« Suivant le progrès de l’accumulation des produits séparés et de la concentration du processus productif, l’unité et la communication deviennent l’attribut exclusif de la direction du système ».
Ou encore :
« La division des tâches spectaculaires qui conserve la généralité de l’ordre existant, conserve principalement le pôle dominant de son développement ».
C’est dans cette langue ouatée et assez illisible (on pourrait dire « indigeste » si seulement on avait réussi à en avaler les gros morceaux) qu’est écrite toute l’œuvre phare de Guy Debord : La Société du Spectacle. Si je m’attendais… Voici des années que ce titre apparait aux intersections de mes autres lectures, que ce nom m’est soufflé et que je savais qu’il devait logiquement me plaire, et c’est un petit choc de découvrir qu’il ne parle pas du tout ma langue. Est-ce que je lui étais trop facilement acquis ? C’est en tout cas une surprise, sinon une déception. Il y a des auteurs que l’on a peut-être trop attendu pour lire, avec qui l’on a peut-être manqué son rendez-vous…
Ceci dit, certains écrits plus anciens (car ce sont en réalité les œuvres complètes que j’ai lues), la période de jeunesse avec Potlatch et l’internationale lettriste notamment, ont un véritable intérêt. Je retiens principalement l’approche psycho-géographique et sa théorie de la dérive : sous un abord urbanistique et scientifique, il s’agit d’explorer les villes sous un jour nouveau et d’en cartographier les « unités d’ambiance », c’est-à-dire de dessiner la géographie réelle des quartiers, indépendamment des formes que l’administration, le cadastre ou l’histoire ont pu leur donner. Une « unité d’ambiance », on l’imagine, tire son existence d’un ensemble associant un décor, une atmosphère de quartier, une ambiance sociale, des souvenirs…
La dérive est donc cette discipline de relevé topographique qui consiste à déambuler de façon plus ou moins aléatoire dans la ville pour répertorier les îlots de vie caractéristiques, pour trouver les « passages » d’un quartier à l’autre… Et il faut en réalité arriver au premier compte rendu de dérive pour s’apercevoir que, sous le vernis méthodique, cela consiste simplement à errer dans Paris plus ou moins ivre avec ses compagnons !
Pour finir sur l’anecdotique, ces comptes rendus de dérive observent une règle amusante qui est de retirer la désignation « saint » à tous les noms de lieux qui en sont affublés. On se promène ainsi à travers le quartier Sulpice, la rue de la Montagne Geneviève, le boulevard Michel, ou Germain, ou encore la commune de Denis… Des lieux qui par cette astuce, semblent reprendre un peu de leur virginité et de leur mystère.