Les vocations

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Un père m’adresse sa fille, qui veut travailler dans la com, afin de discuter et de l’aider à préciser son projet. Ma foi, je trouverai bien quelque chose à lui dire, même si le fond de ma pensée, ces derniers temps, serait plutôt qu’une société tertiarisée où plus personne ne produit et où tout le monde « travaille dans la com » finira par manquer de choses à communiquer. Ma première envie serait de la mettre aux champs, de lui tendre un râteau et un chapeau de paille, et de lui demander de se mettre au boulot !

L’avantage de ces multiples emplois dans la com, et plus généralement de ces métiers désincarnés où il est question de « gérer », de « coordonner » ou « d’animer »… est qu’ils permettent d’entrer dans la vie active voire de la traverser en esquivant la question de ce que l’on veut vraiment faire et ce à quoi l’on est bon.

Je lis en ce moment les Récits de la Kolyma, petites histoires quotidiennes de vie au goulag contées par un survivant qui y passa une quinzaine d’années – et récemment aussi une BD sur la vie du poète François Villon. Ces deux ouvrages ont en commun de nous ramener à un cadre de vie primaire, sinon sommaire où les options « d’orientation », c’est-à-dire de vie et de survie, sont beaucoup plus réduites, concrètes, et de ce fait plus simples qu’aujourd’hui. A celui qui cherche sa voie dans le monde actuel, je conseillerais l’exercice de se projeter dans un de ces univers où rien n’existe que l’essentiel, le rudimentaire, et d’imaginer comment il s’inscrirait dans un tel monde.

Dans les baraquements du goulag, tout superflu a disparu. La vie est ramenée à sa plus simple expression et les rôles sociaux parmi la communauté des prisonniers se résument au fort qui protège ou exploite les autres, à celui qui est habile et qui chasse ou troque, à celui qui est malin et évite la corvée ou la fatigue, à celui qui est servile et assouvit les besoins des autres… et plus surprenamment : au rôle du conteur. Malgré la rigueur de la vie, les hommes les plus vils et les plus illettrés accordent une valeur à qui sait leur raconter une histoire, un récit, une scène… Celui-là obtient une estime de la communauté quelle que soit sa contribution aux tâches par ailleurs.

De la même façon, la vie de François Villon dans le Paris moyenâgeux a ceci d’universel qu’elle symbolise les vicissitudes de l’existence individuelle pour faire valoir un talent quelconque et trouver parmi les hommes quel sera le meilleur preneur de ses services. Le poète cherche le protecteur, roi ou brigand, dont il pourra illustrer les louanges.

Demain, il n’y a plus de « com » mais simplement un monde où les gens cherchent à se nourrir, à se défendre, et éventuellement à se distraire : pour quoi serions-nous le mieux placé, quelle place occuperait-on le plus naturellement parmi les autres. Bâtisseur, chasseur, cueilleur, voleur, protecteur, moine : de quoi vivrait-on, c’est-à-dire pour lequel de nos talents les plus modestes les autres auraient-ils le plus besoin de nous ? A partir de cette dynamique d’existence, imaginer son rôle dans le présent.

La comédie enseignante

C’est une simple observation, mais d’après mon expérience, les gens qui étaient atteints le plus gravement de narcissisme ont toujours été ceux qui ont fini par se destiner à l’enseignement ! Ou au moins à en ébaucher le projet.

Gens pas comme les autres, qui n’entrent pas dans les cases, « créatifs » mais sans œuvre. Gens qui poursuivent une chose sans vraiment savoir quoi. La voie normale n’est soi-disant pas faite pour eux. Gens qui parlent beaucoup d’eux-mêmes, mais paradoxalement sans jamais vraiment parler d’eux. Jamais avec vérité et simplicité. Affabulateurs, comédiens d’eux-mêmes, peu de questions mais beaucoup de questionnements, et puis hop ! Finalement : prof !

Pour ceux-là en effet, quelle meilleure scène qu’une estrade pour produire leur personnage au quotidien ? Le public est tout trouvé. Et l’érudition sera leur comédie.

Profession : ratés

C’est amusant : professionnellement les gens sont toujours le raté d’un autre.

Un prof de sport, c’est un jeune espoir de l’athlétisme qui s’est ruiné la rotule. Un conseiller municipal, c’est un maire pour qui personne n’a voté. Et un capitaine de ferry, ce n’est pas Porquerolles ou l’île d’Oléron qu’il visait à l’horizon : c’était le détroit du Bosphore, le canal de Panama, les eaux de l’Antarctique… A bord d’un cargo !

De la même façon, il est complètement improbable qu’un éditeur ne soit pas, en réalité, quelqu’un qui a des projets de romans à lui plein la besace. Quelqu’un qui ne veut être éditeur que de lui-même au fond, c’est-à-dire écrivain.

Oh, des éditeurs qui ne sont pas des écrivains ratés, il y en a. Les éditeurs de manuels scolaires par exemple : ceux-là rêvaient dès le départ d’être éditeur. Mais plutôt chez Gallimard, dans un bureau élégamment vieillot décoré de portraits de Beckett, Yourcenar, Faulkner, en noir&blanc… Et non pas chez Hachette, dans un bureau encombré de présentoirs pour Passeport CE2 !

Et ne croyez pas que le scénariste BD soit quelqu’un qui vive son rêve : il tuerait au contraire pour faire autre chosesavoir manier le crayon. Le scénariste BD regarde son dessinateur avec rancœur et envie. Dessinateur qui pour sa part, donnerait tout pour faire autre chose que gribouiller des Mickeys ! Lui a toujours rêvé d’être Van Gogh, sans jamais y parvenir.

Et Van Gogh lui-même, il ne fait pas de doute qu’il aspirait à tout autre chose qu’à la peinture ! La peinture, l’oeuvre qu’il est parvenu à réaliser, toute colorée qu’elle soit, comme elle devait lui paraître fade, frustrante ! Fade, par rapport au sublime qui jaillissait et éclaboussait dans sa tête.

C’est amusant.
C’est drôle.
C’est drôle et c’est d’un triste !