« Rechercher l’autre »

« La jalousie, le désir et l’appétit de procréation ont une même origine, qui est la souffrance d’être. C’est [elle] qui nous fait rechercher l’autre, comme un palliatif ; nous devons dépasser ce stade afin d’atteindre l’état où le simple fait d’être constitue par lui-même une occasion permanente de joie. »

Michel Houellebecq dans La possibilité d’une île.

« Revenir au commencement »

« Les suicidaires nous apparaissent comme des êtres souffrant d’un sentiment de culpabilité né de leur individualisation. Ce sont des âmes dont le but existentiel n’est plus l’accomplissement et le développement mais la dissolution, le retour à la mère Nature, à Dieu, au tout. Ils sont des suicidaires car ils voient leur rédemption dans la mort, non dans la vie. Ils sont prêts à s’anéantir pour revenir au commencement ».

Herman Hesse dans Le loup des steppes.

« Gardons-nous de croire »

« Gardons-nous de penser que le monde est un être vivant. Nous savons à peine ce qu’est la matière organique : ce qu’il y a d’indiciblement tardif, de rare, de hasardeux sur la croûte de la terre, nous irions jusqu’à en faire quelque chose d’essentiel, de général et d’éternel, comme ceux qui appellent l’univers un organisme ?
Gardons-nous de croire que l’univers est une machine : il n’a pas été construit en vue d’un but, et c’est lui faire un bien trop grand honneur. Gardons-nous de voir partout quelque chose d’aussi défini que le mouvement cyclique des planètes voisines : l’ordre astral où nous vivons est une exception. La condition générale du monde est de toute éternité le chaos.
Gardons-nous de reprocher à l’univers de la dureté et de la déraison, ou bien le contraire. Il n’est ni parfait ni beau ni noble et ne veut rien devenir de tout cela ! Il ne possède pas non plus d’instinct de conservation et de façon générale, pas d’instinct du tout ; il ignore aussi toutes les lois.
Gardons-nous de dire qu’il y a des lois dans la nature. Il n’y a que des nécessités. Personne ne commande, personne n’obéit, personne ne désobéit.
Gardons-nous de dire que la mort est opposée à la vie. La vie n’est qu’une variété de la mort, et une variété très rare.

Quand donc aurons-nous fini de nous ménager ? Quand toutes ces ombres de Dieu ne nous troubleront-elles plus ? Quand aurons-nous entièrement dépouillé la nature de ses attributs divins ? Quand retrouverons-nous la nature pure, innocente ? Quand pourrons-nous, nous autres hommes, redevenir nature ? »

Friedrich Nietzsche dans Le Gai Savoir.

Empreinte écologique

D’un côté, on nous invite à chaque coin de rue à nous épanouir, nous affirmer, exprimer notre unicité d’individu… Par la création et la consommation, se démarquer, laisser un souvenir, marquer les esprits, être célèbre un quart d’heure ou deux, donner son avis, participer, s’habiller pas comme les autres, assumer sa différence et son originalité…

De l’autre côté, nous sommes priés de gommer notre empreinte, de ne pas laisser trace de notre passage. Laisser la planète dans l’état où nous l’avons trouvée. Se faire petit. Pour chacun de nos gestes, chacune de nos actions, chacune de nos respirations, on nous présente la facture de ce que nous coûtons en fait de défiguration de l’environnement et de dégâts sur la couche d’ozone.

Marquez votre empreinte, mais à l’encre effaçable. Des traces oui, mais sur le sable. A la limite faites-vous tatouer une fée au bas des reins : affirmez-vous par le lifestyle, les choix de vie, les produits… Démarquez-vous au sein de votre cercle d’amis, tant que vous voulez ! Mais de grâce, pas de construction en dur. Pas de traînée indélébile. Pas de geste trop grandiose apte à rester dans les mémoires. Que du recyclable, et de l’incinéré. Vous coûtez suffisamment à la Terre en eau et en air pour ne pas les consommer en vain !

Cet état d’esprit, fort heureusement, n’est pas ce qui a toujours régné. Il y a eu des hommes, comme Gustave Eiffel, pour ne pas se soucier de leur empreinte écologique. Ou alors pour la faire la plus grasse possible : une grosse trace de doigts au milieu de la gueule de Paris.

« Tous ne philosophent pas constamment et sans désemparer »

« Malgré l’éphémère brièveté de la vie humaine jetée dans l’infini, l’incertitude de notre existence, les innombrables énigmes à propos de l’insuffisance absolue de la vie, tous ne philosophent pas constamment et sans désemparer.

Il n’y en a pas même beaucoup, seulement quelques uns. Le reste vit dans ce rêve pas très différent des animaux, dont ils ne se distinguent que par la prévoyance étendue à quelques années.

C’est pourtant en vérité une bien triste situation que la nôtre ! Un court instant d’existence rempli de peines, de misères, d’angoisse et de douleur, sans savoir le moins d’où nous venons, où nous allons, pourquoi nous vivons.

S’y ajoute encore ceci : nous nous observons et sommes en relation les uns avec les autres – comme des masques avec des masques nous ne savons pas qui nous sommes – mais comme des masques qui ne se connaissent pas du tout. »

Arthur Schopenhauer dans Esthétique et métaphysique.

Ma profession de foi

Je crois en Dieu le Père Tout-Puissant. Mais sans la barbe. Je crois plutôt en une direction, une « pente » que prennent les choses et le monde, une force qui les propulse, avec laquelle on peut être en accord ou en opposition mais contre laquelle on ne peut pas grand chose.

Je crois en Dieu créateur du Ciel et de la Terre plutôt qu’à un hasard bienfaiteur. Question de probabilités. Parmi les cailloux et la mort, se seraient mis à vivre par hasard un petit têtard ou une petite fleur ? Parmi les ruminants et les singes, se serait mis à vivre un être qui, par le plus grand des hasards, ne se satisfait plus de brouter et bouser mais qui a soudain besoin d’aimer, de comprendre, de changer, de célébrer, de progresser ?

Du point de vue rationnel, tout comme l’existence des extraterrestres est plus plausible que l’hypothèse que nous soyons seuls dans l’univers, l’idée que la vie ait été créée par un « dieu » est moins farfelue que celle d’une suite extraordinaire de hasards.
Le vrai miracle ne serait pas qu’un Dieu ait claqué des doigts pour impulser la vie, le vrai miracle, littéralement, serait que tous ces « hasards » se soient produits et succédés comme ils l’ont fait.

Je crois un peu moins en Jésus-Christ son Fils unique né de la Vierge Marie. Je crois éventuellement qu’un type a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli pour avoir répandu une curieuse façon de vivre et une certaine liberté d’esprit. De là à descendre aux enfers, à ressusciter le 3ème jour et à monter aux cieux…

Je crois en l’Esprit Saint (et pourquoi pas à la communion des saints) si on entend par là l’existence de valeurs immatérielles suprêmes, qui sont au-dessus de tout. Je crois même que tout le monde y croit, que tout le monde ne sait pas faire autrement qu’y croire.

Tout le monde est bien obligé de considérer une valeur comme absolue, hors du temps, sacrée. L’athée lui-même ne renie pas le sacré, il lui substitue son objet (le Dieu-à-Barbe) par un autre (« la Nature », « l’Homme », « la Vie », le « Droit à disposer de soi »…), il instaure une autre loi divine à laquelle tout doit se plier. Pour être intégralement athée, il nous faudrait croire qu’il n’y a pas de « sainteté », pas de valeur sacrée, pas de valeur plus ou moins spirituelle à attacher aux choses. Croire que la seule valeur qui peut être conférée aux choses est leur existence ou leur non-existence. Croire que tout ce qui arrive, tout ce qui existe, se vaut, est légitime parce qu’il existe. Pour être athée, il nous faut accepter l’absurdité du monde, assumer son chaos, cautionner qu’il n’y ait pas de vérité, que personne n’ait plus raison que l’autre pas même l’enfant contre le meurtrier, que rien ne soit plus sacré que son contraire, qu’il n’y ait pas de justice immanente. Peut-être et sans doute qu’il n’y a pas de justice immanente, mais peu importe : ce qui compte c’est que l’homme soit obligé d’y croire pour pouvoir vivre. L’athée intégral n’existe pas. Dès lors qu’on croit qu’une valeur est plus forte qu’une autre dans l’absolu, qu’une chose est sacrée et ne peut être touchée, dès lors qu’on croit « qu’un lion mort vaut mieux qu’un chien vivant », selon l’expression de Gustave Thibon, on croit en l’Esprit Saint.

Je ne crois pas à la Sainte Eglise Catholique, c’est-à-dire à une institution humaine qui serait garante de l’intégrité d’un message divin. Je ne crois pas qu’un message ait été délivré aux hommes, ni que ce projet ait été à l’ordre du jour.

Je ne crois pas à la rémission des péchés, à la Résurrection de la chair, à la Vie Éternelle. Il est d’ailleurs curieux d’entendre que la promesse d’un au-delà soit pour l’homme une récompense, un réconfort contre la peur de mourir. L’idée d’une vie éternelle dans l’éther des cieux est beaucoup plus terrifiante que l’idée qu’un jour, tout se finisse pour de bon.