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Certaines imbécilités du Monde sont tellement criantes que leurs souteneurs n’osent même pas les traduire quand ils les importent en France. Ils craignent sans doute que cela rende définitivement visible la supercherie. Manspreading. Fake newsPaintball. Si l’on donnait un nom français à ces machins-là, on serait forcé de s’interroger sur leur signifiant, et les gens se sentiraient idiots d’y accorder de l’intérêt. Alors on leur conserve ce voile de mystère, d’abstraction : on les maintient en anglais et la foule peut jouer avec sereinement, sans se poser la question de leur sens.

Dans ce domaine, les fameuses fake news sont la plus belle réussite de l’année. Chacun pressentant, au fond, la fumisterie qui s’y cache, personne n’ose transcrire l’expression en français – l’anglicisme offrant un aspect inédit et menaçant à une réalité pourtant tristement banale et évidente : il circule parfois des informations infondées. Et donc, nous allons vraisemblablement légiférer contre les fake news. En réponse à l’ingérence russe dans les dernières élections américaines – ingérence dont aucune preuve matérielle n’a été faite à ce jour, si ce n’est par l’accusation répétée de tous les grands médias. Une fake news en sursis, en somme !

Poutine répond quelques bons mots au sujet de ces accusations dans plusieurs entretiens et conférences. On ne les trouve malheureusement pas en sous-titres français, tant la stratégie d’influence russe sur notre pays est sournoise ! De manière générale d’ailleurs, ces grandes conférences où le président russe parle devant la presse du monde entier sont très peu relayées. Les vues qu’il exprime ainsi que ses mains tendues seraient pourtant précieuses à partager à l’heure où l’on parle de 3ème guerre mondiale toutes les semaines. Il faut croire que l’on n’y tient pas et qu’on préfère s’en tenir à l’image du dictateur fou.

Mais revenons à nos moutons. Voici une règle précieuse à garder en tête : lorsqu’un phénomène surgi de nulle part déboule avec un nom anglais sans vouloir s’en départir, ne paniquez pas ! Une réalité qui ne trouve pas son nom dans votre langue, alors qu’hier encore vous n’en aviez jamais entendu parler, a toutes les chances d’être quelque chose qui n’existe pas.

Redésinformation, suite et fin

Affaire rondement menée que celle de la reprise en main de l’information sur internet. En quelques semaines, tout est allé très vite. Le Monde nous a sorti le Decodex, Facebook a mis en place en douce un système analogue à celui que j’imaginais dans mon dernier article, et le Decodex lui-même a déjà eu le temps de se décrédibiliser tout seul (voici comment).

Je suis assez surpris de l’indifférence générale dans laquelle se joue cette partition, qui marque pourtant une rupture complète avec les grands principes de liberté-égalité du net en vigueur jusqu’ici. Est-ce peut-être une lubie personnelle ? Je me le demande tant personne n’en fait un sujet, ni parmi les gens autour de moi, ni dans les médias qui auraient pourtant là l’occasion, en se saisissant de la cause, de se racheter une réputation intègre à moindre frais.

Pas grand-chose à ajouter sur le sujet sinon cette conclusion : ce qui au fond est combattu à travers les « fake news », ce n’est pas la fausseté en elle-même, qui égarerait les opinions, c’est la disparité des interprétations. Vrai ou faux, ce dont un pouvoir a besoin c’est d’un niveau d’information relativement homogène parmi sa population. Que chacun vive à peu près les choses de la même façon. C’est comme cela qu’il peut, le moment venu, la mobiliser autour de ses projets. Internet génère au contraire un communautarisme des consciences, des ghettos d’opinion nourris et entretenus par les bulles interprétatives dans lesquelles chacun peut s’enfermer. Dans ces bulles ne fermentent pas nécessairement l’erreur ou le mensonge, mais des appréciations trop différentes les unes des autres. C’est ainsi que l’on se découvre par exemple des jeunes de banlieues qui « ne sont pas Charlie » ou qui, bien que pleinement Français, épousent la cause de l’ennemi.

On se rappellera qu’en 1917, mutineries et désobéissance sont survenues à l’occasion de la révolution russe, dont la réfraction sur les événements ont donné à certains soldats une perception changée des buts de la guerre qu’ils menaient.

Il est néanmoins assez comique de voir ceux qui sont pour la libre circulation de tout ce que vous voulez entraver celle de l’information. Eux qui jusque là n’avaient comme crainte que le « repli sur soi » s’évertuent à présent à filtrer les interprétations venues d’ailleurs et à reconstruire une bulle informative clean et « nationale ».

Redésinformation

A l’information, s’était adossée depuis quelques années la réinformation, que l’on réduit souvent à une poignée de sites d’extrême droite alternatifs, mais qui de manière plus juste peut désigner le rééquilibrage général qu’a permis l’essor d’internet et des réseaux sociaux en matière de pluralité d’information, face à une presse univoque et pilotée par les forces économiques et politiques.

Il semble que nous entrions à présent dans un troisième temps de la danse : celui de la redésinformation. Agacés par une série de revers imputés à plus ou moins forte raison à cette réinfosphère (Brexit, élection de Trump, succès de thèses complotistes, désaveu des stratégies géopolitiques occidentales…), les acteurs conventionnels de l’information contre-attaquent et redéploient leurs forces.

Ainsi, en novembre dernier, le Parlement européen approuvait une résolution pour « limiter l’activité des médias russes en Europe ». Aux Etats-Unis, on a demandé aux grandes plateformes de réseaux sociaux de faire quelque chose pour contrer la diffusion de « fake news », ces fausses informations que l’on accuse d’avoir perturbé l’élection présidentielle. Ce concept de fake news est tout récent, comme si l’on découvrait qu’il pouvait exister des mensonges dans l’information, et que celle-ci pouvait être utilisée comme un outil d’influence.

« Jusque récemment, fake news désignait les sites d’information parodiques de type The Onion [équivalent américain du Gorafi NDLR], explique Slate dans cet article incroyable (mais vrai !). Mais le terme a pris une nouvelle signification depuis la diffusion massive d’articles falsifiés, créés sciemment dans le but de tromper plutôt que d’amuser ».

Ainsi, Slate annonce par ce même article le lancement d’une innovation : This is Fake, une extension pour navigateur qui permet de signaler les « faux articles ». Le principe est celui du Coyote, avec lequel les automobilistes se signalent entre eux les emplacements de radars routiers. Ici, les utilisateurs se signalent les « fausses actus » qu’ils trouvent en ligne ; ces dernières apparaissent alors, sur les écrans et les réseaux sociaux des autres, cerclées de rouge et précédées de la mention « Cet article provient d’une source connue pour répandre de fausses informations ».

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L’extension permet de signaler un article, mais aussi un site d’information dans son ensemble ; tous les articles qui en émanent sont alors jugés fake sans qu’on ait besoin de les lire. On apprend d’ailleurs que les utilisateurs ne seront pas seuls à effectuer ce travail de signalement mais qu’une cellule éditoriale de Slate y est dédiée.

Comment décrète-t-on qu’une news est fake, la définition que donne Slate est assez libre. Il s’agira évidemment des informations montées de toute pièce, mais pas seulement. Ce peut être aussi un article qui utilise des éléments vrais mais « au service d’un propos central qui serait faux » (en clair : un article qui à partir de faits avérés, tire une interprétation qui n’est pas bonne). A contrario, « une chronique qui contient des erreurs factuelles mais qui sont périphériques au propos central » ne sera pas quant à elle comptée comme fake.

On se fiche évidemment de cette extension tant qu’on ne l’a pas installée, mais on pourrait facilement imaginer que la même logique existe sur les outils utilisés par une large partie de la population, comme Facebook ou Twitter. Ils ne nous signaleraient pas en rouge les « fausses informations », mais pourraient en revanche se mettre, à notre insu, à simplement limiter leur apparition. Les pénaliser au profit des « vraies » informations.

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Ce qui est prodigieux, c’est que Slate ou n’importe quel média qui se prend au sérieux puisse ne pas voir le ridicule qu’il y a à vouloir apposer son étiquette « vrai » ou « faux » sur le web entier. Qu’ils puissent ne pas s’apercevoir que par ce genre d’initiatives, ils s’assignent la besogne d’une STASI du net ou d’un ministère de la Vérité orwellien. C’est toujours drapées dans un discours de déontologie journalistique que ces initiatives délirantes s’avancent. C’est au nom d’une plus grande éthique journalistique que Slate tronque, filtre et nettoie l’information. C’est avec le fact checking à la bouche, et au nom d’un journalisme objectif, que les rubriques comme celle des Décodeurs du Monde produisent leurs articles les plus biaisés par l’idéologie.

Il est regrettable que la réponse des médias à la réinformation se fasse, plutôt que par une rigueur, une pertinence et une honnêteté renforcées, par des moyens déloyaux – coups bas, blocages, interdictions – visant à couper le robinet à l’adversaire plutôt qu’à le vaincre sur le terrain du professionnalisme. La troisième manche de la redésinformation peut-elle être autre chose que perdue d’avance ?

« Les journalistes d’aujourd’hui »

« Les journalistes d’aujourd’hui sont si habitués à la soumission des citoyens, voire à leur ravissement devant les exigences de l’information, dont ils sont (…) les salariés, que beaucoup d’entre eux supposent coupable celui qui prétendrait ne pas s’expliquer devant leur autorité. (…) Qui ne va pas spontanément se faire voir autant qu’il peut dans le spectacle, qui vit dans le secret est un clandestin. Un clandestin sera de plus en plus vu comme un terroriste. »

Guy Debord

Fluidité de l’information

Je rebondis sur un article de Jean Trito à propos de l’information [Lire ici] :

Il est en effet un paradoxe notable, que dans notre société de médias où l’on se vante que l’information n’ait jamais circulé si rapidement, si librement et en telle quantité, cette information soit de moins en moins consistante.

Aujourd’hui, on considère par exemple qu’un propos rapporté est une information, au même titre qu’un fait. « Tel politique a dit que… » est une information. « Tel chanteur a réagi aux propos de tel politique qui avait dit que… » est une autre information ! C’est ainsi que le flux d’information « augmente », et qu’on peut par exemple compter comme 3 informations :

  • l’information selon laquelle l’ambassade américaine à Paris considère les médias français inoffensifs et à la botte du pouvoir,
  • l’information selon laquelle WikiLeaks révèle que l’ambassade américaine considère les médias français inoffensifs et à la botte du pouvoir,
  • l’information selon laquelle le Monde a diffusé les informations révélées par Wikileaks parmi lesquelles on apprend que l’ambassade américaine considère les médias français inoffensifs et à la botte du pouvoir… Etc.

La fluidité de l’information, ce n’est pas seulement que l’information circule plus vite, plus facilement ou qu’elle s’insinue partout. C’est aussi que l’information est plus fluide, c’est-à-dire moins épaisse, plus diluée… Le fluide médiatique comprend de moins en moins de véritables morceaux d’information, créés à partir d’un reportage ou de l’exploration d’un sujet, et de plus en plus de rapports d’information, de commentaires, d’analyse, d’interprétation… RE-TWEET !

Paysage audiovisuel et médiatique : la jungle tropicale

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Dans le futur, la télévision a survécu et constitue le dernier îlot d’intelligence et de culture dans le monde médiatique.

Pendant les premières décennies du 21ème siècle, internet était devenu l’outil de la curiosité et de la libre culture, contre une télévision non seulement abêtissante mais manipulatrice dans le traitement de l’information et le façonnage des mentalités. L’avantage évident du web et de ses possibilités, combiné aux ficelles toujours plus grossières de la propagande et à l’accumulation toujours plus gigantesque de bêtise à la télévision, avaient fini par déclencher un transfert de l’audience.

Petit à petit, le modèle s’est adapté, purgé, le public et les investissements ont fui sur internet, emportant avec eux la partie du « PAF » qui s’est adaptée (l’autre est morte). « Les médias » désignent désormais  ce PAF reconverti, augmenté des nouveaux acteurs. « Internet » ne désigne plus non plus la même chose : il est l’outil principal d’information et de divertissement des masses, capable de proposer immédiateté des contenus, des achats, des envies, consultation à volonté, consommation d’information et de produits culturels à usage unique

Il a fallu peu de temps pour que cet internet-là se révèle le refuge idéal de l’idiotie et de la vulgarité de masse. Une idiotie « 2.0 », renforcée par l’interactivité et les avis donnés à moindre frais. Disparition des repères médiatiques (organes officiels, « spécialistes »…), démultiplication des acteurs, profusion des contenus et des commentaires… Sur cet internet, toute pensée ou idée nouvelle est immédiatement livrée et publiée avec sa contradiction et son éloge, enterrée sous les avis à 2 sous ou bien automatiquement et simultanément analysée par des centaines de relais à la fois, « éclairée », dépiautée, analysée, dépouillée jusqu’à ce qu’il ne reste qu’une épluchure desséchée rendue stérile et inoffensive, et on passe à la suite !

Dans le futur, internet a en réalité permis de pousser la logique médiatique jusqu’au bout. Il est l’outil le mieux à même de réellement contrôler l’idiotie, de l’orienter, de l’organiser et de l’utiliser. Idiotie en réseau, idiotie cumulée, simulée, provoquée, idiotie contradictoire… Le pouvoir, une fois qu’il eut repris l’outil en main économiquement, techniquement et juridiquement, a disposé d’un système qui lui permettait d’égarer ou de mobiliser les opinions selon ses besoins, semant la zizanie dans une information rendue totalement illisible tout en préservant une apparence de liberté totale.

Laissée loin derrière ce brouhaha, la télévision a connu et connaît encore des années de disette, mais elle subsiste. Ce passage à vide a été l’occasion de la voir réinvestie par l’intelligence. Quelques chaînes, tenues par des « dissidents » ou des associations, soutenues par des mécènes, diffusent culture et information alternatives. Il faut le reconnaître, les programmes, parfois intéressants, trahissent un manque de moyens. Les chaînes se partagent parfois une même fréquence et les mêmes studios. Les programmes ne s’enchaînent pas en continu, ils sont entrecoupés de plages de silence ou de musique. Qui cette télévision intéresse-t-elle encore, sinon quelques « non-branchés », personnes seules et cultivées qui ont encore la volonté de traiter un sujet dans sa profondeur, la patience d’attendre que ce qui les intéresse vienne à eux, la curiosité de découvrir un programme qu’ils n’ont pas sollicité, ou encore l’humilité de prendre une leçon sans faire valoir son avis ?