« Un seul être sans joie suffit pour empoisonner l’atmosphère de toute une maison et pour tout assombrir. Et c’est un miracle quand un tel être n’existe pas ! Le bonheur est loin d’être aussi contagieux. »
Nietzsche dans le Gai savoir.
« Un seul être sans joie suffit pour empoisonner l’atmosphère de toute une maison et pour tout assombrir. Et c’est un miracle quand un tel être n’existe pas ! Le bonheur est loin d’être aussi contagieux. »
Nietzsche dans le Gai savoir.
« Maturité de l’homme : avoir retrouvé le sérieux qu’enfant, il mettait dans ses jeux. »
Il y a dans cette simple phrase énormément de choses qui peuvent jaillir à votre pensée, si vous prenez la peine de la relire. Énormément de densité, plusieurs livres ou films à en tirer, une expérience précieuse qui la fonde. L’aphorisme est l’opération d’alchimie par laquelle toute cette densité est réduite en une seule goutte ultra-condensée et déposée dans un livre. Nietzsche a travaillé à cet exercice dans certains de ses livres, construits comme des « chapelets de pensées ».
En voici quelques autres, à savourer chacune individuellement :
« Quand nous devons revoir notre jugement sur quelqu’un, nous lui faisons vivement grief du désagrément qu’il nous cause ainsi. »
« Tenir à son opinion : l’un parce qu’il se fait gloire d’y être arrivé seul, l’autre parce qu’il a eu du mal à l’assimiler et est fier de l’avoir comprise. L’un et l’autre, donc, par vanité. »
« Ce n’est pas la vigueur mais la durée du sentiment élevé, qui fait les hommes élevés. »
« On doit rendre le bien et le mal, mais pourquoi précisément à la personne qui nous a fait du bien et du mal ? »
« L’objection, l’écart, la gaie méfiance, le sarcasme, sont signes de santé : tout inconditionné relève de la pathologie. »
« Que celui qui lutte avec des monstres veille à ce que cela ne le transforme pas en monstre. Et si tu regardes longtemps au fond d’un abîme, l’abîme regarde aussi au fond de toi. »
Nietzsche
« Gardons-nous de penser que le monde est un être vivant. Nous savons à peine ce qu’est la matière organique : ce qu’il y a d’indiciblement tardif, de rare, de hasardeux sur la croûte de la terre, nous irions jusqu’à en faire quelque chose d’essentiel, de général et d’éternel, comme ceux qui appellent l’univers un organisme ?
Gardons-nous de croire que l’univers est une machine : il n’a pas été construit en vue d’un but, et c’est lui faire un bien trop grand honneur. Gardons-nous de voir partout quelque chose d’aussi défini que le mouvement cyclique des planètes voisines : l’ordre astral où nous vivons est une exception. La condition générale du monde est de toute éternité le chaos.
Gardons-nous de reprocher à l’univers de la dureté et de la déraison, ou bien le contraire. Il n’est ni parfait ni beau ni noble et ne veut rien devenir de tout cela ! Il ne possède pas non plus d’instinct de conservation et de façon générale, pas d’instinct du tout ; il ignore aussi toutes les lois.
Gardons-nous de dire qu’il y a des lois dans la nature. Il n’y a que des nécessités. Personne ne commande, personne n’obéit, personne ne désobéit.
Gardons-nous de dire que la mort est opposée à la vie. La vie n’est qu’une variété de la mort, et une variété très rare.Quand donc aurons-nous fini de nous ménager ? Quand toutes ces ombres de Dieu ne nous troubleront-elles plus ? Quand aurons-nous entièrement dépouillé la nature de ses attributs divins ? Quand retrouverons-nous la nature pure, innocente ? Quand pourrons-nous, nous autres hommes, redevenir nature ? »
Friedrich Nietzsche dans Le Gai Savoir.
A une époque, portés par des expressions-cultes signées Audiard ou Coluche, on parlait des « cons ». Par exemple : « les cons, c’est à ça qu’on les reconnaît », etc. Et puis c’est passé de mode et on a fini par reconnaître un con à ce qu’il sorte une généralité sur « les cons »…
Il en va un peu de même avec le concept de « bobo ». Devenu galvaudé, il est récupéré par les bobos eux-mêmes, qui s’amusent à en repérer à chaque coin de rue. Si bien que, comme « le con » à son époque, on ne sait plus aujourd’hui qui est bobo et qui ne l’est pas. On sait seulement que c’est toujours un bobo ou un con qui s’amuse à le dénicher ! Et le concept est sur le point de passer de mode.
Pourtant le profil « bobo », bourgeois bohème, demeure pertinent et encore palpable dans la société, me semble-t-il. Le bobo, c’est celui qui met son épanouissement et son bonheur au premier plan, sans plus de notion de devoir ou de dette. Le bobo est la version « moyennisée » du bourgeois décadent : celui sous le règne de qui s’est déprécié le goût des affaires bien tenues qu’avait Papa, au seul profit de l’oisiveté que le statut conférait. Le bobo est l’avènement d’un type humain, annoncé d’assez longue date faut-il dire. On en trouve des prémices chez Nietzsche. Il est peut-être bien aussi « l’homme sans qualités » de Musil. Il se prénomme « homme-masse » chez Ortega y Gasset ou encore « homo festivus » chez Muray.
N’enterrons pas le bobo.
L’ermite ne croit pas qu’un philosophe ait jamais exprimé ses opinions véritables et ultimes dans des livres : n’écrit-on pas des livres précisément pour cacher ce que l’on porte en soi ? Il doutera même qu’un philosophe puisse avoir de manière générale des opinions « ultimes et véritables », qu’il n’y ait pas de toute nécessité en lui, derrière toute caverne une autre caverne plus profonde. Un arrière-fond d’abîme derrière toute « fondation ». Toute philosophie est une philosophie de surface : il y a de l’arbitraire dans le fait qu’il se soit arrêté ici, ait regardé en arrière et alentour, qu’il n’ait pas creusé plus profondément ici et ait remisé sa bêche, il y a aussi de la méfiance là-dedans. Toute philosophie cache une philosophie ; toute opinion est aussi une cachette, toute parole est aussi un masque.
Nietzsche, dans je-ne-sais-vraiment-plus-quel livre.
Nietzsche, dans Le gai savoir :
« Qu’avons-nous fait quand nous avons détaché la terre de son soleil ?
Où va-t-elle maintenant ?
Où allons-nous nous-mêmes loin de tous les soleils ?
Ne tombons-nous pas sans cesse ?
En avant, en arrière, de côté, de tous les côtés ?
Est-il un en haut, un en bas ?
N’allons-nous pas errants comme par un néant infini ?
Ne sentons-nous pas le souffle du vide sur notre face ?
Ne fait-il pas plus noir ?
N’advient-il pas de la nuit toujours plus de nuit ? »
« Nul ne tiendra une doctrine pour vraie du simple fait qu’elle rend heureux ou vertueux. Quelque chose pourrait être vrai tout en étant nocif et dangereux au suprême degré, et il se pourrait même que l’existence ait cette propriété fondamentale de faire périr quiconque la connaîtrait complètement, de sorte que la force d’un esprit se mesurerait à la quantité précise de vérité qu’il parviendrait à supporter, plus clairement au degré auquel il aurait besoin de la diluer, de l’adoucir, de l’émousser, de la falsifier. »
Friedrich Nietzsche, dans Le Gai Savoir.
Friedrich Nietzsche, dans je-sais-plus-lequel :
« Le visage et les membres peints de cinquante taches de couleurs, c’est ainsi qu’à ma stupeur je vous vis assis, hommes d’aujourd’hui ! En vérité vous ne pourriez porter de meilleur masque que votre visage ! Qui pourrait vous reconnaître ? On voit, multicolores, toutes les époques et tous les peuples à travers vos voiles ; toutes les coutumes et toutes les croyances parlent un langage bariolé dans vos attitudes.
Oui, c’est cela l’amertume de mes entrailles, vous hommes d’à présent : que je ne puisse vous supporter ni tout nus, ni habillés ! « Nous sommes réels, tout entiers, sans foi ni superstition ». Comment pourriez-vous donc croire, vous qui êtes parsemés de taches de couleur ! Vous qui n’êtes que les tableaux peints de tout ce qu’on a jamais cru ! Vous êtes des réfutations ambulantes de la foi et cela même vous brisa les os à toutes les pensées. Etres indignes de foi, c’est ainsi que je vous appelle, gens de la réalité ! Toutes les époques jacassent les unes contre les autres dans vos esprits. Vous êtes stériles, c’est pourquoi la foi vous manque. Mais celui qui devait créer, celui-là avait sa foi dans les étoiles, et il avait foi dans la foi !
Hélas ! Comme je vous vois, debout devant moi, vous les stériles, que vous êtes maigres, on vous voit les côtes ! »
« La distinction qui s’attache au malheur est si grande », dit Nietzsche, « que si l’on vient vous dire « Mais que vous êtes heureux ! », vous ne manquerez guère de protester ».
A certaines personnes, il ne faut en effet jamais dire qu’elles sont heureuses ou qu’elles vont bien : elles vous contrent immédiatement et s’empressent de justifier le contraire. C’est qu’en les prenant en flagrant délit de contentement, en les suspectant de bien-être, vous contrevenez à une image qu’elles entretiennent en elles : que la vie est difficile ; qu’elle est difficile pour eux. Avec eux. Qu’elle ne leur fait pas de cadeau. Qu’ils sont à plaindre.
Ces gens tiennent au prestige du malheur comme si faire savoir qu’ils sont heureux pouvait attirer sur eux le mauvais sort. Et ils craignent leur bonheur comme si l’on allait leur en demander compte. Ils font, avec la personne qui leur affirme qu’ils ont bonne mine, comme avec l’huissier ou l’inspecteur fiscal à qui l’on doit absolument jouer la détresse et dissimuler son patrimoine.
Mais ce prestige a un prix. A minimiser ses joies pour réduire ses peines, on assure le rétrécissement de ses perspectives, de ses émotions, et finalement de son vécu. Cet état d’esprit finit par induire une vie où rien ne risque d’arriver.