surprendre »… Il doit tempérer les applaudissements de la foule qui hulule au moment où les mariés se roulent une pelle hollywoodienne. Et point d’orgue : il écoutera s’élever le long des colonnes de sa cathédrale les accords sacrés de I do it for you de Bryan Adams !

Encore est-il bien heureux que l’assemblée, en entendant ce hit, se contente d’un début de hola avant de s’arrêter d’elle­-même sans aller plus loin dans l’hystérie. L’étendue des dégâts est telle, et elle est d’autant plus surprenante à observer lorsqu’elle atteint des milieux campagnards, ruraux, populaires, agricoles… où selon l’idée que je m’en fais, chacun a forcément assisté à un bout de messe, pénétré dans une église au moins une fois dans sa vie pour avoir une intuition même approximative de l’attitude à observer. Comment en arrive-t-on à ce qu’une foule entière soit à ce point privée de l’instinct le plus simple de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas ? Comment, même laïcisés, les enfants d’une religion peuvent-ils lui devenir étrangers au point de ne plus avoir aucune notion de solennité ? En vérité, on ne pourrait pas se comporter de façon beaucoup plus inappropriée en débarquant, radicalement ignorant, dans le temple d’une religion inconnue. Et il ne doit pas y avoir beaucoup d’autres cultures (d’autres religions surtout) dont les descendants, ayant oublié les rites, se sentent aussi libres de les saccager par manque de retenue.

Alors pourquoi ? Pourquoi ces mariés, pour qui une messe – fût-elle celle de leur mariage – est une tannée, persévèrent-ils à infliger leur présence à un prêtre et à une église ? Pourquoi entament-ils une démarche de bénédiction religieuse si ce qu’ils veulent entendre, au fond, c’est I do it for you ? Pourquoi réitérer à l’église la foire qui peut avoir lieu à la salle des fêtes et à la mairie le reste de la journée ? C’est que l’église, en réalité, fait partie du folklore : elle est simplement l’un des bullet points sur la to do list de la wedding planner que les mariés ont payée pour dépenser leur budget mariage.

wedding-planner« Tes paupières sont lourdes… Et maintenant tu vas me donner ton argent… »

Il y a un budget et il faut bien le claquer : il faut bien « animer » la journée un maximum. D’où l’église, où l’on fait venir à grand frais un groupe de gospel qu’on ne connait ni d’Eve ni d’Adam et que l’on paye une fortune pour que soit chanté Amazing Grace, comme dans son film préféré. D’où le dispositif média impressionnant, comprenant le photographe et la vidéaste donc, mais aussi un drone à hélices qui prend photos et films en vol plané, des écrans diffusant les photos numériques qui ont été prises l’heure d’avant, des cartons d’invitation hi-tech, un livre d’or pré imprimé avec photos des mariés qui posent sur papier glacé, façon « Dieux du Stade » !

L’église reste le décorum incontestable d’une journée de mariage réussie. Si on en avait les moyens, avec en sus la volonté de fiche la paix à M’sieur le Curé, on en ferait reconstituer une dans un studio, pleine de fleurs et de tulle, pour se lâcher plus complètement sur des tubes crémeux et romantiques.

Doubleplusbon

Vu en tête de gondole d’une librairie une collection de petits « livres de cuisine » proposant des recettes à base de produits industriels célèbres : Coca-Cola, bonbons Haribo, crème de marrons Faugier, Carambar…

recettes nutella carambar

Aujourd’hui, il est en effet possible de faire croire à des gens que ces recettes peuvent être appétissantes, et que des sucreries industrielles peuvent être des ingrédients de cuisine honorables. Il y a, pour gober cela, le désormais célèbre public « adulescent » : cette catégorie de personnes qui, à 30 ans passés, n’ont jamais cessé de prendre un goûter, de manger des céréales dans lesquelles un jouet est offert, et dans la vie de qui le Nutella™ ou les Chamallows™ continuent à jouer un rôle important.

L’engouement pour ce type de cuisine (si engouement il y a) repose sur une équation simple : « si A est bon et si B est bon, alors A+B est très bon ». Et ça ne se limite pas au goût : au-delà des « glaces aux Smarties’ » et des « brownies aux M&M’s », il y a une tendance à proposer, dans la culture populaire, des agrégats de saveurs, censés faire saliver comme si cela en démultipliait le goût. On croit ou fait semblant de croire que l’addition de deux choses bonnes donne quelque chose de deux fois plus bon.

C’est ainsi que pour faire un film nouveau et original « encore meilleur », on se permet d’empiler grossièrement deux genres l’un sur l’autre, ou encore de surajouter les héros et les acteurs comme des ingrédients, sans aucune crainte de l’indigestion ou de la faute de goût.

inglourious-basterds aliens cowboys« Cowboys + Aliens » / « Nazis + coolitude » : double ration !

AvengersTous les héros réunis = meilleur film d’action de tous les temps !
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Les-Seigneurs6 acteurs comiques = film 6 x drôle

Cette façon de penser et d’avoir son compte relève d’une logique boulimique, gloutonne et assez américaine. Elle procède d’une inversion complète entre qualité et quantité. Singeant la créativité et l’invention, elle ne fait en réalité qu’empiler et accumuler les matières. Et alors qu’elle devrait apparaître instinctivement fausse et repoussante à un Européen, elle trouve tout de même son terreau chez nous par la grâce de l’américanisation des esprits. Cela passera peut-être, comme une mode, ou cela s’installera au contraire durablement dans notre façon de goûter et d’apprécier les choses.