Qu’est-ce qu’ils savent, les docteurs ? Ils gagnent leur vie en ordonnant aux gens de faire le contraire de ce qu’ils font, et c’est là tout ce qu’on peut savoir de ces singes dégénérés.
William Faulkner, dans Sartoris.
Qu’est-ce qu’ils savent, les docteurs ? Ils gagnent leur vie en ordonnant aux gens de faire le contraire de ce qu’ils font, et c’est là tout ce qu’on peut savoir de ces singes dégénérés.
William Faulkner, dans Sartoris.
C’est amusant : professionnellement les gens sont toujours le raté d’un autre.
Un prof de sport, c’est un jeune espoir de l’athlétisme qui s’est ruiné la rotule. Un conseiller municipal, c’est un maire pour qui personne n’a voté. Et un capitaine de ferry, ce n’est pas Porquerolles ou l’île d’Oléron qu’il visait à l’horizon : c’était le détroit du Bosphore, le canal de Panama, les eaux de l’Antarctique… A bord d’un cargo !
De la même façon, il est complètement improbable qu’un éditeur ne soit pas, en réalité, quelqu’un qui a des projets de romans à lui plein la besace. Quelqu’un qui ne veut être éditeur que de lui-même au fond, c’est-à-dire écrivain.
Oh, des éditeurs qui ne sont pas des écrivains ratés, il y en a. Les éditeurs de manuels scolaires par exemple : ceux-là rêvaient dès le départ d’être éditeur. Mais plutôt chez Gallimard, dans un bureau élégamment vieillot décoré de portraits de Beckett, Yourcenar, Faulkner, en noir&blanc… Et non pas chez Hachette, dans un bureau encombré de présentoirs pour Passeport CE2 !
Et ne croyez pas que le scénariste BD soit quelqu’un qui vive son rêve : il tuerait au contraire pour faire autre chose, savoir manier le crayon. Le scénariste BD regarde son dessinateur avec rancœur et envie. Dessinateur qui pour sa part, donnerait tout pour faire autre chose que gribouiller des Mickeys ! Lui a toujours rêvé d’être Van Gogh, sans jamais y parvenir.
Et Van Gogh lui-même, il ne fait pas de doute qu’il aspirait à tout autre chose qu’à la peinture ! La peinture, l’oeuvre qu’il est parvenu à réaliser, toute colorée qu’elle soit, comme elle devait lui paraître fade, frustrante ! Fade, par rapport au sublime qui jaillissait et éclaboussait dans sa tête.
C’est amusant.
C’est drôle.
C’est drôle et c’est d’un triste !
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Dans le futur, les gens n’ont plus de métier et ça tombe bien car les entreprises n’offrent plus de carrière non plus ! Les grandes et moyennes entreprises ont enfin compris qu’elles s’attachaient un boulet au pied à promettre à leurs employés des parcours, à prendre sur elles la progression de leurs effectifs, à construire et entretenir une « culture d’entreprise »…
Dans le passé, ces politiques de recrutement et de fidélisation avaient eu pour effet d’insinuer dans la tête des gens que quelque chose les reliait à l’entreprise : les employés avaient placé quelque chose d’affectif dans leur état de salarié, ils s’étaient mis en tête qu’ils « faisaient partie d’une boîte », que « leur » entreprise leur devait quelque chose, au-delà du salaire…
Le problème survenait évidemment lorsqu’il fallait se séparer de ces braves gens, et il se chiffre en milliards de pertes : grèves, séquestrations, délabrement de matériel… Indemnités de licenciement, plans de reclassement, formation et suivi psychologique…
Il aura fallu du temps et de l’argent pour se débarrasser de ces fiottes et leur faire sortir cela du crâne. Il en aura coûté de détricoter tout ce qu’il avait déjà coûté de tricoter : les conneries d’ingénierie sociale et de « marketing RH », soigner sa « marque employeur », « fédérer autour d’un projet et de valeurs communes »… Branlettes de sociologues et de cabinets de conseil ! Dans le futur, le salariat et l’appartenance à une entreprise sont désuets. Ils ne correspondent plus à la réalité du monde du travail.
Ainsi, dans le futur, personne ne demande d’être heureux ou épanoui dans son travail. Personne ne demande non plus d’être performant, pro-actif, ou ambitieux. En réalité, rares sont les gens qui ont un métier à proprement parler. Le quidam moyen combine plusieurs activités plus ou moins professionnelles, plus ou moins rémunérées… Le travail qu’il fait pour l’entreprise est souvent un morceau de travail qu’on lui sous-traite et dont il ne comprend pas (ne cherche pas à comprendre) la finalité. Il vit aussi bien de ces contrats temporaires, que des objets qu’il vend sur e-bay, des revenus publicitaires de son site internet ou de sa participation à de petits jeux de télé-réalité humiliants…
L’entreprise dispose d’un annuaire géant de travailleurs indépendants, qu’elle mobilise sur la plus ou moins longue durée de ses projets. Elle n’entend plus parler de droits, de revendications, de conventions collectives, et réalise de grandes économies sur le coût du travail et les charges sociales. Le quidam, lui, trouve cette souplesse et cette flexibilité bien pratiques, très en phase avec son nouveau mode de vie.
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