Certaines affirmations qui se font passer pour scientifiques ne sont parfois que des mots posés sur les choses. Des mots qui se font un peu moins poétiques, moins sensibles, pour se donner autorité, mais qui ne sont tout de même que des mots.
Sigmund Freud est un usager bien connu de ces tours de passe-passe, fallacieux dans leur prétention scientifique. Lorsqu’il invente l’inconscient, il ne fait au fond que traduire, avec cet apparat parfois ridicule, les intuitions que beaucoup d’hommes sensibles ont exprimé avant lui, longtemps avant, avec quel tact et quelle spiritualité ! Un concept comme le complexe d’Œdipe par exemple, est immédiatement pris au sérieux parce qu’il se réfère à une culture érudite qui plonge dans les racines classiques ; il le serait sans doute moins s’il s’était appelé « syndrome du nique sa mère ».
L’amour tout particulièrement, parce qu’il est chose si terriblement irrationnelle, voit nombre de théories scientifiques s’attaquer à lui et tenter de réduire une fois pour toutes sa nature incompréhensible. Pour expliquer le désir, on parlera par exemple de gènes, de phéromones, on dira que « l’amour modifie la chimie du corps », que « des molécules pénètrent dans le cerveau et rendent le sujet réceptif »… Ces mots impressionnent, mais n’expliquent pas mieux le pourquoi ni le comment du phénomène. Ils ne font que poser un champ lexical par-dessus un autre, à consonance scientifique mais qui n’est qu’une autre façon de décrire. Une fois qu’on a dit par exemple que la mère est liée à son petit grâce aux hormones de l’attachement qu’il sécrète, on n’a rien dit du tout, rien expliqué ; on a simplement ajouté le terme « hormones » pour parler de l’affection.
Certains mots ou expressions sont ainsi des recours bien pratiques pour être péremptoire sans en avoir l’air. Expliquez tous les mystères que l’on vous présente par la « sélection naturelle », assénez le mot, et vous n’avez pas besoin d’être plus biologiste que votre voisin. La question est réglée, il n’y a plus à réfléchir. Personne ne vous demandera de comptes sur le mécanisme précis de la « sélection naturelle » dans ce cas précis. Les mots agissent comme un coup de baguette et n’ont pas à appeler de développement rationnel plus que celui qui invoque Dieu ou les extra-terrestres.
Plus les gens meurent étouffés dans leurs draps, plus les stations de ski génèrent de revenus. C’est prouvé, ainsi que d’autres corrélations statistiques à retrouver sur ce site.
Dans la bouche de certains, le verbiage scientifique remplace la superstition d’antan. Il permet à ces superstitions de perdurer sous une forme objective et socialement acceptée. Il est d’ailleurs amusant de noter que les arguments utilisés pour expliquer scientifiquement les choses reprennent l’imagerie technologique de leur temps. En 1900, le corps fonctionnait comme un moteur. Aujourd’hui on préfère imaginer que le cerveau est semblable à un ordinateur qui traite l’information. En réalité, l’homme n’est pas plus « ordinateur » qu’il est « locomotive ». Le mystère, entre temps, n’a pas perdu beaucoup de son épaisseur. Ce qui a progressé avant tout, c’est moins notre connaissance des choses que le registre lexical qu’on utilise pour les décrire.