Aparté

Profitant d’une journée morne et sans intérêt, Un Œil a créé son espace sur Facebook ! Je ne sais pas encore trop ce qu’il s’y passera ni comment j’animerai la page, mais j’invite tous les lecteurs réguliers qui le souhaitent à suivre le blog par ce biais et à tenter l’expérience.

J’ai avorté, je vais bien merci

Parmi mes amis de Facebook, je compte deux sœurs. L’une, qui n’a pas encore 30 ans, publie des photos de ses trois marmots. L’autre, son aînée, alterne les « j’aime » sur les photos de ses neveux et nièces et les messages répétés en faveur de l’avortement.

C’est ainsi que j’ai découvert via son dernier lien, le site d’un collectif qui milite pour un avortement sans peine, sans remords et sans question : « J’ai avorté et je vais bien, merci ». (Je vous invite à lire leur déclaration de principe et à admirer leurs beaux auto-collants dans la veine « l’avortement, rions-en »).

Bénis soient ceux qui jouissent d’une conscience si arrangeante. Pour ma part, l’avortement est un sujet sur lequel je n’ai jamais été capable d’arrêter mon opinion. Tantôt je pourrais chevaucher les concepts et les grands principes, et l’instant d’après être désarçonné par le récit sordide d’un cas particulier. Passez l’idéal à la machine… Le fait est que sur ce sujet si délicat, je ne suis pas suffisamment certain pour clamer quoi que ce soit, alors je préfère m’abstenir.

Je ne suis pas « anti », donc ; en revanche je trouve toujours déplacé l’enthousiasme des « pro ». Cette façon de chanter l’avortement, de dresser l’étendard, de le présenter comme un « acquis » formidable et un « droit sacré »… J’ai toujours été dérangé par cette façon de le célébrer, de le voir comme un progrès et un progrès seulement, une liberté et une liberté seulement… et pas du tout comme une chose triste et honteuse aussi, une défaite et une démission aussi.

Escamoter l’aspect tragique, grave et désastreux, c’est justement pour moi ce qui devrait annuler tout « droit à ». Le « droit », dans tout domaine, ne s’acquiert véritablement que lorsqu’on est suffisamment fort et responsable pour endosser la charge, toute la charge, boire la culpabilité jusqu’à la lie, lorsqu’on peut embrasser le tout et dire « je le prends pour moi ».

Je peux vivre dans une société avorteuse, mais pas dans une société inconséquente. Octroyons-nous la liberté de l’avortement, mais de grâce, sans gants, sans bandeau devant les yeux et sans sapin-qui-sent-bon. Exit le décorum « militant de la liberté » et le narcissisme qui s’y rattache. Regardons la chose en face et que notre conscience n’en reste pas immaculée. Ne nous amnistions pas de nous-mêmes, ne blanchissons pas notre responsabilité : nous tuons des bébés.

Fluidité de l’information

Je rebondis sur un article de Jean Trito à propos de l’information [Lire ici] :

Il est en effet un paradoxe notable, que dans notre société de médias où l’on se vante que l’information n’ait jamais circulé si rapidement, si librement et en telle quantité, cette information soit de moins en moins consistante.

Aujourd’hui, on considère par exemple qu’un propos rapporté est une information, au même titre qu’un fait. « Tel politique a dit que… » est une information. « Tel chanteur a réagi aux propos de tel politique qui avait dit que… » est une autre information ! C’est ainsi que le flux d’information « augmente », et qu’on peut par exemple compter comme 3 informations :

  • l’information selon laquelle l’ambassade américaine à Paris considère les médias français inoffensifs et à la botte du pouvoir,
  • l’information selon laquelle WikiLeaks révèle que l’ambassade américaine considère les médias français inoffensifs et à la botte du pouvoir,
  • l’information selon laquelle le Monde a diffusé les informations révélées par Wikileaks parmi lesquelles on apprend que l’ambassade américaine considère les médias français inoffensifs et à la botte du pouvoir… Etc.

La fluidité de l’information, ce n’est pas seulement que l’information circule plus vite, plus facilement ou qu’elle s’insinue partout. C’est aussi que l’information est plus fluide, c’est-à-dire moins épaisse, plus diluée… Le fluide médiatique comprend de moins en moins de véritables morceaux d’information, créés à partir d’un reportage ou de l’exploration d’un sujet, et de plus en plus de rapports d’information, de commentaires, d’analyse, d’interprétation… RE-TWEET !

L’accès à la culture

Avant l’imprimerie ou toute autre facilité de diffusion, culture et connaissance étaient rares et d’autant plus précieuses qu’on ne les acquérait pas comme ça. On les héritait de sa famille, de sa tradition, de son patrimoine, d’une éducation aboutie et coûteuse, du voyage d’une vie… D’où un monde où l’on se distinguait de naissance. Aujourd’hui où le premier venu peut accéder à l’œuvre du génie pour peu qu’il s’en donne la peine, distinction et aristocratie spirituelles s’acquièrent par la volonté, avec sans doute plus de justice.

Mais tout n’est pas réglé pour autant ! Parce que le problème, ce n’est pas tant l’accès à la culture, que l’on présente systématiquement comme l’obstacle à l’épanouissement des masses. Le problème ce ne sont pas ces foules qui restent à l’entrée des musées sans pouvoir accéder. Le problème ce sont aussi ces gens qui accèdent à énormément de choses et qui en reviennent les mains vides malgré tout.

« Accéder » est une chose. Savoir en retirer un enseignement profitable en est une autre. Nos parents restaient des années vissés sur leur banc, en classe de grec, à rêver d’oliviers et de pierres antiques en potassant leur grammaire. Et on imagine l’illumination, lorsque le plus chanceux d’entre eux, bien des années plus tard,  finissait par réaliser le voyage au pays d’Homère… Tandis que désormais, le moindre étudiant, à 22 ans, a déjà « fait » la Crète. La Crète ainsi qu’un ou deux autres pays, où il est allé en août faire la nouba : une petite semaine louée à quatre potes dans une chambre quelconque, à ne rien voir d’autre que le bar, la plage et le bikini de Murielle…

Ils sont nombreux à avoir un accès plein et libre à la culture. Telle cette jeune femme, l’été dernier, qui lançait à ses amis sur facebook un fantastique :

Rome est certainement la ville au monde qui compte le plus de « bons plans » : culturels, touristiques, religieux… Un séjour n’y suffirait pas. Mais ce qu’elle demandait là, ce n’était évidemment pas le bon plan basilique Saint Pierre, fontaine de Trévise ou Colisée ; c’était plutôt un bar lounge design, une soirée électro sur un toit d’immeuble, ou une expo japonaise de tabourets fluo. Et la maline reviendra en estimant qu’elle a « fait » Rome.

Ainsi, ils sont nombreux, avec leur pass’ musées à 1 franc, leur IDTGV, leurs vols Ryan’air à 30 €, à avoir un accès plein, libre et total à la culture… mais un accès complètement vain ! Ils n’en connaissent pas mieux le monde. C’est sans doute que leur curiosité ne va pas au-delà d’une recherche du semblable ailleurs, du chez soi différent… De la découverte, oui, mais normée et standard. C’est sans doute aussi que la connaissance ne réside pas dans l’objet final (le livre, le CD, la destination), et encore moins dans la facilité, mais au contraire dans la marche tortueuse qu’on a faite pour y parvenir. L’attente, le questionnement, l’illusion, la recherche, font intimement partie du voyage. La curiosité, la sagacité, l’implication, sont ses alliés indispensables. « No hay caminos. Hay que caminar » !

Prophétie auto-réalisatrice

L’événement de la semaine,  c’est que l’une des scènes de la vie future que j’avais prophétisée ici même s’est réalisée. Le futur est déjà là.

Tout a commencé comme ça, sur le blog C’estLaGêne :

Et puis ils sont arrivés. Au début, ça fait peur une bande de couillons hurlants qui s’introduit chez vous avec la ferme intention de tout saloper. Vous les voyez arriver avec leurs ricanements, se renvoyer la balle les uns les autres, vous voyez le monceau d’imbécilités grossir dans les commentaires… Vous voyez ceux qui restent un peu en retrait, qui ne lancent pas de pierre mais tiennent les manteaux…

[…]

Et ça continue. En quelques heures, vous voyez vos statistiques de blog exploser. Les gens proviennent de dizaines de comptes Twitter et Facebook… Vous voyez la machine d’imbécilité se mettre en marche et vous croyez que ça ne va plus s’arrêter. Vous réalisez qu’il n’y a pas grand chose à faire : c’est un énorme tourbillon de bêtise qu’il faut laisser passer. 

 

Retranché, il ne vous reste pas grand chose d’autre que faire comme Philippe Noiret dans Le Vieux Fusil, contraint d’observer la troupe de soldats allemands, avec sa barbarie civile et ordinaire, boire son bon vin, manger ses pâtés, feuilleter sa bibilothèque…

Puis vous prenez du recul. Vous ne lisez plus chaque commentaire individuellement mais vous les regardez dans leur ensemble. Et là, alléluia : il se dessine quelque chose. Ce n’est ni plus ni moins la prophétie dont il est question qui est en train de s’accomplir. Internet du futur. La scène que vous aviez prédit prend forme sous vos yeux. (Re)lisez l’article. Lisez les commentaires puis revenez à l’article : tout y est. Le refuge de l’idiotie et de la vulgarité de masse. La profusion des commentaires. A aucun moment on ne traite du fond ni d’un point précis, c’est simplement une agitation rigolarde. La pensée est enterrée sous les onomatopées, moquée et paradoxalement relayée sur les réseaux sociaux… Et tout ce petit monde repart aussi vite qu’il est venu, on passe à la suite.

 

 

Ceci pour dire qu’ici, on ne rigole pas. Vous pouvez me faire confiance : tout ce qui est écrit va véritablement arriver.

Faites votre petit portrait manga, ricanez, et allez mourir en enfer.

« Nous détruisons chaque jour des mots »

Georges Orwell dans 1984 :

« Vous croyez, n’est-ce pas, que notre travail principal est d’inventer des mots nouveaux ? Pas du tout ! Nous détruisons chaque jour des mots, des centaines de mots. Nous taillons le langage jusqu’à l’os. (…)

Il y a des centaines de noms dont on peut se débarasser. Pas seulement les synonymes, il y a aussi les antonymes. Quelle raison d’exister y a-t-il pour un mot qui n’est que le contraire d’un autre ? Les mots portent en eux-mêmes leur contraire. Prenez un mot comme « bon » par exemple, quelle nécessité y a-t-il à avoir un mot comme « mauvais » ? « Inbon » fera tout aussi bien, même mieux parce qu’il est l’opposé exact de bon. Et si l’on désire un mot plus fort que « bon », quel sens y a-t-il à avoir toute une chaîne de mots vagues et inutiles comme « excellent », « splendide » et tout le reste ? « Plusbon » englobe le sens de tous ces mots, et si on veut un mot encore plus fort, il y a « doubleplusbon ».

Naturellement nous employons déjà ces formes, mais dans la version définitive du novlangue, il n’y aura plus rien d’autre. (…) Chaque année, de moins en moins de mots, et le champ de la conscience de plus en plus restreint. (…) Vous est-il jamais arrivé de penser, Winston, qu’en l’année 2050 au plus tard, il n’y aura pas un seul être humain vivant capable de comprendre une conversation comme celle que nous tenons maintenant ? »

Réalité partielle (ou virtuelle, ou augmentée)

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Dans le futur, les gens évoluent dans un environnement qui mixe réalité et éléments virtuels : la technologie leur permet d’appliquer une couche d’information virtuelle à leur champ de vision.

Finis les casques à visière qui superposaient messages et images virtuelles à la réalité. La plupart des gens se font désormais implanter des lentilles à cristaux liquides qui leur restituent une vision véritablement intégrée.

Tout comme les oreillettes à musique permettent aux passagers d’une même rame de métro de vivre, bien qu’assis côte à côte, chacun dans son univers sonore, la réalité partielle permet aux gens d’une même rue, d’une même ville, de coexister côte à côte tout en vivant dans des univers visuels et sensoriels séparés.

Ainsi, ce qu’aperçoit un quidam lorsqu’il marche dans la rue est une composition intégrée de rue réelle et de calques virtuels personnels :

  • devantures et enseignes de magasins virtuellement améliorées (animations, hôtesses manga),
  • affiches publicitaires personnalisées (« dans cette boutique, vos caleçons boxer habituels à – 15 % ! »),
  • fenêtres web perso (GPS GoogleMaps, statuts Facebook de ses amis, RSS Yahoo!Actu…).

Y compris dans ce qu’il perçoit de réel, le quidam peut virtualiser certains éléments, comme par exemple :

  • programmer un ciel orageux ou de la neige,
  • baliser son trajet avec des flèches directionnelles clignotantes,
  • faire s’illuminer le McDo le plus proche,
  • paramétrer des alertes (« dans cet immeuble habitent 2 de vos amis »),
  • afficher la fiche détaillée de la jolie blonde qu’on vient de croiser…

Les passants, d’ailleurs, apparaissent pour la plupart non pas sous leur forme réelle mais sous l’image de l’avatar plus ou moins ridicule qu’ils ont paramétré. On ne s’étonne plus de croiser un homme à tête de Tex Avery ou une Lara Croft au coin de la rue.

 

La démocratisation de la réalité partielle et l’implantation des lentilles-écran ont été fortement encouragées par l’Etat, les organisations internationales occidentales, et tous les partis du progrès. Malgré ces efforts, il reste une population de « non-branchés », pour qui la réalité n’est pas rose ! Car, ayant conservé une vision normale, ce qu’ils aperçoivent dans la rue, ce sont de drôles de gens – les connectés – qui parlent à voix haute parce qu’ils sont en train de communiquer, ou qui errent étrangement sur les trottoirs parce qu’ils sont en train de lire un article de Libé.fr en marchant, ou encore qui ont un air un peu grotesque parce qu’ils sont encore équipés d’anciennes visières numériques… Sans oublier les wii-lib qui roulent ou marchent sur les trottoirs et dans les magasins. Quant à la ville, l’architecture est devenue minimaliste, composée de grands pans rectangulaires de béton, devenus sales mais qui n’ont pas besoin d’être nettoyés puisqu’ils servent simplement à projeter une réalité virtuelle de meilleure qualité pour les connectés.

Dans le futur, la réalité partielle (ou réalité virtuelle, ou réalité augmentée) est bien pratique. On ne peut plus s’en passer.