Le porno de masse

Ce qui menace la dignité de la femme, ce n’est pas le port du voile, ce n’est pas le soi-disant sexisme omniprésent. Ce qui menace la dignité de la femme, réellement, c’est le porno au grand jour, le porno grand public, le porno de masse.

Miley Cyrus Bangerz Tour Hits Izod CenterQueen of pop, génération Disney

Lundi : une vidéo partagée sur les réseaux sociaux montre une adolescente à un concert de rap, qui a grimpé sur la scène et que le groupe attrape violemment et se met à « violer » pour de faux sans qu’elle ne puisse rien faire. Rien d’étonnant : la variété musicale pour ados n’a de toute façon plus de différence fondamentale avec le milieu de la pornographie.

Mardi : quelqu’un me raconte que son fils de 8 ans a recherché « sexe vidéo » sur sa tablette. Après enquête, il s’avère que l’idée lui vient d’un camarade de classe, qu’on imagine aisé et précocement « connecté », et qui a montré ce genre de vidéos dans la cour de récré. Après coup, qu’est-ce que cela a d’étonnant alors que tout cela existe pour tout le monde à portée de clic ? Qu’est-ce que cela a de surprenant et faut-il douter que cela se produise tous les jours dans les cours d’école ?

Mercredi : une discussion de collègues dérive sur les films X et « les bruits que font les filles » ; pour que chacun sache bien de quoi on parle, un type lance devant tout le monde une vidéo hard de fellation sur son smartphone et le présente à la compagnie. Les femmes présentes, ne sachant pas bien si elles doivent être gênées, rigolent comme les hommes pour faire bonne figure. La génération 25-30 ans connaît parfaitement le jargon de l’industrie pornographique américaine et en use sans rougir dans la conversation courante, j’avais déjà pu le remarquer.

Jeudi : je feuillette un magazine design branché, généreusement mis à disposition dans les toilettes de mon entreprise. Peu de texte, beaucoup de photos, notamment celles d’un artiste japonais contemporain qui fait des choses avec des bouts de corps nus. Certaines vont assez loin : un bassin humain plié, cul vers le haut, les fesses fourrées de chantilly, le tout surmonté d’une cerise ! D’autres évoquent la soumission, l’humiliation sexuelle, le sadomasochisme… Ceci est banalement laissé à la lecture, à mon travail, comme ce pourrait l’être dans une salle d’attente. Je referme la revue et retourne bosser. Tout va bien. Ce monde est normal.

Vendredi : on m’apprend que le « labo » d’Arte réalise des vidéos « artistiques » où une voix de petite fille demande ce qu’est un anulingus, un clitoris ou un « ass-to-mouth »… Décalage. Humour irrévérencieux. Contre-culture(s)… Je crois que je regarderai ça plus tard…

arte cochon« Humour, humour, je précise… »

Le porno est un porno de masse. Il est sorti du placard où l’on planquait les cassettes VHS. Aujourd’hui, il ne sert plus à faire bander mais à ricaner, à socialiser, éventuellement à chanter… Après avoir été choquant, puis transgressif, puis excitant… il devient « amusant » (on en rit à une tablée de collègues, hommes et femmes confondus – l’homme et la femme étant devenus de nos jours de simples « potes » qui baisent). Bientôt il sera simplement normal. Les femmes, alors qu’elles se disent « blessées » par une publicité de femme-objet et « outrées » par les conceptions d’un Eric Zemmour, ne sentent en revanche aucune oppression lorsqu’un collègue mâle leur met sous le nez une vidéo où elles avalent un pénis jusqu’à la garde. C’est cela qui va se normaliser sous les effets de la pression sociale. L’environnement imprégné de porno normalisé fera plier les dernières volontés.

Et ne tentez pas d’y échapper. Vous pouvez priver votre petit dernier d’internet, c’est sur l’écran de son camarade qu’il visionnera des sodomies. Ce ne sont plus seulement les petits garçons qui arriveront à leur premier rendez-vous avec une conception bien tordue de ce qui se fait. Ce sont aussi les filles, qui auront intégré ce qu’il convient d’offrir et de demander. L’homme de Cro-Magnon de demain n’aura plus à traîner la femme par les cheveux pour l’emmener satisfaire ses envies : c’est elle qui lui tendra sa crinière. Elle se comportera comme une traînée pour mieux ressembler à Rihanna.

Mais bien sûr, ne le dites pas : vous seriez affreusement pudibond, puritain, moralisateur… Voire même on vous reprocherait de vous mêler des affaires des autres. Chacun est libre. Si vous n’aimez pas, vous n’avez qu’à ne pas regarder.

La dictature du prostituariat

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Dans le futur, on peut tirer une rémunération de son simple état : son corps, son esprit, son identité, ses habitudes… Le « corps » au sens large est une source de revenus à même de garantir un train de vie honorable à celui qui veut bien se considérer tout entier comme un outil à disposition du monde.

Vendre son corps a toujours existé, que l’on pense au plus vieux métier du monde ou à la salarisation : main d’œuvre, sexe d’œuvre, tout ce qui consiste à vendre – non plus un savoir-faire mais un état, un savoir-être, la mise à disposition de son corps (la force de ses bras, le creux de sa bouche ou d’autre chose…). Dans le futur, cette conception s’est étendue et généralisée.

Commerce organique. Parmi les nouvelles façons de « vendre son corps », on trouve la vente ou la location de ses fonctions reproductives (dépôts de sperme à la banque, location d’utérus…) ou autres. Vendre un rein par exemple, est un business encore limité à l’heure où chacun n’en détient que deux. Mais il devient porteur à mesure que tombent les barrières du clonage à volonté. Et qui sait ? Si le statut juridique des êtres clonés évolue favorablement, on peut espérer un jour pouvoir élever son cheptel de clones copies de soi, qu’on vendra comme matière vivante ou comme « compagnon ». En attendant, dans le futur on vend à des hôpitaux ou à de grands brûlés des échantillons de peau produite artificiellement à partir de la sienne. Et si l’on est beau, fort, ou connu, les laboratoires vous achètent les propriétés ADN de votre capital organique pour confectionner des produits cosmétiques. On trouve ainsi dans les pharmacies des crèmes ou des injections qui permettent d’obtenir des cheveux ou des fesses semblables à celles de telle chanteuse de R’n’B. Dans le futur chacun peut se considérer comme un catalogue vivant à qui on peut acheter de la matière.

Customer Management. Dans le futur, « vendre son corps », c’est aussi vendre ses données identitaires au marketing. Rien de plus simple, pour votre opérateur téléphonique, que d’établir votre profil consommateur : votre smart phone en dit plus sur vous que votre psychanalyste. En disposant de vos données personnelles, de vos habitudes, de vos horaires, de vos trajets, en cartographiant votre réseau social, familial, amical, professionnel, et en analysant les liens actifs et dormants qui s’y jouent et le rôle que vous y tenez, on peut dire précisément si vous êtes leader ou suiveur, fêtard alcoolisé ou intellectuel amateur d’art contemporain, et vous proposer ainsi des produits et services ad-hoc. Aux meilleurs profils, certaines entreprises louent du temps de cerveau disponible pour diffuser de la publicité personnalisée, ou offrent un statut d’ambassadeur de marque rémunéré par des avantages commerciaux.

Prostitution. Dans le futur, on vend aussi son corps au sens traditionnel. La pornographie s’est normalisée. A force de pédagogie, d’émancipation, de témoignages télévisuels, on a mis fin à la stigmatisation des travailleurs du sexe. Une prostituée ce n’est plus une fille misérable que la vie a traîné là, c’est une femme, ou un homme, décomplexé, maître de son destin et de ses envies, et « qui le vaut bien ». Ainsi, tandis que des pauvrettes continuent à faire le trottoir, des gens comme il faut reçoivent derrière leurs rideaux : femmes épanouies, pères de famille modernes, beaux gosses généreux, étudiantes en management qui financent leurs études (« bosser comme serveuse toute la journée, merci bien ! »). Personne, non plus, ne se cache de faire un peu d’argent de temps en temps avec une vidéo ou une photo de ses ébats sur le net. Ou de participer à un film hard « pour le frisson ». Ça fait partie de la découverte de sa sexualité. Pas de gêne du moment qu’il y a du plaisir, et du respect surtout ! Car attention : ces gens n’acceptent pas n’importe quoi ! Ils font ça consciencieusement, en connaissance de cause, dans le respect d’eux-mêmes et du partenaire. Ils sont maîtres de leur plaisir. Ce sont eux qui choisissent ce qu’ils aiment faire, avec qui, quand, où, et la couleur du préservatif. Comme Clara Morgane.

Tous ces emplois, plus ou moins fictifs, occasions de valoriser sur le marché son savoir-être (savoir consommer, savoir être beau, savoir être populaire, savoir baiser), tout le monde ne les occupe pas. Le plus souvent ils viennent en complément d’une véritable activité. Néanmoins la pratique est suffisamment diffuse et acceptée pour que les sociologues parlent d’une « nouvelle classe d’actifs » : le prostituariat. Ces gens qui vivent totalement ou en partie de la marchandisation de leur être. Qui savent se mettre en valeur. Saisir les opportunités. Vivre avec leur temps.

« Fournir toutes sortes de distractions imaginables »

Georges Orwell dans 1984 :

« Le Commissariat aux Archives était une branche du Ministère de la Vérité dont l’activité essentielle était de fournir aux citoyens des journaux, des films, des manuels, des programmes, des pièces, des romans, le tout accompagné de toutes sortes d’informations, d’instructions et de distractions imaginables (…). Il existait toute une suite de départements spéciaux qui s’occupaient (…) de littérature, de musique, de théâtre et de délassement en général.

Là on produisait des journaux stupides qui ne traitaient presque exclusivement que de sport, de crime et d’astrologie, de petits romans à cinq francs, des films juteux de sexualité, des chansons sentimentales composées par des moyens entièrement mécaniques (…). Il y avait même une sous-section entière, appelée Pornosex, occupée à produire le genre le plus bas de pornographie. »