Mauvais signes

Certaines règles de bienséance ont été établies pour d’authentiques raisons de tenue. « On ne parle pas la bouche pleine » par exemple, parce que voir une bouche mâcher, écraser des aliments et nous en cracher des particules au visage est réellement désagréable. D’autres règles de bienséance, en revanche, ressemblent plutôt à des codes inventés par des initiés pour détecter l’éventuel imposteur qui se serait invité parmi eux. Servir le vin dans le mauvais verre, être malhabile avec le couteau à poisson ou embarrassé par le baise-main… Aucun de ces impairs n’occasionne de désagrément réel à votre interlocuteur mais il lui signifie simplement à qui il a à faire, que vous n’êtes pas de ce milieu-là et que vous n’avez pas l’éducation à laquelle il pense.

A nous de trouver, dans les autres domaines de la vie, ces « choses qui ne se font pas », les mauvais signes qui dénotent la trace du vulgaire, du faux ou de l’imposture du premier coup d’œil. Ces petits signes qui trompent rarement et font gagner du temps.

danger

Par exemple, lorsque l’on voit dans un restaurant ou un bar un écran de télévision installé, c’est mauvais signe. Cela dénote la conception que se fait l’établissement de la convivialité. Cette télé qui diffuse du MTV, il y a de fortes chances pour que vous la retrouviez dans votre assiette, dans votre verre, dans la musique d’ambiance ou dans le faciès du serveur.

Chez les gens, aussi, il y a bien sûr des signes qui ne trompent pas. Pas seulement de mauvais signes, mais des signes avant-coureurs : certains détails, certaines poignées de main, un accessoire ou une gourmette, n’appartiennent qu’à certains types de personnes bien précis.

Ou enfin : lorsque dans une fiction, un film, un roman… le personnage principal est un artiste par exemple, un architecte, ou toute autre profession ayant trait au Beau : c’est mauvais signe. Cela trahit une certaine coquetterie, une posture, voire l’opiniâtreté de l’auteur à faire cas de son statut d’artiste, à être artiste sans y parvenir, sans créer autre chose que son état d’âme vis-à-vis de la création. On ne fait pas d’art sur l’art. On n’attend pas d’un ébéniste qu’il nous fasse la plus belle allégorie qui soit sur l’ébénisterie, mais bien qu’il créé un meuble. La malédiction du poète, les méandres de l’écriture ou du génie créatif… sont de mauvais sujets a priori. Les belles et grandes histoires ne sont quasiment jamais vécues à travers l’œil d’un artiste. Et une œuvre qui commence sur ces bases a toutes les chances d’être mal partie.

Parfois aussi, ce mauvais signe vient à la fin, comme une mauvaise confirmation. Vous regardez Avatar, tout vous a à peu près consterné, et puis, bien sûr, à la fin toutes ces médiocrités ne suffisent pas : il faut que le méchant saute de son hélico pour un vrai affrontement méchant/gentil au corps-à-corps, point de passage obligé de tout navet majestueux.

AVATAR

Requins en danger

Parmi les causes fréquemment défendues à la télévision, il y a celle des requins : 3 à 4 fois par an, un reportage animalier ou une émission marine s’attèle à réhabiliter le requin, qui souffre comme chacun sait d’une réputation de mangeur d’hommes

Le requin est victime de notre regard et de nos préjugés ; notre imaginaire s’acharne à tort contre cette aimable bestiole en la représentant comme un animal furieux, excité par le sang et la chair humaine…

Le propos de ces reportages, c’est de dire que tout cela n’est qu’idées reçues. Le requin n’attaque pas l’homme, il lui est foncièrement indifférent en fait. Peut-être a-t-on relevé des cas de nageurs ou de surfeurs attaqués… Mais pas d’amalgame ! C’est simplement que de dessous, le prédateur nous prend pour des phoques ! Sans cela il n’a aucune envie de nous manger : voyez comme il nous croque puis nous relâche aussitôt et se désintéresse… Et de conclure la voix grave, en demandant combien de temps faudra-t-il encore – nous sommes en 2011 ! – pour faire évoluer les consciences et bouger les choses…

Eh bien oui, peut-être, mais faire bouger quoi ?! Vu le nombre d’humains et de requins qui sont en contact régulier, qu’est-ce que ça peut bien faire à qui, ce que les uns pensent des autres ? A quel point le requin prend ombrage de nos a priori à son sujet ? Et une fois que j’aurai vaincu ces a priori, comment puis-je faire savoir que je n’ai rien contre les requins, que ce sont pour moi des animaux comme les autres, dotés d’un coeur comme tout le monde ? Comment améliorer les choses à ma modeste échelle ? En boycottant les films américains qui véhiculent une image qui stigmatise le requin ? En me baignant plus souvent au large de l’Afrique du Sud pour lui montrer ma totale confiance en lui ? En en prenant un chez moi dans ma baignoire ? 

Qu’on me dise. Je ne supporte plus d’imaginer ces requins vexés et discriminés au fond de l’océan, là où personne ne les entend pleurer.