La caméra cachée

princesse connasse En ce moment sort Connasse, un film « entièrement réalisé en caméra cachée ». Si je comprends bien, alors que les autres caméras cachées se sentaient encore le besoin d’inventer une mécanique, une ingéniosité, une situation dans laquelle faire entrer la victime, il s’agit ici de pousser n’importe quelle porte et de se comporter en connasse avec le premier venu. C’est « drôle », parce qu’il y a une caméra qui filme.

C’est, en fin de compte, la caméra cachée poussée dans sa forme chimiquement pure : une caméra cachée, aussi drôle ou réussie soit-elle, fonctionne sur un seul principe, celui de l’humiliation du quidam face à la masse hilare. Un garnement qui, dissimulé dans un buisson, réalisait la farce-attrape du « portefeuille », tirait son plaisir autant de la supercherie elle-même que de la course-poursuite qui allait s’ensuivre. Dans l’optique d’une caméra cachée au contraire, ce type de gag rend la course-poursuite hors de propos. La caméra toute-puissante autorise tout, la révélation de sa présence est supposée annuler tout conflit ou toute réclamation.

On fait un croque-en-jambe à un inconnu, il s’étale, et on le relève en lui signalant immédiatement que tout cela était filmé. C’était filmé, donc tout est OK ! il peut ramasser son chapeau et reprendre ses activités. Il y a, induit, le principe que l’on est soumis à l’empire télévisuel de la dérision et que son petit orgueil personnel n’a qu’à s’écraser.

On m’a raconté une mésaventure dont je ne trouve malheureusement pas les images : un boute-en-train télévisuel quelconque s’invite à une table où le chanteur Gilbert Bécaud est assis avec une amie, et lui demande frontalement « s’il va la baiser » ou quelque chose de la sorte (=> gag !). Sans attendre, Bécaud lui assène une baffe magistrale, estimant sans doute que la possession d’un micro ne dispense personne de la correction la plus élémentaire !

beliveauForcément, ça casse un peu l’ambiance…

Logiquement, c’est toujours ainsi que devrait se terminer une caméra cachée. Logiquement, la réaction d’un bonhomme comme Bécaud pourrait être celle d’un dignitaire papou, du Dalaï-Lama, ou de toute personne n’ayant pas baigné de façon prolongée dans la culture du ricanement télévisuel. Toute personne n’étant pas accoutumée à la toute-puissance du micro ou de la caméra. D’ailleurs, est-ce peut-être dans cette seule extrémité que la caméra cachée redevient louable : lorsque le trublion ne s’abrite pas derrière l’impunité télévisuelle pour humilier une victime qui ne demandait rien, mais qu’il se met lui-même en danger, en position de victime potentielle afin que le rire provienne du risque de retour de bâton. Spectacle de Guignol.

Pour en revenir au totalitarisme de la caméra, on peut noter pour finir qu’il ne se limite pas à la version potache et humoristique de l’exercice : la caméra cachée journalistique profite, elle aussi, d’une totale immunité. Personne ne se sent plus dans son droit qu’un journaliste d’investigation qui extorque des informations en caméra cachée. « Nous avons filmé le reste de l’entretien en caméra cachée »… A partir de là, tout lui est permis ! Au lieu de paraître déloyal, cela paraît audacieux. Un journaliste pourrait saigner une grand-mère pour arriver à ses fins, pourvu que cela se fasse sous l’œil d’une caméra cachée.

L’irrévérence inoffensive

Arrêtons de croire qu’il y aurait d’un côté, un parterre de gens que la politique berne ou mystifie, et de l’autre des humoristes « irrévérencieux » pour leur ouvrir les yeux. En vérité, l’humoriste irrévérencieux n’apporte aucune critique, ne révèle aucune supercherie que le public ne porte déjà en lui. Oui : le con moyen pense déjà que Sarkozy est petit, con et bling-bling. Il aime simplement entendre une sommité médiatique penser comme lui.

Ce n’est pas nouveau : l’admiration que l’on porte à quelqu’un contient toujours un ressort narcissique. Longtemps, j’ai aimé lire de la philosophie en pensant que ce qui m’attirait était la remise en cause, la curiosité, l’exploration de nouvelles façons de voir… Mais je dois me rendre à l’évidence : les philosophes que j’ai chéris le plus ne sont pas ceux qui m’ont fait voir différemment. Ce sont ceux qui ont « pensé comme moi » mieux que moi, qui ont conforté des vues naissantes ou inconscientes. A l’opposé, j’ai naturellement laissé sur l’étagère ceux qui ne parlaient pas mon langage, qui ont paru trop indigestes, et en fin de compte inassimilables, à ma pensée.

Voici pour la prétendue nocivité de l’humoriste. C’est de façon tout à fait illégitime qu’il tient ce prestige de donneur à réfléchir, de miroir des travers de notre temps, de metteur en décalage, de grand démasqueur de comédies humaines… Il ne fait rien de tout cela en vérité. Y compris le plus irrévérencieux. Il n’apporte rien qui ne soit déjà largement partagé. C’est la raison de son succès : donner un exutoire aux convictions établies. Prononcer ce que le large public croit tout bas.