Je suis un nuage

On peut dire de certaines personnes qu’elles sont un « soleil », et tout le monde voit très bien ce que cela veut dire.

Dans ce même registre, je pourrais dire quant à moi que je suis un « nuage ». Mais je ne sais pas si l’on voit aussi bien ce que cela voudrait dire.

Le nuage brouille (il peut obstruer le soleil) et il est lui-même brouillé. Ses contours ne sont pas aussi délimités. En tel endroit il perd un peu de sa substance, en tel autre il en reconstitue. Dans son informité se dessinent des formes. A certains il paraîtra agréable et bienvenu, pour beaucoup il est intempestif. On le croirait immobile même si en réalité il se déplace ou plutôt évolue. Il paraît aussi haut que le soleil alors qu’il l’est moins. Il est du même coton que les autres et se croit singulier. Il est opaque. Quand il veut bien il se déchire, et laisse passer un peu plus de jour. Il offre lui-même de la lumière, mais indirecte, réfléchie. Oui, tiens, il semble réfléchir. Ou dormir.

Je suis un nuage, comme certains sont un soleil.

Chaussure & mode de vie

J’ai visité un endroit qui ressemblait à l’enfer : une sorte de supermarché de la chaussure, ou de Temple de la Chaussure – « chaussure » n’étant plus à prendre ici au sens d’objet mais de mode de vie. Là-bas, les gens circulent avec un air très sérieux, à la recherche de ce qui se fait de mieux ou de plus récent dans le domaine de la chaussure. Ils sont tous vêtu de leur T-shirt le plus intéressant, souvent affublés d’un article de singularité tel que lunettes de soleil, casque à musique ou casquette.

Il y avait là-bas un artiste de la chaussure, un Sage de la chaussure, en réalité un cordonnier américain ou australien qui avait dû être payé pour venir ici, au Temple de la Chaussure parisien, et qui faisait semblant de travailler une semelle de basket sur un espèce d’établi, au milieu de la foule. Certaines personnes venaient s’adresser à lui, en anglais, avec une sorte de respect dans le regard. C’est ce qui m’a marqué : le sérieux des gens. L’air très concentré des consommateurs de chaussures, en décalage avec le « fun » sur lequel jouent les publicités de la basket.

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C’est comme s’il y avait là une histoire de spiritualité : ces gens ne sont pas seulement à la recherche d’une paire de chaussures mais viennent éprouver et ressentir « l’univers » de la chaussure. Pour eux, il y a un mode de vie dans lequel « la » chaussure, et à plus forte raison la basket, a un grand rôle à jouer.

On la constate dans beaucoup d’occasions, cette vénération :

  • un ami obnubilé par les baskets qui s’achète une paire par semaine, qui en fait un sujet de conversation régulier,
  • un collègue qui attend avec impatience la sortie d’une certaine paire de baskets en version 1973 ou quoi,
  • ou encore, affichée dans un kiosque, une couverture de magazine spécialisé en chaussure où l’on parle de la vie sous l’angle de la chaussure, où l’on relève les faits d’actualité où il a été question de chaussure, et où l’on interviewe des célébrités du point de vue de la chaussure : aime-t-il les chaussures, possédait-il telle paire de chaussures quand il était petit, et que représentent pour lui les chaussures…,
  • ou tout simplement, le type qui s’est donné beaucoup de mal pour trouver ces belles tennis vertes et jaunes, qui surlignent si bien sa personnalité et qu’il serait catastrophé de retrouver aux pieds d’un d’autre.

Ca fait du monde. A se demander s’il existe encore des gens pour trouver tout cela ridicule.