Couvre-feu

courbevoie

Lors de la précédente guerre, on observait le couvre-feu, les villes étaient équipées de sirènes au signal desquelles les gens couraient se réfugier dans les caves, les phares des voitures étaient obstrués afin de produire le moins possible de lumière repérable depuis le ciel, l’alimentation était rationnée par les cartes et les tickets… En somme, la vie quotidienne avait pris acte du caractère extraordinaire des événements et s’était ostensiblement modifiée en conséquence. Bref, c’était la guerre.

Si cette guerre se refaisait aujourd’hui, aurait-elle raison de l’agenda des festivités comme elle l’eut à l’époque ? Ou bien est-ce que les concerts en plein air, les marchés de Noël et les verres en terrasse devraient se tenir malgré tout, coûte que coûte, pour montrer aux Allemands et aux bombardiers alliés que nous n’avons pas peur ?

Décembre est là, les places de mairie se recouvrent de ces charmants petits villages et cabanons où l’on boit du vin chaud à la cannelle. L’ambiance est à peine entachée par les rondes de soldats armés ni par les ceintures de béton massif derrière lesquelles on s’abrite des voitures-bélier ou des camions fous qui pourraient gâcher la fête. Jouez hautbois résonnez trompette : « la France est en guerre contre le terrorisme », mais cela ne doit pas faire passer le goût de la Fête ni de la consommation.

On a demandé à ce que nous nous habituions à vivre avec le terrorisme, et c’est exactement ce que nous faisons. Mais au lieu d’adapter nos comportements et de nous réfugier dans des caves, nous avons plutôt appris à considérer ces faits de guerre comme faisant partie de la normalité. Déjà il n’est plus inconcevable à quiconque que quelqu’un puisse être pris de l’idée de rouler sur le corps d’inconnus avec un camion. C’est une éventualité admise. Du déséquilibré isolé dont il était question il y a 2 ans, on est naturellement passé à l’installation de rambardes en béton dans toutes les communes de France. Faits de guerre faisant partie de la normalité. Mois après mois, on intègre que la zone devant l’entrée de l’école de ses enfants soit interdite au stationnement, équipée de barrières pour empêcher un véhicule piégé d’exploser les mômes. On se félicite de cette mesure. On se gare un peu plus loin. Et jusqu’à cette remarque que l’on se fait machinalement, un peu plus tard sur la route, en regardant les piétons traverser le passage clouté devant soi : « Ils devraient être plus vigilants, et si à ma place c’était un conducteur malintentionné qui redémarrait brusquement et leur roulait dessus ? »

De deux choses l’une. Soit nous sommes effectivement en guerre, et alors nous nous montrons étrangement inconséquents ; chacun devrait se mettre sur le qui-vive, se dire « cette année, tant pis pour les marchés de Noël« , l’organisation de la vie devrait s’en trouver radicalement changée le temps de gagner le combat – on devrait par la même occasion constater ce combat, voir menées des batailles, voir se faire des prisonniers… Soit nous ne sommes pas vraiment en guerre et le discours politique a été exagéré, les coups de mentons de nos ministres de l’Intérieur surjoués ; il faudrait aussi en déduire que ces mesures de protection entreprises le sont en pure perte : un gaspillage de moyens consacré uniquement pour « rassurer » une population qu’on a préalablement effrayée et dont on sait qu’elle n’est pas à ce point en danger.