L’empire et le clocher

invasion empire

La volonté d’empire, c’est l’aspiration de l’homme à dissoudre les particularités dans un ensemble homogène, à sacrifier le caractéristique pour sanctifier l’universel. C’est la volonté d’unifier et de rassembler sous un dénominateur commun. Ce sont toutes les forces d’assimilation : Rome, Qin, Napoléon, mais aussi la vision droit-de-l’hommiste du monde… En bref : tous les Dark Vador qui visent à l’expansion, à l’extension de la norme, à l’universalisation.

La volonté de clocher, c’est au contraire le souhait de ne pas faire partie de la fête, le droit à garder son cap et ses propres manières, la volonté de s’extraire, de faire valoir sa spécificité et de se maintenir distinct. La volonté de clocher c’est l’exception culturelle et tout ce qui appelle à la scission, à la dissidence, au clan, à l’autonomie, à la différence, à l’entre soi… de façon souvent obtuse, intransigeante, et pour tout dire un peu con sur les bords.

Empire et clocher sont deux passions aussi humaines, naturelles et légitimes l’une que l’autre. Elles peuvent être toutes deux nobles à leur façon et peuvent coexister dans le cœur d’un même homme.

hero empire

La plus grande partie de l’histoire humaine et des conflits, qu’ils soient internationaux, intranationaux ou même personnels, tient peut être toute entière dans cet affrontement entre volonté d’empire et volonté de clocher. C’est l’histoire de la mondialisation contre les Etats, l’histoire des guerres humanistes contre les pays non-alignés, c’est l’histoire de l’Europe contre les particularismes, l’histoire de la couronne britannique contre tous les BraveHeart et les MacGregor, c’est l’histoire de la nation contre les patois et les régionalismes, l’histoire de la République jacobine contre les appartenances sociales, religieuses ou culturelles…

Empire et clocher : les deux mondes sont forcément amenés à se rencontrer et à se confronter. Car l’empire est expansionniste dans l’absolu et ne se fixe pas de limite : Rome a toute la place qu’il faut mais cela la démangera toujours d’aller tout de même emmerder le petit village gaulois là-bas au bout. Et le clocher, quant à lui, est trop buté pour envisager le compromis.

L’histoire se construit, non pas par vagues successives de la domination de l’un sur l’autre, non pas par leur alternance, mais par leur friction.

La peur de l’étranger

Il existe une peur de l’étranger. De ce qui est étranger. Non pas l’étranger extérieur, à découvrir ou conquérir, mais l’étranger intérieur : celui à laisser entrer en soi.

On retrouve cette peur chez les gens un peu rigides, qui par exemple ne supportent pas l’impromptu. Ceux qui ont besoin de savoir d’avance comment les choses vont se passer et qui font tout pour que cela se passe ainsi par la suite. Vous ne les faites pas dévier de leur programme, sous aucun prétexte. Ils ne veulent pas risquer qu’il leur arrive quelque chose qu’ils n’ont pas commandé. Peur de l’étranger. 

Exemple type : le compère de voyage qui ne tient pas à flâner dans les ruelles sans avoir visualisé le plan, ne sort pas de l’hôtel sans le guide, ce guide qu’il lit, relit, et vous lit en permanence. Guide tout le temps, partout, même une fois arrivé au sommet : devant la vue plongeante qui s’offre à lui, il ne regarde pas le paysage mais lit ce que le guide en dit !

Cette peur de l’étranger se retrouve encore chez ceux qui, tout juste confrontés à quelque chose de nouveau (une rencontre, une idée, un fait d’actualité…), doivent aussitôt l’avoir compris, analysé, dépiauté, mis à plat sur la table de dissection et rendu inoffensif. Ils comprennent et excusent tout, mettent tout instantanément en cohérence. Tout entre dans un prisme. Le résolument nouveau ne tarde pas à trouver sa place parmi les étagères de leur cerveau. Peur de l’étranger.

Exemple type : l’ami, à la sortie du cinéma, qui vous demande ce que vous avez pensé du film alors que vous êtes encore dans l’escalier qui mène dehors, chamboulé, plein d’images, les oreilles bourdonnantes. Et il profite de ce que vous êtes groggy pour vous asséner sa compréhension à lui, son jugement bientôt définitif. Rêve expédié.

Voici, littéralement, la xéno-phobie : une certaine manie du contrôle, immédiatement tout rattraper, tout assimiler, tout intégrer à l’univers connu… Trouver sa place à tout, l’insérer dans son système. Ne laisser aucune chance à ce qui peut perturber la cohérence de ce système. Ne pas laisser entrer et vagabonder en soi l’étranger. Du moins pas sous sa forme étrangère. Seulement sous sa forme digérée.

La peur de l’étranger est une défense naturelle : parce que le corps étranger est ce qui peut nous tuer. Mais elle est également le signe, pour l’organisme, d’un manque de force ou de confiance en soi. Il y a de la peur de l’étranger :

  • dans la mentalité de certaines jeunes filles, fragiles, un peu rigides et effarouchées, 
  • dans l’ADN américain, lorsqu’il déracine les cultures indiennes, ou qu’il renomme à sa façon les lieux étrangers (« Omaha Beach ») pour y déverser ses chewing gums et sa liberté,
  • dans les Velouté Fruix, qui visent à obtenir un yaourt complètement mixé, sans aspérité et sans morceaux de fruits,
  • dans le village global à la sauce Attali, qui supprime la différence en la clonant partout, qui sous prétexte d’accueil et d’ouverture, standardise le monde, le mixe jusqu’à en éliminer les vrais morceaux de fruits… Dans toutes les villes les mêmes boutiques, dans tous les pays les mêmes chaînes et entreprises. Où part-on en voyage, dans le village global ? Où va-t-on à la rencontre de l’étranger ?

Ne pas avoir peur de l’étranger. Le regarder en face dans toute sa différence et son étrangeté. Le laisser nous faire peur. Le laisser faire son œuvre en nous. Laisser pénétrer le frisson de l’étranger. Accepter de ne pas comprendre. Ne pas nier, ne pas aplanir, ne pas englober. L’échange est riche tant qu’il y a de la différence. De l’étrangeté. C’est-à-dire de l’incompréhension. Incompréhension, jusqu’au malaise. C’est le jeu.

Mutations esthétiques

restricouv

Retrouvez l’intégralité des Scènes de la vie future ainsi que des inédits, sous forme de livre (108 pages) à commander maintenant en cliquant sur ce bouton : Support independent publishing: Buy this book on Lulu.

Dans le futur, le droit à la différence n’est plus un vain mot grâce aux possibilités combinées de la chirurgie et de la génétique.

Qui a dit qu’un corps c’était 1 jambe et 1 bras de chaque côté ? Les yeux au même niveau ? La même bête silhouette de bonhomme en fil de fer ? Open your mind !

Dans le futur, l’individualité et l’affirmation de soi passent par la personnalisation de son corps. Les chirurgiens esthétiques sont devenus de véritables artistes du corps humain et exercent, à l’aide de techniques maîtrisées, des mutations génétiques et chirurgicales selon la fantaisie du client.

Modifier son squelette, se faire ajouter une protubérance élégante, un lobe frontal bien galbé, avoir une main à quatre doigts qui soit aussi esthétiquement équilibrée que celle de Mickey, ou une peau translucide et du plumage naturel sur les avant-bras, c’est possible ! Et ce n’est pas l’apanage de quelques excités technoïdes : c’est une philosophie, un comportement général profondément inscrit dans la société occidentale. Désormais, c’est naturel : se construire, c’est construire sa personnalité, mais c’est aussi et surtout « construire l’identité de son corps », comme disent les psychologues du futur.

Si les mentalités ont su progresser, accepter la mutation, jouer avec leur corps et leur identité, c’est grâce à la convergence de différentes évolutions intellectuelles et sociales :

  • gender studies,
  • banalisation de la transsexualité,
  • possibilité pour les parents de choisir les caractéristiques génétiques de leur enfant avant naissance…

Ces tendances ont permis d’introduire l’idée qu’on peut ne pas naître dans le bon corps. Que son identité actuelle n’est pas forcément son identité essentielle et intime. Bientôt, au nom du droit de chacun à décider pour soi, on a pu contester le choix aléatoire de ses parents ou de la nature. En 2026, pour la 1ère fois, quelqu’un – le néerlandais Tim Troost – a gagné un procès contre ses parents qu’il accusait d’avoir « choisi d’avoir un garçon » alors que lui ressent qu’il est une femme.

A partir de là, on a pu contester toutes sortes « d’apparences imposées »  du type « au fond de moi je sens que je suis un ange, et un ange a des ailes dans le dos », ou « je n’ai jamais demandé à être humain : j’ai le caractère de la pieuvre, d’ailleurs je suis né l’année de la pieuvre, je me sens un être à tentacules et je vais m’en faire greffer »…

Ce sont là des exemples extrêmes comme on en trouve au Japon, où la mode est de se faire un « avatar » : une transformation du visage en un personnage manga ou fabuleux.


Les Inconnus n’avaient-ils pas raison quand ils chantaient
« Salut bande de tarés »…

En Europe, les opérations et mutations génétiques sont plus mineures, mais elles sont courantes et relèvent de la coquetterie ordinaire. Les seules restrictions vis-à-vis des mutations esthétiques concernent les enfants :

  • elles doivent se faire sur des gênes non transmissibles, afin qu’un enfant ne pâtisse pas des fantaisies de ses parents (non sans controverse, car certains mutants revendiquent le droit d’avoir des enfants qui leur ressemblent),
  • elles exigent que le corps ait terminé sa croissance. Les enfants sont donc contraints d’attendre. Pour patienter, ils se font tatouer.