Ce blog

Je donne du « nous », mais bien entendu je suis seul.

Je décoche mes billets, mais bien entendu je n’égratigne rien du tout.

Le réel, lui, ne bouge pas d’un pouce. Il ne change pas sa trajectoire (manquerait plus que ça) et l’impression que sous les mots posés, le monde trouve de la cohérence, est une illusion qui ne dure pas. Il vient toujours un matin où le monceau quotidien de réel a recouvert ce que j’ai affirmé la veille.

Je pense parfois à certains lecteurs qui pourraient trouver que ce blog s’enlise dans la critique et le négatif. Ma foi, il est possible que j’aie livré ce que je possédais en fait de sagesses et de bon esprit, et qu’il ne reste plus que la bile et le vitriol…

Et pourtant il me tient à cœur de ne pas être cet Œil sale qui amoche et amoindrit. Pourquoi ce blog ? Parce que quelque part il y a la croyance qu’en tapant régulièrement et toujours au même endroit, je vais réussir à faire une rayure. Que derrière les voiles arrachés, il y a d’autres possibilités qui apparaissent. Quelque part il y a la croyance qu’en tapant toujours au même endroit, quelque chose va se détruire, ou s’édifier.

L’irrévérence inoffensive

Arrêtons de croire qu’il y aurait d’un côté, un parterre de gens que la politique berne ou mystifie, et de l’autre des humoristes « irrévérencieux » pour leur ouvrir les yeux. En vérité, l’humoriste irrévérencieux n’apporte aucune critique, ne révèle aucune supercherie que le public ne porte déjà en lui. Oui : le con moyen pense déjà que Sarkozy est petit, con et bling-bling. Il aime simplement entendre une sommité médiatique penser comme lui.

Ce n’est pas nouveau : l’admiration que l’on porte à quelqu’un contient toujours un ressort narcissique. Longtemps, j’ai aimé lire de la philosophie en pensant que ce qui m’attirait était la remise en cause, la curiosité, l’exploration de nouvelles façons de voir… Mais je dois me rendre à l’évidence : les philosophes que j’ai chéris le plus ne sont pas ceux qui m’ont fait voir différemment. Ce sont ceux qui ont « pensé comme moi » mieux que moi, qui ont conforté des vues naissantes ou inconscientes. A l’opposé, j’ai naturellement laissé sur l’étagère ceux qui ne parlaient pas mon langage, qui ont paru trop indigestes, et en fin de compte inassimilables, à ma pensée.

Voici pour la prétendue nocivité de l’humoriste. C’est de façon tout à fait illégitime qu’il tient ce prestige de donneur à réfléchir, de miroir des travers de notre temps, de metteur en décalage, de grand démasqueur de comédies humaines… Il ne fait rien de tout cela en vérité. Y compris le plus irrévérencieux. Il n’apporte rien qui ne soit déjà largement partagé. C’est la raison de son succès : donner un exutoire aux convictions établies. Prononcer ce que le large public croit tout bas.

Oeil sale

Il est honorable de traquer la laideur et la vulgarité pour la défaire de ses oripeaux ; il est légitime de chercher à gratter la peinture pour révéler le faux et le toc qui se cachent en-dessous. Attention néanmoins à ne pas pousser trop loin cette vertu : on en sortirait l’œil sale, c’est-à-dire que tout deviendrait prétexte à la laideur parce qu’en fin de compte, la dénoncer nous procure du plaisir.

En grattant la peinture, on peut toujours trouver un défaut qui se cache.
Le fait est qu’on vient de gâcher une peinture qui elle, était belle.