L’athée qui nous explique que lui, il est athée…

Il y en a toujours un à la table, et c’est particulièrement savoureux lorsqu’il s’agit précisément de la cruche qui s’est compromis dans la conversation précédente par ses banalités. Car c’est avec précaution et non sans un air supérieur qu’il nous fait cette confidence : il est athée, lui !

Comme s’il risquait de choquer certains convives. Comme si cette opinion n’était pas commune, et que c’était cette conviction, et non l’inverse, qui était délicate à confesser. Et surtout : comme si les autres n’y avaient pas songé, avaient benoîtement gobé leur catéchisme pendant que lui se creusait les méninges !

Il est athée, lui. Question réglée. Tant d’hommes ont cru avant lui, et aujourd’hui encore des esprits éminemment éclairés se réfèrent à la foi, mais peu importe, ça ne fait pas vaciller la certitude de son doute. A aucun moment il n’envisage que peut-être, la foi recouvre une dimension qui lui échappe, un peu plus riche et complexe que ce qu’il présuppose. Il a bien réfléchi, lui : cette histoire de Dieu à barbe dans le ciel ne lui inspire rien de bon qui vaille ! Asseyez-vous et prêtez l’oreille, il va vous expliquer !

Comme si la vie de l’esprit ne devait pas être une errance permanente dans le désert de l’incertain, du faux-semblant… Comme si chacun ne devait pas être condamné à être balloté du désespoir à l’espérance jusqu’à la fin de ses jours…

Et le revoilà bientôt qui pousse la balourdise jusqu’à nous expliquer qu’il faut faire la différence entre athée et agnostique !

La fin des fausses conversations

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Pendant longtemps, on a risqué à tout moment de se retrouver face à une personne peu bavarde ou peu intéressante, à devoir lui faire la conversation bien qu’on n’ait rien à lui dire. Pendant longtemps, il a fallu ruser, broder une discussion de façade, s’emparer de n’importe quel détail pour monter un sujet de conversation… Et quand la mince étincelle se produisait, il fallait ne pas relâcher l’effort : il fallait souffler sur les braises pour ne pas que la discussion s’éteigne.

Dans le futur, on a mis fin aux fausses conversations par un moyen astucieux : les smart phones. On a équipé les gens de ces petites encyclopédies qu’on peut emporter partout avec soi et consulter à tout moment. On leur a ainsi offert une échappatoire, un moyen de remplir leurs conversations. Grâce aux applications et autres gadgets, les fausses discussions ont trouvé de quoi rebondir. Le déjeuner le plus emmerdant s’est transformé en un moment convivial, exempt de tout embarras, pendant lequel on peut partager des vidéos hilarantes ou piocher dans les derniers sujets d’actualité quand le débat s’essouffle.

Mais rapidement, les choses ont dérapé. A la table de midi, il n’a plus été possible de papoter sans que quelqu’un s’empare de son téléphone pour vérifier ou étayer l’argument. Dès qu’une personne prenait la parole, avançait une affirmation, une autre se précipitait sur internet pour trouver la preuve qu’il avait tort ou raison. Rapidement les conversations se sont réduites à cela : une affirmation que l’interlocuteur valide ou invalide par Wikipédia. Fin de la discussion.

Des trous béants se sont ainsi déposés dans la conversation, et la gêne est réapparue, encore plus grave et plus angoissante cette fois-ci, ne laissant d’autre issue qu’une fuite en avant. Car désormais, celui qui, pour échapper au pesant silence, fait diversion sur le beau ou le mauvais temps qu’il fait aujourd’hui, se voit donner sous 15 secondes la température exacte et l’évolution prévue pour l’après-midi par Météofrance.com. Fin de la discussion.