L’irrévérence inoffensive

Arrêtons de croire qu’il y aurait d’un côté, un parterre de gens que la politique berne ou mystifie, et de l’autre des humoristes « irrévérencieux » pour leur ouvrir les yeux. En vérité, l’humoriste irrévérencieux n’apporte aucune critique, ne révèle aucune supercherie que le public ne porte déjà en lui. Oui : le con moyen pense déjà que Sarkozy est petit, con et bling-bling. Il aime simplement entendre une sommité médiatique penser comme lui.

Ce n’est pas nouveau : l’admiration que l’on porte à quelqu’un contient toujours un ressort narcissique. Longtemps, j’ai aimé lire de la philosophie en pensant que ce qui m’attirait était la remise en cause, la curiosité, l’exploration de nouvelles façons de voir… Mais je dois me rendre à l’évidence : les philosophes que j’ai chéris le plus ne sont pas ceux qui m’ont fait voir différemment. Ce sont ceux qui ont « pensé comme moi » mieux que moi, qui ont conforté des vues naissantes ou inconscientes. A l’opposé, j’ai naturellement laissé sur l’étagère ceux qui ne parlaient pas mon langage, qui ont paru trop indigestes, et en fin de compte inassimilables, à ma pensée.

Voici pour la prétendue nocivité de l’humoriste. C’est de façon tout à fait illégitime qu’il tient ce prestige de donneur à réfléchir, de miroir des travers de notre temps, de metteur en décalage, de grand démasqueur de comédies humaines… Il ne fait rien de tout cela en vérité. Y compris le plus irrévérencieux. Il n’apporte rien qui ne soit déjà largement partagé. C’est la raison de son succès : donner un exutoire aux convictions établies. Prononcer ce que le large public croit tout bas.