Se rendre à l’évidence

hqdefault

Sous son air de rien, l’expression est terriblement parlante, chargée de sens et même d’une pointe de causticité. Se rendre à l’évidence.

“À un moment donné, il faut se rendre à l’évidence”. Tel un forcené retranché dans l’arrière-boutique. Se rendre, cerné, fait comme un rat. Se rendre à l’évidence, comme au terme d’une cavale dans les fourrés de l’imagination. Une cavale qui a assez duré. Finies les bêtises, les espoirs idiots. Tu t’es bien amusé, on t’a laissé courir, on a été gentils. Maintenant c’est terminé, rends-toi à la raison. Les mains sur la tête et les armes déposées.

On reste jeune, vivant, tant qu’on ne s’est pas tout à fait rendu à l’évidence ou à la raison. Pas définitivement. La vie, pour la plupart des gens, est une suite de petites redditions comme cela : redditions que l’on croit ne pas être complètement fatales, mais qui le sont dans leur succession et leur façon de s’échelonner dans le temps. On rêve, puis l’on se rend à l’évidence, concédant à la force des choses. On se rend à l’évidence, en circonscrivant son rêve à un champ d’expression un peu plus modeste. On se rend, seulement partiellement croit-on, seulement temporairement. Il sera toujours temps de trouver autre chose, plus tard, ou de faire différemment croit-on. On s’accomode de cette cellule à dimensions raccourcies, on pense qu’on a ainsi négocié la paix, le répit. Mais quelques années plus tard, l’évidence revient, exiger son reste. Exiger encore un peu de soi.

« N’être que ce que nous sommes »

Sandor Marai, dans Les Braises :

Être différent de ce qu’on est est le désir le plus néfaste qui puisse brûler dans le cœur des hommes. Car la vie n’est supportable qu’à condition de se résigner à n’être que ce que nous sommes, à notre sens et à celui du monde.

Nous devons nous contenter d’être tels que nous sommes et nous devons aussi savoir qu’une fois que nous aurons admis cela, la vie ne nous couvrira pas de louanges pour autant. Si (…) nous supportons d’être vaniteux ou égoïstes, chauves ou obèses, on n’épinglera pas de décoration sur notre poitrine. Non, nous devons nous pénétrer de l’idée que nous ne recevrons de la vie ni récompense ni félicitations. Il faut se résigner, voilà tout le grand secret. Nous résigner (…) à notre caractère et à notre nature dont les défauts tels que l’égoïsme et l’avidité ne peuvent être corrigés ni par l’expérience ni par l’intelligence.

Nous devons admettre que des personnes que nous aimons ne correspondront pas à notre amour comme nous l’espérions. Nous devons supporter la trahison et l’infidélité. Nous devons aussi – ce qui est le plus difficile au monde – savoir admettre que d’autres nous surpassent par leur caractère et leur intelligence.

Voilà ce que j’ai appris ici, au milieu de la forêt, au cours de ces années.

 

« Jouer le personnage qui nous a été donné »

« Souviens-toi que tu es acteur dans une pièce, longue ou courte, où l’auteur a voulu te faire entrer.

S’il veut que tu joues le rôle d’un mendiant, il faut que tu le joues le mieux qu’il te sera possible. S’il veut que tu joues celui d’un boiteux, d’un prince, d’un plébéien, il en est de même.

Car c’est à toi de bien jouer le personnage qui t’a été donné, mais c’est à un autre de te le choisir. »

Dans le Manuel d’Epictète.