Finish up

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Définition : Jeune entreprise montée par un trentenaire Bac+5 lassé du salariat et désireux d’être « son propre patron », fondée sur une petite idée aisément concrétisable par le développement d’une application mobile – si aisément que l’on finit par découvrir que quelqu’un d’autre le fait déjà depuis deux ans, en mieux.

Le stade de maturité de la finish up est atteint durant les quatre mois qui séparent le moment où l’associé, ancien copain, quitte le navire, et celui où l’on se rend soi-même à l’évidence.

Wrong way up 2.0

Assis à un café, je bois un chocolat tout en entendant la conversation à la table derrière. Ce sont deux vieux amis dont l’un expose son nouveau projet de start-up (une appli qu’il développe et qui doit cartonner, pour laquelle il cherche des investisseurs) tandis que l’autre l’écoute patiemment. L’entrepreneur semble être dans le cas du cadre, licencié de son entreprise à quelques années de la retraite, et qui faute de retrouver du boulot, tente de lancer son activité. Il n’en est visiblement pas à sa première idée foireuse et son ami tente gentiment, de façon touchante et diplomate, de le lui faire comprendre.

« Tu sais… Tu me fais un peu penser à un copain qui se remet d’une rupture, maudissant la fille, et qui revient avec sa nouvelle, qui est exactement le même genre que la précédente… », lui place-t-il à un moment !

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Cela rappelle le concept de « Wrong Way Up » qui figurait dans le lexique de la Maison-Page. Le Wrong Way Up, c’est changer radicalement de vie, foncer dans une voie, et ce d’autant plus frénétiquement que l’on se goure et que les autres nous disent que c’est une mauvaise idée. « Puisque tout le monde me décourage, c’est bien que je dois avoir raison ! »

Internet, le numérique, le big data… sont particulièrement propices à la spéculation et à l’échafaudage de plans foireux. Auparavant, un entrepreneur avait tôt fait de se rendre compte si son projet était viable ou pas. L’investissement de départ nécessitait déjà qu’il y réfléchisse à deux fois. D’emblée il se frottait à la réalité du business autant qu’à celle de son propre talent. On se rendait compte plus rapidement si l’on était assis sur du vent. Avec l’économie numérique au contraire, on peut nourrir un projet plus longtemps sans jamais le confronter au réel. On peut se perdre facilement en concepts et en baratin. On le raffine dans sa tête, on développe dans son coin, et un simple contact, un déjeuner ou une promesse, sont déjà pour l’entrepreneur 2.0 quelque chose de très concret…

Il y a une « facilité » du numérique, une virtualité, qui fait qu’il y a plus d’entrepreneurs, plus de candidats, plus de « bonnes idées » (et donc aussi plus de loupés). On retrouve d’ailleurs le phénomène dans d’autres domaines, artistique par exemple. Parce que le numérique est si « facile », il y aura toujours plus de photographes amateurs que de sculpteurs sur pierre amateurs.

Taylorisation de l’emploi de bureau

Aux salariés du tertiaire, aux fonctions commerciales ou aux emplois intellectuels, à cet ensemble que l’on appelle plus justement « emplois de bureau », il est de plus en plus demandé d’appliquer des procédures, d’effectuer des reportings, de produire des comptes rendus justifiant leur activité et les résultats qu’ils génèrent.

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Sous prétexte de crise ou de « culture de la performance », on leur fait noter et consigner ce qu’ils ont fait, ce qu’ils vont faire, quand, comment, en quelle quantité… On leur fixe un objectif, et on leur assigne la série de tâches qui garantit l’atteinte de cet objectif. Au final, un employé pourra bientôt passer 1/3 de son temps à justifier qu’il a bien travaillé durant les deux autres tiers. En plus de son travail de première nature, il a un travail de seconde nature qui consiste à prendre connaissance d’une méthodologie fixée, à l’appliquer, et à démontrer qu’il l’a appliquée. 

Cet impératif de « reporting » pose la question de l’efficacité, du flicage, mais aussi et surtout de la liberté d’exercice de son métier, de l’autonomie des travailleurs. Pour vérifier et mesurer scrupuleusement l’efficacité du travail, pour connaître ce qui ne va pas ou ce qui pourrait aller mieux, il faut nécessairement en passer par le décorticage de celui-ci, la décomposition méthodique des tâches… Là où auparavant on demandait à un employé d’atteindre un point B depuis le point A, on lui apprend désormais à marcher : comment il doit mettre un pied devant l’autre, comment se décompose le mouvement de la marche, par quelles étapes successives il doit passer… A l’arrivée, on lui demande non seulement d’être parvenu au point B mais également de prouver par une multitude d’indicateurs qu’il s’est bien déhanché de la façon qu’on attendait.

Ces emplois de bureaux suivent en fin de compte le chemin des emplois industriels : on assiste à leur taylorisation. Les tâches s’industrialisent ; le métier des employés qualifiés revient de plus en plus à appliquer une feuille de route prédéfinie qui déroule chaque tâche en une série d’actions à opérer dans le bon ordre ; le savoir-faire que ces tâches contiennent réside de moins en moins dans le salarié qui les réalise et de plus en plus dans les méthodes et standards définis par l’entreprise. De ces personnes qualifiées, on n’attend plus la qualité mais la quantité : reproduire en masse le niveau de qualité conçu par l’entreprise et contrôlé par celle-ci en temps réel.

On peut imaginer que l’automatisation de ces emplois de bureau sera beaucoup plus facile et plus rapide qu’elle ne le fut pour l’industrie.

Extension du domaine de la marque

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Dans le futur, le commerce ne s’adresse plus à des consommateurs mais à des « gens ». Finie l’époque où les entreprises n’avaient d’égard que pour notre portefeuille et nos envies matérielles, elles ont compris que nous étions plus, que nous avions des sentiments et des aspirations plus complexes. Dans le futur, les entreprises tiennent compte de l’humain dans sa globalité, elles s’adressent à la personne.

Tout a commencé avec cette génération de jeunes qui, à partir des années 1980-90, s’est mise à éprouver des émotions pour les produits, à se définir par les marques achetées… D’abord appâtés par les bons, les jeux, les goodies, ces jeunes ont fini par adhérer aux marques sans plus qu’aucun appât soit nécessaire : l’excitation et la foi en la marque sont devenues spontanées.

  • Aux marchandises ils demandaient qu’elles leur confèrent des qualités, qu’elles véhiculent des valeurs et une philosophie
  • Aux marques, ils demandaient du contenu, une âme, un enrobage spirituel. Que tel achat fasse d’eux un rebelle. Tel achat un « homme moderne ». Tel achat une personne solidaire avec les petits producteurs de café…
  • Aux entreprises ils demandaient d’avoir une attitude. Responsable, ou décalée, ou innovante. Ou au contraire attachée à la tradition.

Et dans le futur, ces jeunes ont gagné du terrain : ils sont jeunes non plus au sens traditionnel 12-18 ans mais jeunesd’aujourd’hui : 12-42 ans. Ils aiment les marques et leurs productions, se prennent d’intérêt pour l’histoire et la culture contenue dans les produits, apprécient la qualité de telle ou telle publicité comme un produit en soi : est-elle drôle, réussie ? Ils s’intéressent aux médias en tant que tels : leurs stratégies, leurs techniques, les buzz, tops et flops qu’ils génèrent… A vrai dire, ils attendent des marques qu’elles les alimentent dans ces domaines : films, vidéos virales, créations, stories, opérations spéciales, concepts… Ils demandent qu’elles soient présentes, vivantes, qu’elles se prononcent, s’impliquent, dialoguent, prennent position sur l’actualité et les idées. Qu’elles participent à leur vie publique et privée. En somme, ils souhaitent une communion d’esprit avec leur marque et leurs produits.

 

Les entreprises ont pris acte de ce besoin d’estime et d’implication. Dans le futur, toute entreprise quel que soit son secteur, produit en plus de son activité commerciale ou industrielle : du dialogue, des produits culturels, des créations, des conseils, du rêve, des idées, des réalisations morales et spirituelles… Leur nouvelle vocation : être un vecteur d’accomplissement pour « les gens », leur proposer plus que de simples produits : un échange riche en contenu humain.

Ainsi, les entreprises ont développé une nouvelle forme d’existence, qui consiste à s’incarner dans une entité individuelle et personnifiée, proche des gens. Une personnalité avec ses goûts, ses choix, ses centres d’intérêt… Pour cela, elles ont créé le « mana » : l’esprit de la marque. Le mana est le supplément d’âme de l’entreprise auprès de son public. Il cristallise, sous forme d’une charte, les positions et les goûts qu’aurait l’entreprise si elle était une personne, dans tous les domaines : art, politique, philosophie, actualité, musique, sujets de société, cuisine, voyages… Le but étant de porter ces goûts et cette existence à la connaissance du public et de les partager avec eux. Ainsi, dans le futur, il ne faut pas s’étonner qu’une marque soit « pour » la lutte contre le sida, condamne des propos tenus par une célébrité, ou annonce sa préférence, cette année, pour Miss Charentes-Maritimes.

Pour cela, pour donner corps au mana, les entreprises font appel à un « brand DJ ». Le brand DJ est en quelque sorte l’avatar de l’entreprise ; sur le principe du grand couturier qui associe son nom à une collection de prêt-à-porter, il représente la marque, lui donne sa couleur et sa personnalité, existe à sa place et parle en son nom… C’est une personne, souvent déjà renommée, dotée d’un talent charismatique et créatif, qui pour un contrat faramineux sur 5 ou 10 ans, prête à l’entreprise son image et anime l’esprit de marque. Il arrive même qu’on lui demande de jouer la figure du dirigeant à la place de celui-ci !

Le brand DJ est l’idole des fans de la marque. Plus largement, il porte sa parole dans les conférences de presse, les événements publics et privés, les débats médiatiques… C’est lui qui assure le « community management » des réseaux sociaux et tient des discutions privées avec des centaines et des milliers d’internautes. Mais il fait aussi bien plus : il produit des courts métrages, des bandes sons, des compilations branchées, provoque des événements festifs et fédérateurs dans les grandes villes, tout ce qui peut aider le grand public à cerner l’esprit et l’identité de la marque.

Très souvent, pour gérer tout cela de front (les multiples aspects du mana de la marque, l’omniprésence et l’omnidiscours auprès des gens, la production foisonnante de lien social…), le brand DJ est assisté par des cerveaux numériques : des logiciels d’intelligence artificielle fidèles à sa pensée reproduisent ses idées et créent avec lui.

 

Ainsi, dans le futur, les soirées, les décorations et l’architecture urbaines, les tubes musicaux, les actions collectives, sont très souvent le fait d’un brand DJ ou de l’action humaine des marques. Dans le futur, les gens pensent et agissent par la marque. La marque correspond à une communauté de pensée, après la famille, la nation, la culture… Pour faire valoir une opinion, même spirituelle, on s’agrège à un groupe ou à une marque qui s’en fait l’étendard. On adhère aux mana des entreprises.

Employeur-employé : la fin du sketch

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Dans le futur, les gens n’ont plus de métier et ça tombe bien car les entreprises n’offrent plus de carrière non plus ! Les grandes et moyennes entreprises ont enfin compris qu’elles s’attachaient un boulet au pied à promettre à leurs employés des parcours, à prendre sur elles la progression de leurs effectifs, à construire et entretenir une « culture d’entreprise »…

Dans le passé, ces politiques de recrutement et de fidélisation avaient eu pour effet d’insinuer dans la tête des gens que quelque chose les reliait à l’entreprise : les employés avaient placé quelque chose d’affectif dans leur état de salarié, ils s’étaient mis en tête qu’ils « faisaient partie d’une boîte », que « leur » entreprise leur devait quelque chose, au-delà du salaire…

Le problème survenait évidemment lorsqu’il fallait se séparer de ces braves gens, et il se chiffre en milliards de pertes : grèves, séquestrations, délabrement de matériel… Indemnités de licenciement, plans de reclassement, formation et suivi psychologique…

Il aura fallu du temps et de l’argent pour se débarrasser de ces fiottes et leur faire sortir cela du crâne. Il en aura coûté de détricoter tout ce qu’il avait déjà coûté de tricoter : les conneries d’ingénierie sociale et de « marketing RH », soigner sa « marque employeur », « fédérer autour d’un projet et de valeurs communes »… Branlettes de sociologues et de cabinets de conseil ! Dans le futur, le salariat et l’appartenance à une entreprise sont désuets. Ils ne correspondent plus à la réalité du monde du travail.

  • Les travailleurs ont assimilé, à la longue, à force de se faire cracher leurs contrats et leurs salaires à la gueule, qu’il convenait de se désimpliquer de l’entreprise. Une génération transitoire a commencé par assumer de ne plus attendre grand-chose de son employeur et de vivre d’une activité salariée dépourvue de sens. Les gens pointent, abattent la quantité de travail demandée pour le tarif horaire négocié individuellement, et rentrent chez eux. Les termes « carrière », « promotion », « pot de départ », « collègue », n’ont plus cours.
  • Les entreprises ont réalisé qu’elles n’avaient pas non plus besoin de tant de monde. Des travailleurs oui, mais des employés ? Robots et intelligences artificielles remplissent de nombreux emplois à l’usine comme au bureau. Télé-travail ou wii-travail évitent de loger, nourrir et soigner ses travailleurs : ceux-ci peuvent rester à domicile. En fait d’employés, une entreprise n’a besoin de fidéliser, sur le moyen et long terme, qu’un faible nombre de personnes : noyau de managers qui coordonne et motive un cercle plus large de mini-managers. Mini-managers qui font effectuer la besogne à une armée de travailleurs indépendants. Travailleurs qui ne font pas partie de l’entreprise : « free-lances », travailleurs-putes, mercenaires « auto-entrepreneurs » comme on dit, facturés au contrat, au pro rata du travail abattu.

Ainsi, dans le futur, personne ne demande d’être heureux ou épanoui dans son travail. Personne ne demande non plus d’être performant, pro-actif, ou ambitieux. En réalité, rares sont les gens qui ont un métier à proprement parler. Le quidam moyen combine plusieurs activités plus ou moins professionnelles, plus ou moins rémunérées… Le travail qu’il fait pour l’entreprise est souvent un morceau de travail qu’on lui sous-traite et dont il ne comprend pas (ne cherche pas à comprendre) la finalité. Il vit aussi bien de ces contrats temporaires, que des objets qu’il vend sur e-bay, des revenus publicitaires de son site internet ou de sa participation à de petits jeux de télé-réalité humiliants…

L’entreprise dispose d’un annuaire géant de travailleurs indépendants, qu’elle mobilise sur la plus ou moins longue durée de ses projets. Elle n’entend plus parler de droits, de revendications, de conventions collectives, et réalise de grandes économies sur le coût du travail et les charges sociales. Le quidam, lui, trouve cette souplesse et cette flexibilité bien pratiques, très en phase avec son nouveau mode de vie.

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