« Il est doux d’observer le grand malheur d’autrui »

« Il est doux, quand les vents tourmentent de leurs trombes la mer aux vastes flots, de se trouver à terre et d’observer là le grand malheur d’autrui.

Non qu’on ait plaisir à voir quiconque mis à mal, mais de voir de quels malheurs on est soi-même exempt, c’est cela qui est doux. 

Plus doux encore est de tenir les temples qu’a érigé l’enseignement des sages, bien défendus, sereins, d’où porter son regard vers en bas et voir au loin les autres errer et chercher au hasard le chemin de la vie, rivaliser d’esprit, faire nuit et jour un colossal effort pour monter au sommet de la richesse et être maître des choses… Pauvres esprits humains, ô poitrines aveugles ! En combien de périls et dans quelles ténèbres se consume la vie aussi courte soit-elle ! »

Lucrèce, dans De rerum natura.

« Plus une chose a de vide »

Lucrèce, dans De rerum natura :

« Sans vide, jamais rien ne peut être brisé, rompu, coupé, fendu en deux, rien ne peut prendre l’eau, non plus le froid perçant ni le feu pénétrant… Toutes les choses qui tuent.

Et plus une chose en son dedans a de vide, plus l’attaque est profonde et la fait chanceler. »

« Tu vas au gré des flots de ton esprit errant »

Lucrèce dans De rerum natura :

« Qu’y a-t-il donc pour toi de si grave à mourir, mortel ? Pourquoi pleurer ainsi et déplorer la mort ? Car enfin, si la vie par toi déjà passée t’a été agréable, si ses bienfaits n’ont pas été versés en toi comme en un fût percé sans que tu en aies gré, pourquoi ne t’en vas-tu pas du repas de la vie en convive repu ? Et si c’est en pure perte que tu as laissé filé ce que tu as eu en fait de jouissances, si tu es mécontent de la vie, pourquoi quêter encore un supplément ?
Car tu sais, je ne vais pas goupiller pour toi du nouveau qui te plaise : il n’en existe pas, tout est toujours le même. (…) Allons donc ! Tu as beau être en vie et voir en ce moment, ta vie est presque morte, toi qui perds à dormir le plus clair de ton temps, et quand tu ne dors pas tu ronfles, l’œil fixé sur tes rêves sans cesse, une vaine terreur t’agite la pensée sans que tu soies capable de dire bien souvent quel est ton mal au juste, quand ivre et de partout cerné par les soucis qui te pressent et font ton malheur, tu vas au gré des flots de ton esprit errant. »