Romantisme révolutionnaire

gavroche

A l’idée de Révolution, est évidemment attaché le romantisme du révolutionnaire exalté : le Juste qui a raison contre les autres, le gars qui se lève, et dont le désir généreux déborde d’entraîner à sa suite l’ensemble de la société. Profil bien connu, mille fois représenté et exploité. Le révolutionnaire exalté porte la voix du peuple, du corps social, c’est un meneur. Il se tient au sommet d’une vague qui raflera tout sur son passage, ouvrant le chemin vers la Libertéet que crèvent les bourgeois et ceux qui s’entêtent à ne pas comprendre son rêve !

C’est la figure de Guevara, de Rimbaud, de Robespierre… Mais on pourrait lui en opposer une autre, tout aussi romantique et moins vu à la télé : celle du contre-révolutionnaire comme on pourrait l’appeler.

Non pas le réactionnaire militant, mais l’individu qui subit la Nouvelle Société et ses desiderata, celui qui était bien où il était et qui n’entendait pas bouger. Le type qui se trouve sur le passage des excités alors qu’il n’avait rien demandé. Celui dont la tranquillité est soudainement mise en péril par l’agitation sociale. Car telles sont les révolutions, en réalité : après coup, on leur trouve des mérites, mais sur le moment elles sont essentiellement un déferlement de bêtise et de brutalité, un tourbillon aveugle emmené par une foule sans mobile.

Les « révolutionnaires » qui viennent frapper à votre porte, contrairement aux philosophes qui ont allumé l’étincelle, n’ont pas besoin d’être portés par une idéologie ou des vues sociales ; ce sont des gens qui n’ont pas nécessairement besoin de savoir où ils vont. Un vague instinct de détruire ce qui se tient debout suffit, il n’en faut pas plus aux lanceurs de pierres, bien souvent.

Je trouve un exemple de cette figure « contre-révolutionnaire » dans le film Le vieux fusil, où Philippe Noiret fait face à une troupe de soldats allemands qui ont squatté son château, tué sa fille et sa femme, et qui pillent allègrement ses vivres. Si l’on veut bien considérer cette troupe comme « révolutionnaire », elle fait irruption, saccage tout, et le personnage de Noiret ne fait que lui opposer une vengeance froide, réactive, méthodique : dépourvu d’idéologie et de passion, il vient simplement « nettoyer toute cette merde ».

On retrouve aussi un peu de cette esthétique dans l’étonnant Skyfall, où James Bond, au dernier acte, semble se réfugier au fond de lui-même, se replier dans sa maison, et choisit, plutôt que d’aller se battre, d’écouter la folie du monde gronder à travers les planches, d’attendre un simple fusil à la main qu’elle vienne le prendre.

skyfall-1424

La figure du contre-révolutionnaire a notre sympathie car il est typiquement l’homme que l’on dérange, l’homme qui désirait la tranquillité. C’est une figure posée, détachée, apaisée. Résignée d’une certaine façon. Peut-être a-t-il aussi notre sympathie parce qu’il est évidemment celui pour qui la partie est perdue d’avance. A l’inverse du révolutionnaire triomphant qui a le sens de l’Histoire avec lui, le contre-révolutionnaire sera battu, balayé, et il le sait un peu. C’est un Cyrano qui ne peut guère escompter qu’un succès d’estime, un brin de panache, un bon mot déclamé face à la foule lorsqu’il montera sur l’échafaud.

Le sourire par lequel il s’excuse d’être sublime.

D’une certaine manière, le monde se divise peut-être bien en deux catégories, entre les gens qui sont sensibles à l’un de ces deux romantismes plutôt qu’à l’autre.

« Que dites-vous ? C’est inutile ? Je le sais !

Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès !

Non ! non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile ! 

Qu’est-ce que c’est que tous ceux-là ! Vous êtes mille ?

Ah ! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis ! 

Le Mensonge ? Tiens, tiens ! Ha ! ha ! les Compromis,

Les Préjugés, les Lâchetés ! Que je pactise ?

Jamais, jamais ! Ah ! te voilà, toi, la Sottise ! 

Je sais bien qu’à la fin vous me mettrez à bas ; 

N’importe : je me bats ! je me bats ! je me bats ! 

Oui, vous m’arrachez tout, le laurier et la rose ! 

Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose 

Que j’emporte, et ce soir, quand j’entrerai chez Dieu, 

Mon salut balaiera largement le seuil bleu,

Quelque chose que sans un pli, sans une tache,

J’emporte malgré vous, et c’est…

Mon panache ! »

 

Histoire d’amour (se raconter une ~ )

Trouvé sur Facebook quelque chose qui m’a rempli de joie : une personne qui publiait cette photo et la légende qui va avec :

« Ce qu’il y a derrière moi me fait du mal et me fait peur
mais maintenant que je suis dans tes bras je sais
que je ne risque plus rien puisque tu me protège… »

Réalisé sans trucage… Cela m’a rempli de joie parce que je n’aurais pas su inventer meilleur exemple pour parler de ces personnes dont l’activité amoureuse consiste essentiellement à se projeter une image. A se raconter une histoire.

Ce sont ces personnes qui, en amour, sont attachées à des archétypes, abonnées à des scénarios de vie. Ce sont ces femmes qui tombent toujours amoureuses du même type (le Winner, le Voyou, l’Esthète, l’Italien connard…). Ce sont ces hommes qui ne peuvent être à l’aise qu’avec un genre de femmes précis (la Princesse, la Rigolote, Celle qui acquiesce, l’Infernale…), ou un schéma de relation précis.

Une fois en couple, ces personnes se rattachent à des scénarios d’amour. Elles entretiennent par exemple un mythe fondateur. Combien de fois nous ont-elles raconté, la voix réjouie :

« J’étais en rade sur un bord de route et il a débarqué »
« C’est elle qui m’a sorti du trou »
« On s’est engueulés dès la 1ère fois ! »
« On était ensemble en maternelle, on s’est perdus puis on s’est retrouvés ! »
« Le 1er soir on a discuté la nuit entière »…

Ces gens-là ont besoin de se raconter une histoire, ils n’ont en vérité pas grande envie de s’occuper de l’autre. Ils se mettent en couple, obéissant à une bête nécessité affective et sexuelle ; ils vivent en couple par un contrat implicite qui stipule qu’à deux la vie est moins ennuyeuse, plus confortable, plus conforme. Mais bien sûr cela heurte leur amour propre de le savoir. Alors pour ne pas se sentir trop animaux, ils s’appliquent à broder une histoire. Pour sublimer leurs « cot-cot » d’accouplement, ils mettent en scène une pièce selon laquelle ils ont des sentiments. Et voilà qu’il leur arrive des choses inexprimables, voilà qu’il va la protéger de ce qui lui fait peur, voilà qu’ils sont faits l’un pour l’autre et c’est un miracle qu’ils se soient trouvés… Le romantisme, en somme.

En réalité, ils ont simplement entendu parler, un jour, de ces grands amoureux aux destins exaltés, alors ils se sont sentis bêtes et se sont dit « pourquoi pas moi ». Mais ils n’ont pas la moindre envie d’aimer quelqu’un d’autre, ces gens qui se projettent une image, qui se fabriquent une histoire. En fin de compte, ils ne sont pas amoureux de quelqu’un ni intéressés par la responsabilité et le geste de s’occuper de quelque chose d’autre, mais sont seulement épris de cette image intérieure, cet écho en eux. La personne aimée n’a de valeur que par ce qu’elle représente, par sa ressemblance avec cette image rêvée, par ce qu’elle correspond à leur schéma interne…

Les couples qui se jouent comme cela une comédie durent quelques mois, parfois plusieurs années si les comédies de chacun, par hasard, se répondent. Puis ils éclatent lorsque la supercherie devient flagrante, lorsque personne aimée et fantasme intérieur sont devenus trop éloignés. Car l’amour est bien entendu tout l’inverse : moins on a besoin de ces « histoires », plus on est à même d’aimer véritablement. Mieux on sait aimer, moins on a besoin de ces histoires, plus ce romantisme est superflu et horripilant, monstrueux dans sa négation de l’autre. Un jour, vous savez que vous n’êtes pas unique, que l’autre n’est pas unique, qu’il n’y a pas d’âme soeur, que vous n’êtes fait pour personne et pour tout le monde aussi. Alors vous avez toute la disponibilité pour découvrir celle avec qui vous avez choisi d’être. Pour la voir telle qu’elle est et non telle que vous l’attendez. Pour chercher à savoir qui elle est, ce qu’elle veut, ce dont elle a besoin, en dehors de ce que vous voyez pour elle.

Perdre le pucelage de sa vision romantique est la condition sine qua non pour savoir véritablement aimer.

Détachement Féminin Supplémentaire (DFS)

La raison pour laquelle une femme est (soi-disant) plus romantique qu’un homme est tout simplement qu’elle peut se le permettre. Une femme aime, vit son amour, promet, à la folie, cueille le jour et se réveille le lendemain en ayant tout oublié. Il lui faut recommencer le jour suivant, avec le même homme ou avec un autre. Et si l’idylle tourne mal, elle n’a qu’une nuit à pleurer.

L’homme, lui, n’a les moyens de se faire avoir qu’une seule fois. S’il survit, il comprend qu’il doit désormais devenir raisonnable, ou bien il ne tiendra pas.

Une femme a une sorte de détachement supplémentaire par rapport à la vie, un œil supplémentaire sur les choses et sur elle-même, qui lui permet, en plus de vivre ces choses de plein fouet, d’inspecter ce qui est en train de se passer, de « mettre en abîme », comme on dit. Elle considère ses amours dans leur totalité, avec les joies, les peines, les aléas, qu’elle apprécie comme on peut les apprécier lorsqu’ils arrivent aux personnages de notre série télévisée.

On peut comparer ce détachement à une sorte de second degré auquel le féminin s’élève. C’est ce second degré qui fait par exemple que lorsqu’une femme aime, elle aime aimer au moins autant qu’elle aime l’homme en particulier. Ou bien qu’une femme qui écrit aura tendance à écrire sur l’écriture : à être fascinée par l’activité elle-même, tandis que le masculin écrit pour « rapporter des événements ».

C’est là sans doute ce qui fait la profondeur des femmes, leur façon de considérer les choses. Ce, également, qui les rend sujettes à un certain tourment, une certaine dépression qui leur est propre.

Coup de foudre

Coïncidence des traits d’un visage inconnu avec les images fantasmatiques très nettes qui fermentaient depuis un bout de temps dans notre cerveau.

Si par malheur le coup de foudre est réciproque, chacun flanque sur l’autre ses désirs totalitaires. La réalité, contrariante, regardera tout cela se finir dans un bain de sang.