
Au collège, au lycée, en école… Chaque fois qu’il s’en est trouvé un dans mon établissement, j’ai toujours attiré sa sympathie, assez inexplicablement.
Le trublion autodestructeur, c’est cet élève, souvent débarqué en cours d’année pour cause d’indiscipline, qui déboule avec son insolence monstre, son effronterie plus ou moins tempérée d’esprit, et qui en quelques semaines se fait une réputation. Il inquiète certains enseignants, d’autres lui conservent une affection comme s’ils voulaient le sauver, le repêcher du marais dans lequel il s’enfonce. Il fait se gausser toute la classe par ses saillies impertinentes, et en même temps il fait un peu peur, son comportement perturbe, son culot va anormalement loin. Les élèves rient mais pas complètement de bon coeur. Ils ne le suivent pas jusqu’au bout : ils se mettent bien avec lui tout en le laissant déconner à distance. Ils ont compris, au fond, que ce trublion court à sa perte, se destine à l’exclusion.
J’ai toujours attiré la sympathie du trublion autodestructeur, et c’est un grand mystère. Car je ne faisais rien de particulier pour cela, rien de plus que de me trouver là où les trublions autodestructeurs me trouvaient. C’est comme s’ils avaient été naturellement amenés à moi. En commun, nous n’avions à peu près rien. J’étais évidemment discret, plutôt invisible, distrait mais pas indiscipliné le moins du monde. Souvent c’était par l’un de mes dessins ou de mes caricatures qu’ils m’avaient remarqué et que l’on avait noué contact. On ne parlait pas forcément beaucoup, je n’étais pas de leur bande, simplement ils aimaient passer un moment avec moi, comme pour se délasser de leur vie turbulente. Tout à coup ils m’offraient le privilège de les voir sous un autre jour. Ils m’invitaient dans leur tanière, ou faire un tour en bagnole. A mon contact on aurait dit qu’ils trouvaient une sorte d’apaisement, une compréhension qu’ils n’avaient pas ailleurs. Une compréhension tacite bien entendu, sans gestes et sans paroles. On aurait dit qu’enfin, ils avaient la sensation d’être compris, devinés, lus au-delà de leur masque de boute-en-train.

Car le trublion autodestructeur, évidemment, est quelqu’un qui a quelque chose à cacher. En dépit de la popularité que lui valent ses faits d’armes, c’est une personne seule, antisociale, isolée et s’isolant par son attitude extrême et irrécupérable. Le trublion autodestructeur fait le mariole, et ce n’est pas pour récolter les rires, être le rigolo, mais parce qu’il transbahute un malaise gros comme ça, une inadéquation. A vrai dire, il ne sait pas ce qu’il fait ici.
C’est peut-être cette sorte de solitude que nous avions en commun et qui nous reliait : moi et ma solitude sage, symétrie de la leur, solitude tumultueuse. Equilibre des forces.