Redésinformation, suite et fin

Affaire rondement menée que celle de la reprise en main de l’information sur internet. En quelques semaines, tout est allé très vite. Le Monde nous a sorti le Decodex, Facebook a mis en place en douce un système analogue à celui que j’imaginais dans mon dernier article, et le Decodex lui-même a déjà eu le temps de se décrédibiliser tout seul (voici comment).

Je suis assez surpris de l’indifférence générale dans laquelle se joue cette partition, qui marque pourtant une rupture complète avec les grands principes de liberté-égalité du net en vigueur jusqu’ici. Est-ce peut-être une lubie personnelle ? Je me le demande tant personne n’en fait un sujet, ni parmi les gens autour de moi, ni dans les médias qui auraient pourtant là l’occasion, en se saisissant de la cause, de se racheter une réputation intègre à moindre frais.

Pas grand-chose à ajouter sur le sujet sinon cette conclusion : ce qui au fond est combattu à travers les « fake news », ce n’est pas la fausseté en elle-même, qui égarerait les opinions, c’est la disparité des interprétations. Vrai ou faux, ce dont un pouvoir a besoin c’est d’un niveau d’information relativement homogène parmi sa population. Que chacun vive à peu près les choses de la même façon. C’est comme cela qu’il peut, le moment venu, la mobiliser autour de ses projets. Internet génère au contraire un communautarisme des consciences, des ghettos d’opinion nourris et entretenus par les bulles interprétatives dans lesquelles chacun peut s’enfermer. Dans ces bulles ne fermentent pas nécessairement l’erreur ou le mensonge, mais des appréciations trop différentes les unes des autres. C’est ainsi que l’on se découvre par exemple des jeunes de banlieues qui « ne sont pas Charlie » ou qui, bien que pleinement Français, épousent la cause de l’ennemi.

On se rappellera qu’en 1917, mutineries et désobéissance sont survenues à l’occasion de la révolution russe, dont la réfraction sur les événements ont donné à certains soldats une perception changée des buts de la guerre qu’ils menaient.

Il est néanmoins assez comique de voir ceux qui sont pour la libre circulation de tout ce que vous voulez entraver celle de l’information. Eux qui jusque là n’avaient comme crainte que le « repli sur soi » s’évertuent à présent à filtrer les interprétations venues d’ailleurs et à reconstruire une bulle informative clean et « nationale ».