Loi de l’innovation décroissante

L’un des traits caractéristiques de l’humain réside dans la futilité innovante, dont une manifestation pourrait être l’invention d’objets inutiles mais judicieux : objets « bien pratiques », mais qui ne satisfont pas un besoin tel qu’on avait besoin de les inventer. Presse-citron, pince à glaçons, coupe-cigare, brosse-chaussures… ou encore rampe ultra-rapide du métro Montparnasse, à Paris ! L’origine « quotidien-bourgeois » de ces objets s’explique assez bien par l’oisiveté et le temps disponible nécessaire pour les créer. Toujours est-il qu’un type forcément ingénieux a eu le temps et la fantaisie, non seulement de les penser, mais encore de les réaliser ! Il y a là une dépense d’énergie, une débauche d’astuce même, un gaspillage de vivacité d’esprit, presque indécents.

Cette « futilité innovante » pose néanmoins question lorsqu’elle est érigée en procédé systématique par une société industrielle qui met toutes ses forces dans la confection d’objets et la réinvention permanente de besoins matériels.
Car la loi semble ainsi faite : plus une technologie est aboutie, plus le pas supplémentaire à franchir pour améliorer cette technologie est coûteux.

L’exemple de la rampe ultra-rapide de Montparnasse >>

On dépense aujourd’hui certainement plus d’argent et d’efforts pour améliorer un détail fonctionnel sur un objet, qu’en a dépensé l’inventeur lui-même pour créer l’objet à partir du néant. Pour inventer la brosse à dents, il a suffi d’un peu d’ingéniosité, d’une baguette en os et de poils en soie de porc. Mais il a fallu des budgets faramineux de R&D et l’intervention de spécialistes ergonomes en blouse blanche pour améliorer la « prise en main » de cette même brosse à dents ou l’équiper d’une petite-languette-de-caoutchouc-qui-nettoie-aussi-les-gencives. Sans compter les coûts inhérents aux démarches normatives, qualitatives, sécuritaires, environnementales, qu’une société moderne comme la nôtre se doit de garantir à ses clients-roi, ses consommateurs avertis et ses citoyens procéduriers.

Tout se passe comme si l’argent et la matière grise investis dans l’amélioration d’un procédé, d’une technologie, d’un produit, perdaient en efficacité (cas mis à part de l’innovation qui débouche sur une rupture, qui ne fait pas qu’améliorer l’objet mais le transforme en un nouvel objet pour un nouvel usage, donnant lieu à son tour à un cycle d’amélioration). Tout se passe comme s’il nous fallait sacrifier toujours plus d’efforts et d’argent pour un service rendu toujours plus accessoire !

A la fin, on ferait de belles économies à simplement reconnaître qu’une brosse à dents est une brosse à dents. Qu’elle n’a pas besoin d’être « ergonomique » ni même améliorée. On pourrait simplement reconnaître qu’on est arrivé à la fin de son processus d’amélioration et puis c’est marre, on passe à autre chose ! Mais alors, que se passerait-il après ?