L’habitude des églises

The New-born, by Georges de La Tour

Les églises ont-elles été construites pour être remplies ou pour être vides ? Vide ou remplie, l’église remplit un rôle, assure une fonction. Quand le dernier pratiquant aura disparu, les églises resteront nécessaires. Il n’existe pas d’autre lieu sur Terre qui offre à l’Homme cette possibilité fondamentale : ce refuge inestimable au creux des voûtes fraîches, hautes et obscures. Ce refuge à l’abri de la vie, à l’abri du monde.

L’église est la seule maison qui supporte d’être vidée de sa raison d’être, sans ne rien perdre de sa justification totale d’exister, d’être là.

Je recherche en vain sur internet cette superbe scène de La Vie rêvée des anges, où le personnage d’Elodie Bouchez, petite vagabonde à la rue, seule et délaissée, sac au dos, pousse la porte d’une église et s’y abrite pour la nuit. Elle est à bout. A l’intérieur, le noir est total, le silence absolu. Comme dans un tableau de la Tour, on ne voit que le noir complet, et la flamme du lumignon que cette fille a posé sur le sol, réchauffant les lignes de son visage. Assise en tailleur, elle regarde la flamme chanceler. Ses nerfs se relâchent. Elle pleure dans le silence de l’église. On n’entend aucun bruit que ses reniflements et les froissements de vêtements, comme démesurément agrandis par la résonance de l’édifice.

Il me semble que c’est, depuis toujours, exactement pour cela que les églises ont été construites. Combien de temps survivront-elles sur cette seule fonction, ce seul business model ?

Jardinier à moteur

tondeuse emmerdeur

A la belle saison, dans chaque village, dans chaque hameau, lorsqu’au cours de la matinée le soleil est enfin dévoilé et que l’on pourrait entendre les oiseaux et le bruissement du vent dans les feuilles, un type se dévoue sur les coups de 11 heures pour activer une tondeuse, un souffleur, un rotofil, n’importe quel outil capable de faire le bruit d’une mobylette.

La plupart des bonshommes qui jardinent ou entretiennent aujourd’hui ne savent guère travailler autrement. Rien ne les intéresse d’autre dans l’atelier que ce qui crépite, vrombit, ce qui crache et sent le pétrole. C’est comme s’il était impérieux pour eux de saccager le silence et qu’il ne reste surtout plus un coin de campagne où ne résonne à l’horizon le ronflement d’un engin.

Plus de cisailles mais un taille-haie. Plus de râteau mais un souffleur de feuilles. Le moindre clampin dispose désormais du même attirail que l’employé municipal pour tenir toute la commune. Et moins il s’y connait, plus il se motorise ; il se précipitera sur le souffleur avec d’autant plus de hâte qu’il a plu toute la nuit, que les feuilles sont mouillées et que ses efforts sont inopérants, son bourdonnement pétroleur absolument inefficace.

S’il prend une mine laborieuse, assis sur sa tondeuse, le sourcil ployé sous la responsabilité de manier l’engin dangereux, affectant de prendre pour lui la besogne vraiment sérieuse, ne nous y trompons pas : le jardinier à moteur dissimule comme il peut le fait qu’il soit ni plus ni moins en train de jouer au tracteur, tel un gosse bousilleur.

Valeur positive, valeur négative

Aime-t-on le silence et la solitude pour ce qu’ils sont, en tant que tels ?
(valeur positive)

Ou les aime-t-on pour ce qu’ils sont absence de bruit et absence d’hommes ? (valeur négative)

Nous pouvons réfléchir, comme cela, à ce qu’on aime de creux et ce qu’on aime de plein. A ce qu’on fait de creux et ce qu’on fait de plein. A ce qu’on est de creux et ce qu’on est de plein.